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La CGT , le COVID et les CASTORS

Jean-Marc BOCCARA
11/05/2020



« Travailleur acharné, organisé, le castor est en perpétuelle activité….»
L’usine Renault de Sandouville (Seine-Maritime) avait fermé le 16 mars à cause de l’épidémie de coronavirus et avait repris le 28 avril grâce à un protocole sanitaire validé par la CFDT, CFE-CGC et FO.



La CGT va-t-elle faire mieux et plus que le Covid-19 ?

En 2019 , le site industriel de Sandouville a produit 132 231 véhicules utilitaires, les Renault Trafic. Or, l’Ordonnance de référés du Tribunal judiciaire du Havre, en date du 6 mai 2020, a ordonné la fermeture de l’usine à l’initiative de la CGT. 1848 collaborateurs et 700 intérimaires se sont donc retrouvés en chômage technique avec l’impossibilité de prise en charge en chômage partiel car une décision judiciaire n’est pas un motif de prise en charge.

Selon Renault qui a fait part de son intention de faire appel, le jugement « porte sur les modalités de consultation et de présentation aux représentants du personnel, mais ne remet  pas en cause le référentiel sanitaire élaboré pour permettre la reprise ». Cependant, l’ordonnance de référé du tribunal estime que le redémarrage de l’entreprise ne « permet pas d’assurer […] la sécurité des travailleurs de l’usine face au risque lié au Covid-19 ».

La production est suspendue « le temps de la mise en place effective » de mesures comme « organiser et dispenser pour chacun (des) salariés avant qu’ils ne reprennent le travail une formation pratique et appropriée ». L'usine Renault de Sandouville est donc fermée pour une semaine au minimum. 

Le redémarrage d’une entreprise est donc bloqué pour la simple raison que la convocation du CSE (Comité Social et Economique) a été faite par mail au lieu d’être faite par courrier. On attaquerait les modalités de la reprise sur la forme alors que le fond paraît juste.
 
Alors même que la pandémie ébranle tout le système économique, les entreprises en reprise d'activité seraient pénalisées d’emblée dès avant le 11 mai, et ce, malgré le support de l'État, les PGE (Prêts Garantis par l'État), les aides de toutes sortes, les reports de délai et le chômage partiel ?
 
L'ombre de la jurisprudence Amazon plane et impressionne. Alors qu’elle représente 36% des parts de marché du commerce électronique en France, la société Amazon a été contrainte de fermer l’intégralité de ses entrepôts français depuis le 14 avril dernier, après le rendu d’une ordonnance de référés du Tribunal Judiciaire de Nanterre, suivie d’une décision de la Cour d’Appel de Versailles. Amazon a fait machine arrière. Qui ferait machine avant avec des astreintes colossales prononcées par les tribunaux qui peuvent mettre à plat une entreprise ? 
 
Après la pause forcée et  la mise en coma économique de pans entiers de l'activité, les règles du jeu de la reprise seraient-elles désormais entre les mains des juges ?
 
Les bonnes pratiques, le respect des mesures barrière de sécurité, et enfin la mise en œuvre du protocole national de déconfinement du 9 mai 2020 du Ministère du Travail pèsent sur les entreprises. Pèsent également la possible mise en cause de la responsabilité pénale des chefs d'entreprise pour mise en danger d’autrui et le droit de retrait des salariés pour des raisons sanitaires de précaution.
 
Les juges sont des êtres humains, pas des algorithmes. Ils sont de toutes les couleurs, du rouge au noir en passant par le bleu. Leur perception et leur appréciation, que l’on appelle « l’office du juge », varient aussi ‘in concreto’ en fonction de l’empreinte sociale de chaque entreprise et du taux de chômage selon les régions.
 
En bref, ce type d'affaires dans un contexte Covid-19 n'étant pas encore uniformisé par des Cours d'Appel et a fortiori par la Cour de Cassation , il peut y avoir –comme en toute matière- une grande disparité d'une juridiction à l'autre, d'une région à l'autre, surtout au premier degré de juridiction. Pourtant, sous Covid 19 , le législateur n'est pas avare de mesures comportementales incitatives ou contraignantes, voire particulièrement intrusives. Comment tousser, comment se moucher ,comment se laver les mains, où et comment porter un masque, comment tracer des malades, combien de kilomètres parcourir, qui voir ? Le législateur rentre pratiquement dans la salle de bain ou la chambre à coucher. Cependant  le législateur est mal armé quand il s'agit de faire tourner la machine ou de la faire redémarrer. S’ il  sait rentrer dans l’espace privé et public, il sait mal rentrer dans l’entreprise. 
 
Cette logique n'est pas supportable et le pays ne pourra la supporter longtemps.
 
Or  l’article 127 du code de procédure civile dispose :
 
« S'il n'est pas justifié, lors de l'introduction de l'instance…., des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige, le juge peut proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation. »
 
Cette procédure de conciliation ou de médiation n'a pas de valeur contraignante, elle n’a pas de caractère obligatoire pendant le procès .
Son défaut, avant le procès n’emporte pas nullité des procédures  engagées. Donc, pour la reprise COVID 19 , le code de procédure civile n’a aucune efficacité pour ce type de litiges qui ne sont pas de « petits litiges ».
 
Pourquoi le législateur ne peut-il pas, et très rapidement, remédier à ce « trou dans la raquette » de la reprise économique, et rendre désormais systématique ET obligatoire à peine de nullité cette procédure de conciliation ou de médiation ? Pourquoi ne peut-il pas encadrer ce processus dans une logique de dialogue social dès la survenance du moindre différend ou contentieux sur les mesures barrières de sécurité COVID 19 ? Cette procédure de conciliation ou de médiation systématique interviendrait avec la représentation syndicale, adossée au  protocole national de déconfinement du 9 mai 2020 , bien en amont AVANT l’engagement de toute procédure OU dès la première audience.  
 
Nous rappelons que l’état d’urgence sanitaire est prolongé jusqu’au 10 juillet 2020. Le temps presse,il y a urgence !
 
Monsieur le Premier Ministre, il y a urgence à légiférer afin que la reprise ne soit pas hypothéquée par le pouvoir des juges, par des décisions de référé exécutoires par provision et l'aléa judiciaire aggravé par la disparité des Cours d'Appel de l'ensemble du territoire.
 
Or, en se dotant d’un bouclier juridique, le système peux être vertueux. Il  peut  parfaitement se donner les moyens de préserver l’équilibre : sécurité et urgence sanitaire /sécurité et urgence économique.
 
Il en va encore de la survie de nos entreprises et de la préservation de notre patrimoine économique. Le choix est là !
 
Jean-Marc BOCCARA
Avocat au Barreau de Paris