Éric Wuithier, vous venez de publier un livre sur le revenu universel. Un livre de plus sur le sujet ou une autre ambition ?
Certes, mais le revenu universel est-il un sujet d’actualité et d’où vient-il ?
L’idée du Revenu Universel entre en politique aux États-Unis en 1972 lorsque George McGovern opposé à Richard Nixon propose un revenu universel à 1 000 $ par an. Celui-ci ne sera pas élu.
En France, l’idée se développe aussi, et prend plus récemment de l’ampleur. Le premier promoteur du Revenu Universel fut Jacques Duboin en 1930. Avec la Seconde Guerre mondiale et toute la période des trente glorieuses qui a suivi, on ne trouve à ma connaissance aucune trace de cette idée de revenu universel, car la France vivait une période prospère avec un socle de protection sociale remarquable. Lorsque la situation économique s’est tendue ensuite, avec la montée du chômage, les deux crises pétrolières, la robotisation des productions entre autres, le concept de revenu universel est revenu. Par exemple en 1987 l’économiste Yoland Bresson crée l’Aire (Association pour l’Instauration d’un Revenu Universel), qui existe toujours et qui est la première instance à se focaliser sur l’intérêt de ce sujet dans notre société en essayant d’y intéresser les politiques. De même en 1990 le philosophe Jean Marc Ferry défendait l’idée d’un revenu de citoyenneté.
Sur un plan politique dans notre pays, le Revenu Universel s’est glissé dans la campagne présidentielle de 2017, avec pour promoteur Benoit Hamon, qui a poursuivi sa réflexion sur le sujet en 2020 avec la publication de son livre « Ce qu’il faut de courage – plaidoyer pour un revenu universel ».
Si nous nous concentrons sur l’actualité, que pensez-vous de notre modèle socio-économique et financier ?
En reprenant les cinquante dernières années de vie politique en France, nous constatons que les gouvernements de droite et de gauche qui se sont succédé ont tenté beaucoup de choses pour améliorer la situation socio-économique et financière de la France. Les uns ont mis l’accent sur la nécessité de créer de nouveaux avantages sociaux comme les 35 heures, la retraite à soixante ans, les contrats aidés, etc. Les autres ont tenté de réduire les coûts sociaux, d’améliorer la compétitivité des entreprises et de flexibiliser le marché du travail (statut des autoentrepreneurs, SMIC jeune, rupture conventionnelle du contrat de travail pour ne citer que ces exemples). Ces décisions ont fait le lit d’une opposition doctrinaire entre la droite et la gauche toujours plus forte et virulente et qui a même favorisé l’émergence des extrêmes aux deux bords du panorama politique.
En examinant maintenant factuellement les effets de toutes ces politiques, force est de constater que notre pays s’est progressivement mis dans l’ornière et n’a toujours pas trouvé le moyen d’en sortir ; La crise des gilets jaunes en a été le point d’orgue. Certains diront que c’est la faute de l’Europe qui nous a fait perdre notre souveraineté et nos libertés de décision. Mais il est bien facile de pointer du doigt “l’autre” et d’éviter de se regarder soi-même dans le miroir avec lucidité ! Rappelons que si l’Europe a été créée, c’est d’abord pour éviter les guerres qui ont été si dramatiques et dévastatrices sur notre continent. Rappelons que c’est la France qui a poussé l’idée d’un déficit maximum établi à 3 % du Produit Intérieur Brut que nous nous sommes surtout empressés de ne jamais tenir. Beaucoup d’économistes reconnaissent que cette idée est économiquement une hérésie, car on ne peut résumer au PIB la situation globale d’un pays. Rappelons aussi que depuis que l’Euro est en place, aucune dévaluation n’a été nécessaire. La France était auparavant une championne des dévaluations dites “compétitives” qui nous ont valu de passer des anciens aux nouveaux Francs, et qui finalement ne faisaient que nous appauvrir dans le concert international.
Considérez-vous que nous ayons atteint le bout de notre modèle social et financier ? Celui-ci devient-il nécessairement obsolète ?
— La France reste à un niveau élevé d’endettement qui progresse inéluctablement. À fin 2019 elle représentait 97,8 % du PIB ;
— Certes on pourrait ajouter que le poids du remboursement des intérêts de la dette baisse, et ne représente que 2,5 % des recettes publiques, mais cela est dû à une conjoncture financière mondiale qui ne pourra durer indéfiniment ;
— Le chômage a baissé 8,1 % ce qui était le meilleur taux depuis 2008, mais cette statistique est l’arbre qui cache la forêt. En prenant les chômeurs de longue durée, ceux qui n’ont qu’une activité partielle sous forme de CDD courts les bénéficiaires du RSA, ce sont en fait au moins 6 millions de personnes en situation précaire. L’emploi des seniors en France est l’un des plus faibles d’Europe et les jeunes rentrent tard sur le marché de l’emploi.
— Des institutions comme la Sécurité Sociale, l’UNEDIC, sont endettées et ne peuvent mettre leurs budgets à l’équilibre depuis des années.
— La pauvreté et la précarité ne font que s’accroître comme l’a montré Thomas Piketty.
— L’ascenseur social ne fonctionne plus à tel point que plus de 14 millions de salariés du privé ont une rémunération inférieure à 2 400 euros bruts par mois.
— Nos systèmes d’aide sont trop complexes et touffus à tel point qu’un pourcentage non négligeable de bénéficiaires ne font même pas la démarche pour les obtenir.
Tout ceci nous montre bien que nous devons changer de paradigme.
Quels ont été les effets de la pandémie sur tout ce que vous venez de décrire ?
Très récemment, l’augmentation du chèque énergie ou encore la mise en place d’un Revenu d’engagement pour les jeunes viendront augmenter “la note” en 2022, à tel point que pour la première fois le projet de budget de l’État présenté au Conseil des ministres le 21 septembre dernier comportait des emplacements sans montants de dépenses. Du jamais vu ! Pour financer toutes ces aides exceptionnelles, notre pays s’est endetté pour passer de 97,8 % du PIB en 2019 à 115,7 % en 2020. En 2021 le taux devrait avoisiner 118 % et probablement augmenter encore en 2022. Pour être plus concret, fin 2021 notre dette devrait atteindre 2 800 milliards d’euros !
De toute évidence, la pandémie a poussé dans ses extrémités notre système, et il sera impossible d’en sortir si l’on ne change rien !
Donc selon vous le Revenu Universel peut-il être une solution ?
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale le droit de vote a été donné aux femmes, la Sécurité Sociale est apparue. Lorsque Mai 68 s’est terminé, le Grenelle des salaires a permis de mettre en œuvre des augmentations importantes, la contraception a été votée.
Avec la pandémie, nous avons subi un choc sans précédent et nous devons nous remettre en cause pour régler tous nos maux qui créent un climat de défiance entre les Français et les politiques, entre les riches et les pauvres.
Finalement, nous devons saisir l’occasion de la campagne présidentielle pour bien poser nos problèmes et engager tous ensembles un projet fédérateur qui donnera des perspectives à nos enfants et de l’enthousiasme pour le mettre en place.
Tout ceci semble plus incantatoire que concret !
Mon livre explique précisément comment le Revenu Universel pourrait permettre :
— À nos entreprises de trouver une meilleure compétitivité,
— Aux Français d’améliorer leur pouvoir d’achat, de sortir de l’extrême pauvreté et de la précarité
— À l’État d’avoir des marges de manœuvre pour se désendetter et cibler des investissements indispensables dans le domaine de la transition écologique par exemple,
— Aux institutions endettées de retrouver des moyens financiers
— À la protection sociale de considérablement se simplifier
Cela peut paraître impossible, mais en fait, avec un Revenu Universel de 900 euros nets mensuel pour tous les Français de plus de 18 ans, on peut parfaitement y arriver et surtout aussi le financer.
Pouvez-vous nous donner une illustration ?
Bien entendu, les montants supérieurs à ces 900 euros seraient versés par les régimes complémentaires qui recevraient les cotisations des actifs, ce qui permettrait pour tous les retraités d’augmenter le niveau de leur retraite nette complémentaire, car la CSG/CRDS s’appliquerait à un montant réduit de 900 euros. Il aurait aussi l’avantage de porter les retraites de réversion au même niveau que les retraites pour le conjoint survivant ce qui est loin d’être négligeable.
La question du financement de la retraite ne se poserait plus, car le Revenu Universel serait totalement couvert par les contributions de tous les acteurs économiques et sociaux, et la question de l’âge de départ à la retraite, que l’on pourrait ramener à 60 ans comme le réclament beaucoup, ne poserait aucun problème. Il appartiendrait à chacun de décider au-delà des 60 ans du montant de retraite complémentaire qu’il souhaiterait obtenir en fonction du nombre de points obtenus par ses cotisations et de la valeur du point de celle-ci. Pourquoi se priver d’une solution aussi simple que socialement équitable et qui aurait aussi l’avantage d’être un argument choc dans le cadre de la campagne présidentielle ? Une manière magnifique de sortir par le haut de l’ornière des retraites !
J’ajoute que toutes mes sources, mes démonstrations, mes calculs ainsi que d’autres compléments techniques sont accessibles sur mon blog ericwuithieretlerevenuuniversel.com.