Michael T. Hannan et l’écologie des populations

Michael T. Hannan a été un des premiers chercheurs à ouvrir la voie à l’écologie des populations dans le champ des organisations, en appliquant l’approche darwinienne sur la sélection naturelle des espèces au cas des organisations. Dans leurs travaux, Hannan et Freeman vont ainsi chercher à expliquer la naissance, le développement et la mort d’organisations. Pour cela ils vont mettre en parallèle le processus d’évolution d’une organisation, au sein d’une population donnée.

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Michael T. Hannan et l'écologie des populations
Michael T. Hannan et l’écologie des populations | RSE Magazine

Le processus de sélection naturelle des organisations

Les travaux de Hannan et Freeman constituent des réponses successives à l’étude des changements organisationnels et à leurs taux de naissance et de mortalité, en fonction de la taille et de l’âge des organisations. Ces travaux vont notamment utiliser les connaissances de la biologie , de l’économie et de la sociologie , et recourir à l’analyse statistique pour essayer de comprendre les conditions dans lesquelles les organisations émergent, grandissent et disparaissent.  

Selon ce courant, les caractéristiques de l’environnement suffisent à expliquer les phénomènes organisationnels et leur évolution. Les organisations sont sujettes à un nombre important de pressions qui les maintiennent dans un état d’inertie structurelle. Ce qu’il convient d’étudier, ce sont des populations d’organisations en concurrence pour l’accès à des ressources limitées et soumises à un processus de sélection naturelle. Pour les détenteurs de ce courant, ce ne sont pas les organisations qui s’adaptent à leur environnement, mais plutôt l’environnement qui va sélectionner les structures qui pourront continuer à survivre. L’écologie des populations applique ainsi les idées darwiniennes sur la sélection naturelle des espèces au cas des organisations, en montrant la difficulté de ces dernières à résister aux contraintes de l’environnement. Ainsi, en matière de variation, les firmes ne sont pas supposées évoluer de manière significative par la seule volonté de leurs membres. Les pratiques évoluent par accident et non par apprentissage avec le milieu. Elles se heurtent à une série de contraintes à la fois interne (transférabilité limitée des actifs, manque d’informations, contraintes politiques et culturelles) et externe (obstacles légaux et fiscaux, accès limité à l’information…). L’inertie structurelle des organisations rend de ce fait difficile l’adaptation aux changements environnementaux.  Quand bien même il y aurait des choix, les résultats seraient aléatoires, en raison de la turbulence et de la complexité de l’environnement. 

C’est donc l’environnement qui va sélectionner les variations internes des organisations qui correspondent le mieux aux demandes externes. Si les organisations sélectionnées ont la possibilité de survivre, elles sont néanmoins soumises à la concurrence avec les autres entités qui forment la population (activités et ressources semblables) à laquelle elles appartiennent.

La survie des organisations

L’école de « l’écologie des populations » représentée en particulier par Hannan et Freeman (1977) ou Aldrich (1979) va encore plus loin, en considérant que le changement dans les organisations et dans les ensembles d’organisations, appelés populations, est principalement dû à un processus de sélection effectué par l’environnement. Selon eux, les organisations ne peuvent pas véritablement influer sur leurs chances de survie. À chaque changement de l’environnement vont survivre les organisations qui sont les mieux adaptées à ce nouveau contexte.

En effet, les auteurs considèrent que les organisations ont généralement du mal à concevoir et mettre en œuvre des changements suffisamment rapides pour répondre aux demandes de l’environnement. La sélection naturelle va donc éliminer les entreprises les moins performantes. Cette école s’est donc intéressée aux taux de création et de disparition des organisations pour rendre compte de la diversité des populations d’organisations.

Pour Hannan et Freeman (1977), trois familles de variables jouent un rôle dans la probabilité de survie des organisations :

 – les caractéristiques des organisations qui ne peuvent être changées, comme l’âge ou l’ordre d’entrée sur un marché (acteur pionnier, suiveurs, imitateurs…)…

les variables extérieures aux organisations mais propres à l’environnement, comme le contexte politique, la situation économique, les liens institutionnels qui peuvent exister au moment de la création des entreprises.

– les caractéristiques de la population proprement dite en termes d’activités, de ressources, de densité, de nombre, de créations et de disparitions antérieures, d’intensité concurrentielle…

Conclusion

L’écologie des populations vise à examiner, dans la durée, l’environnement dans lequel les organisations sont en compétition et comment se déroule le processus de sélection naturelle (création, survie, disparition). Cette théorie s’intéresse par conséquent à la disparition des organisations (mortalité des entreprises), à leur naissance (fondation organisationnelle), ainsi qu’à la croissance et aux changements organisationnels.

Le point fondamental de ce courant tient donc à l’unité d’analyse choisie : le niveau macro (population d’organisations) par rapport à la plupart des écoles qui s’intéressent plutôt au niveau micro (l’entreprise).

L’écologie des populations permet ainsi d’observer qu’au sein d’une population donnée, le changement se produit essentiellement par la disparition d’organisations et leur remplacement par d’autres plus en phase avec les variations de l’environnement. Selon cette perspective, l’adaptation des firmes existantes est donc limitée. La sélection par l’environnement des organisations prime sur leur capacité à s’adapter.

Pour aller plus loin

Aldrich, H.E., Organizations and environments, Englewood Cliffs, NJ, Prentice Hall Inc, 1979.
Aldrich, H.E., Using an ecological perspective to study organizational founding rates, Entrepreneurship Theory and Practice, 14, 3, 1990, p. 7–24. 
Freeman J., “Ecological analysis of semi-conductor firm mortality”, in J.V. Singh (éd.), Organizational Evolution: New directions, Newbury Park, CA, Sage, 1990, p. 53-77.
Freeman J., Hannan M.T., “Niche width and the dynamics of organizational populations”, American Journal of Sociology, Vol. 88, N°6, 1983, p. 1115-1145.
Hannan M.T., Freeman J., “The population ecology of organizations”, American Journal of Sociology, Vol. 82, N°5, 1977, p. 929-964.
Hannan M.T., Freeman J., “Structural inertia and organizational change”, American Sociological Review, Vol. 49, N° 2, 1984 p. 149-164. Hannan M.T., Freeman J., “The ecology of organizational founding: American labor unions, 1836-1985”, American Journal of Sociology, Vol. 92, N°4, 1987, p. 910-943.
Hannan M.T., Freeman J., “The ecology of organizational mortality: American labor unions, 1836-1985”, American Journal of Sociology, Vol. 94, N°1,  1988, p. 25-52.
Hannan M.T., Freeman J. (1989), Organizational ecology, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1989.
Charreire-Petit S., Huault I., Les grands auteurs en Management, Editions EMS, 2017.

Note

(1) La théorie de la sélection naturelle, élaborée par Darwin considère que l’évolution des espèces se fait par des variations aléatoires d’une génération à la suivante, variations héréditaires sur lesquelles opère ensuite une sélection par les conditions environnementales
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