Le décret n° 2025-482 du 27 mai 2025, publié au Journal officiel et entré en vigueur à partir du 1er juillet 2025, marque une évolution structurante du droit du travail en matière de prévention des risques climatiques. Alors que la fréquence des épisodes de canicule augmente, les employeurs se trouvent désormais juridiquement contraints d’adapter les conditions de travail en cas de forte chaleur, avec un cadre législatif clarifié.
Canicule : une obligation générale précisée et rendue opérationnelle
Avant ce décret, les entreprises s’appuyaient sur les principes généraux de prévention issus des articles L.4121-1 à L.4121-5 du Code du travail, qui imposent à l’employeur de garantir la santé et la sécurité de ses salariés. Toutefois, aucune disposition explicite ne visait les risques liés à la chaleur. Les mesures mises en œuvre dépendaient largement de l’interprétation interne de la hiérarchie et du niveau de vigilance de Météo-France.
Le décret du 27 mai 2025 crée un article L.4121-2-1, qui inscrit dans la loi l’obligation d’évaluation et de prévention des risques liés à la chaleur dès qu’un risque est identifié, indépendamment du seuil de vigilance météorologique. L’entreprise ne peut donc plus se retrancher derrière l’absence d’alerte officielle pour justifier une inaction.
Nouvelles obligations concrètes : organisation, équipements, prévention
Le texte impose aux employeurs plusieurs mesures à caractère obligatoire lorsque des températures élevées menacent la santé des travailleurs :
- Accès permanent à de l’eau potable fraîche : trois litres minimum par personne et par jour doivent être disponibles.
- Équipements adaptés : couvre-chefs, vêtements respirants, systèmes de ventilation, brumisateurs ou autres dispositifs de rafraîchissement doivent être fournis par l’employeur pour les postes exposés.
- Aménagement du travail : adaptation des horaires, suppression temporaire de certaines tâches physiques, organisation de pauses régulières.
- Surveillance renforcée des personnes vulnérables (femmes enceintes, salariés atteints de pathologies chroniques, etc.).
- Information et sensibilisation des salariés sur les signes de stress thermique.
Ces dispositions doivent être formalisées dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP). L’actualisation du DUERP devient donc un point de vigilance réglementaire clé.
Inspection du travail : un pouvoir renforcé
Le décret donne à l’inspection du travail un pouvoir d’injonction directe en cas de manquement. En pratique, un agent pourra exiger la mise en conformité immédiate sous peine de sanctions administratives ou de suspension d’activité. Ce renforcement des moyens de contrôle vise à garantir l’effectivité des nouvelles dispositions.
Dans un entretien accordé à La Tribune le 27 mai 2025, la ministre du Travail Catherine Vautrin a déclaré : « En responsabilisant davantage les employeurs et en outillant l’inspection du travail, nous renforçons concrètement la prévention pour protéger les salariés, en particulier les plus exposés. »
Le gouvernement annonce également une campagne d’information multilingue à destination des secteurs concernés, notamment le BTP, l’agriculture, la logistique et l’entretien paysager.
Extension du champ d’application aux indépendants et maîtres d’ouvrage
Une nouveauté majeure du décret réside dans l’élargissement de son champ d’application. Les employeurs directs, les travailleurs indépendants, ainsi que les maîtres d’ouvrage ou donneurs d’ordres intervenant sur site sont désormais soumis à ces mêmes obligations. L’objectif est d’éviter les failles de conformité dans les chaînes de sous-traitance ou les chantiers multi-intervenants.
Cela implique une revue des pratiques contractuelles et des clauses de sécurité dans les appels d’offres, notamment pour les marchés publics ou les projets soumis à des critères ESG.
Intégration dans la politique RSE des entreprises
Ces nouvelles obligations s’inscrivent dans une logique plus large de transition climatique appliquée à la gestion RH et aux pratiques sociales. Les directions RSE, QHSE et DRH devront adapter leurs politiques internes pour inclure une gestion proactive du risque climatique, avec des indicateurs de suivi, des dispositifs d’alerte interne et une concertation avec les représentants du personnel.
Du point de vue de la conformité, ces exigences renforcent l’alignement entre le droit du travail français et les engagements internationaux relatifs aux conditions de travail dignes en environnement climatique dégradé (OIT, ISO 45001, CSRD à venir).