M. Ringelmann et la paresse sociale

Maximilien Ringelmann, universitaire français est surtout connu pour ses travaux de psychologie sociale relatifs à la « paresse sociale » (1897) qui seront réutilisés plus tard par Henry Ford sous le concept de « flânerie ouvrière ». Il est considéré comme l’un des précurseurs de la psychologie sociale en France, le psychologue américain Norman Triplett ayant développé une théorie inverse considérant que l’Autre peut au contraire être un « facilitateur social ».

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M. Ringelmann et la paresse sociale
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Le lien entre l’efficacité des performances et la productivité d’un groupe

Dans une étude sur la relation entre l’efficacité des performances et la productivité d’un groupe, on pourrait s’attendre à ce qu’une équipe de six personnes accomplisse la même quantité de travail que le nombre de personnes pris séparément. On pourrait même considérer que le potentiel synergique d’une collaboration augmente l’efficacité du groupe par rapport à un travail de personnes agissant individuellement. Or, les travaux menés sur le sujet dans le cadre d’activités classiques suggèrent le contraire: l’augmentation de la taille d’un groupe pourrait en réalité se révèler moins efficace.

Ainsi, on a pu observer qu’un groupe de sept individus déployait ensemble une force nettement inférieure à celle déployée par celle de trois de ces mêmes participants, pris séparément. De même, un groupe de quatorze personnes avait tendance à produire une force correspondant à celle de dix individus gérés individuellement, confirmant bien que la dynamique d’un groupe n’est pas forcément un avantage.

En psychologie sociale, la paresse sociale, définie par M. Ringelmann, décrit le phénomène suivant lequel les individus tendent à diminuer les efforts qu’ils fournissent en groupe, et ce de façon proportionnelle à la taille du groupe. En effet, contrairement à la croyance selon laquelle le « tout » est plus que la somme des parties, les expérimentations menées révélèrent la diminution des performances individuelles au fur et à mesure que le nombre de participants augmentait. Ce résultat surprenant, désigné sous le nom de l’effet Ringelmann, est donc la tendance des membres d’un groupe à devenir de moins en moins productifs à mesure que leur nombre augmente.

Comment peut-on expliquer ce phénomène, désigné sous le terme d »effet Ringelmann » ?

Les principales causes de la perte de motivations des individus au sein d’un groupe

Maximilien Ringelmann a cherché à comprendre la perte de productivité observée dans le cadre de groupes composés de plusieurs personnes, par rapport à des travaux menés individuellement par chacun des acteurs mobilisés. Pour cet universitaire, la cause est liée au fait que la motivation des individus baisse, lorsque la responsabilité d’une tâche est partagée entre plusieurs personnes. La dilution des responsabilités va avoir comme effet de déresponsabiliser l’individu, dont la performance personnelle pourra difficilement être évaluée et donc valorisée. Dans l’incapacité de pouvoir montrer son efficacité individuelle au profit d’actions qui valorisent le groupe, l’individu va avoir tendre à se fondre dans le collectif, et perdre toute motivation à faire valoir son identité personnelle, sa personnalité ou ses qualités intrinsèques.  

En effet, plusieurs hypothèses sont proposées pour expliquer l’effet Ringelmann :

– plus le nombre de participants augmente, plus les pertes dues au manque de coordination sont élevées. Cette hypothèse émise par Steiner fut par la suite relativisée par Ingham et al (1974) qui considèrent que le seul manque de coordination ne suffit pas à expliquer l’ampleur de la baisse d’efficacité;
 

– au delà de la présence physique de l’autre, le simple fait de percevoir une présence autour de soi peut influencer son comportement et sa performance. C’est ce qu’on appelle la théorie de l’impact social (Latané, 1981) qui montre lors d’une expérience, où des sujets doivent crier le plus fort possible, le comportement de l’individu est modifié lorsqu’il entende.lors de la passation, le cri de plusieurs personnes, ce qui va diminuer sa performance. Selon cette théorie de l’impact social, la demande faite aux sujets par l’expérimentateur en tant que source du message, va être divisée entre les membres du groupe qui vont prendre en compte les autres, dans leurs propres comportements et actions. Pour Bibb Latané, c’est donc bien la perception du groupe qui entraîne la diminution des performances;

– le fait que les membres d’un groupe ne se sentent pas évaluées individuellement ou n’aient pas la possibilité d’évaluer leurs partenaires ou eux mêmes, serait un facteur explicatif de l’effet Ringelmann (théorie de l’auto-évaluation) en raison de l’absence d’évaluation et de comparaison;

– la production d’un effort en collectivité (tâche collective) peut aussi atténuer la visibilité de l’objectif à atteindre et des enjeux pour l’individu lui-même (absence de visibilité sur les objectifs à atteindre et sur la contribution de chaque individu). En effet, les individus vont déployer moins d’efforts lorsqu’ils travaillent collectivement parce qu’ils considèrent que leur performance n’est pas essentielle ou indispensable pour que la production du groupe soit de qualité (théorie de l’auto-efficacité).

– la tendance à considérer que le collectif va conduire chacun des membres à limiter ses efforts (les sujets s’attendent à ce que les autres se relâchent dans le cadre d’un travail de groupe) et qu’il convient par conséquent dans un souci d’équité d’en faire de même,en réduisant ses efforts. Ainsi, chaque individu va agir et s’adapter au niveau de l’effort qu’il perçoit de ses autres collègues. (théorie de l’assortiment de l’effort).

Conclusion

La paresse sociale décrit le phénomène suivant lequel les individus tendent à diminuer les efforts qu’ils fournissent en groupe, et ce de façon proportionnelle à la taille du groupe, et peut s’expliquer par plusieurs théories, telles que les mécanismes de l’impact social, de l’auto-évaluation, de l’auto-efficacité ou encore de l’assortiment de l’effort. Ce concept pose par conséquent la question du contexte et des conditions dans lesquels la performance individuelle peut être supérieure à la performance collective et inversement. Il semble qu’un élément de réponse puisse être recherché dans la nature de la tâche à réaliser, le caractère simple du travail proposé pouvant renforcer la paresse sociale. La complexité d’un travail peut en effet conduire l’acteur à s’allier aux autres pour des raisons à la fois stratégiques et psychologiques, en misant sur le principe de solidarité économique au sens de E. Durkheim. On peut d’ailleurs noter que Norman Triplett a proposé la théorie inverse, en s’intéressant à l’effet de « facilitation sociale » (1) qui affirme que sous l’effet de groupe et d’actions à fort impact social ou sociétal (compétition cycliste), un individu peut trouver une stimulation l’amenant à dépasser ses performances individuelles (stimulation sociale, émulation collective).

Pour aller plus loin

Ringelmann, M.; « Recherches sur les moteurs animés: Travail de l’homme », Annales de l’Institut National Agronomique, 2nd series, vol. 12, 1913, p. 1-40. (2)

Ingham, A.G., Levinger, G., Graves, J. and Peckham, V., « The Ringelmann Effect: Studies of group size and group performance », Journal of Experimental Social Psychology, 10, 1974, p.371-84.

Note

(1) En psychologie sociale, deux thèses s’affrontent que l’on peut résumer autour de deux concepts contradictoires, avec d’un côté la paresse sociale de M. Ringelmann et celle initiée par N. Triplett autour de l’idée de facilitation sociale. Il est à noter que si cette notion est souvent attribuée à N. Triplett, ce n’est que presque 30 ans après la découverte de ce chercheur, en 1924, que ce phénomène fut baptisé « facilitation sociale » par Floyd Allport. Ce terme qualifie ainsi l’influence positive que la présence active (effet de co-action) ou passive (effet d’audience) d’autrui peut avoir sur les performances motrices d’un individu. Il a été par la suite repris et analysé par d’autres chercheurs, comme Robert B. Zajonc.

Note

Note sur l’auteur (CV OM)

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