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Jean Boissinot : La Finance Verte

Bertrand Coty interview
17/11/2022



Jean Boissinot est adjoint au directeur de la stabilité financière à la Banque de France et responsable du secrétariat du NGFS (Network for Greening the Financial System, réseau mondial des banques centrales et des superviseurs œuvrant au développement de la finance verte). Il a joué un rôle déterminant en France et à l’international dans le développement de la prise en compte des enjeux climatiques par le secteur financier, notamment à l’occasion de la COP 21. Diplômé de l’École polytechnique, de l’ENSAE et de l’EHESS, il a travaillé au ministère de l’Économie et des Finances ainsi qu'au HM Treasury (ministère des Finances britannique).



Jean Boissinot
Jean Boissinot
Jean Boissinot, vous traitez dans votre livre paru aux éditions Dunod, de la Finance Verte. À l’heure où certains établissements sont pointés du doigt pour leurs démarches, peut-on dire que la Finance est crédible dans ses engagements durables ?
 
La finance verte est un sujet controversé, en partie à juste titre. Certains établissements y ont principalement vu un argument marketing. Ce type de démarche manque souvent de cohérence et d’ambition.
 
Néanmoins, depuis la COP21, le changement climatique s’est progressivement intégré dans l’ADN du secteur financier et l’impact de ce développement est à la fois concret et significatif : ayant cessé d’ignorer les perspectives climatiques et comprenant la transition engagée vers la neutralité carbone de nos économies, la finance peut jouer un rôle d’accompagnement et d’accélération de cette transition.
 
Depuis quelques années, notamment sous l’impulsion d’initiatives auxquelles j’ai eu la chance de prendre part (par exemple, le NGFS, un réseau de banques centrales et de superviseurs qui rassemble 140 membres et observateurs), on voit une accélération et un approfondissement de cette prise en compte. Aujourd’hui, le secteur financier est réellement en capacité d’apporter sa contribution à notre transformation collective.
 
Comment démêler ce que la finance verte a d’utile de ce qui est accessoire, voire fallacieux ?
 
Le rôle de la finance, c’est d’intermédier entre une offre et une demande de financement, de reconnaître des opportunités et de gérer les risques. Le problème vient de ce que le changement climatique et les défis environnementaux sont longtemps restés dans un angle mort.
 
Tout ce qui va dans le sens de réduire cet angle mort correspond à une démarche a priori sérieuse. Mais lorsque l’on veut faire de la finance verte le moteur principal de la transition climatique ou le supplétif de politiques environnementales défaillantes, elle n’est plus dans son rôle et ne peut que décevoir. De la même manière, lorsque la finance verte est un simple vernis sur des pratiques ou des produits financiers sans reconnaître la réalité du changement climatique, il s’agit au mieux d’un gadget anodin.
 
L’initiation de la finance verte, c’est la nécessité de prendre pleinement en compte les enjeux climatiques – et plus largement, environnementaux – dans la finance. Cette prise en compte impose de prendre les deux termes avec le même sérieux. La finance verte doit être financière tout autant qu’elle aspire à être verte.
 
De votre point de vue, quelles sont les actions à mener par le secteur de la finance pour atteindre une véritable crédibilité ?
 
Pour être réellement utile, accompagner et accélérer la transition, le secteur de la finance doit être capable de comprendre et de prendre en compte les enjeux climatiques. C’est par exemple ce que demande la Banque centrale européenne (BCE) aux banques qu’elle supervise. Comme elle vient de le publier, c’est un développement en cours.
 
Il y a un an, à peine 25 % des banques européennes analysaient les risques climatiques. Désormais, 85 % des banques ont une approche au moins basique des risques climatiques et environnementaux. Mais c’est encore insuffisant puisque la BCE estime que moins de 10 % des banques ont développé une prise en compte suffisamment prospective et granulaire et que 96 % d’entre elles présentent des lacunes significatives dans cette prise en compte.
 
Néanmoins, à l’échelle du secteur dans son ensemble, la BCE a été en mesure d’identifier de bonnes pratiques mises en œuvre par l’une ou l’autre banque pour l’ensemble de ses attentes. Être véritablement crédible dans ce domaine, c’est accélérer ces progrès et converger rapidement vers l’ensemble des meilleures pratiques.
 
D’une manière générale, la finance verte est en cours d’élaboration. Il s’agit donc à la fois d’expérimenter de nouvelles solutions (pour adapter son activité aux nouvelles circonstances : analyse et gestion des risques, gestion des investissements, évolution des polices d’assurance, de produits financiers, etc.) en reconnaissant que ce qui est fait devra continuer à s’améliorer.
Le gage de la crédibilité, c’est donc à la fois le sérieux de la démarche, son enracinement dans la stratégie de l’institution, la capacité de mise en œuvre opérationnelle et la volonté s’améliorer.
 
Quelles en seraient les conséquences concrètes pour notre économie ?
 
D’une manière générale, la transition vers la neutralité carbone est une dynamique collective : il faut à la fois : une action des pouvoirs publics afin de corriger l’absence de coût des émissions de gaz à effet de serre, soutenir l’innovation et aider à la coordination de la transition ; des changements de comportement des acteurs économiques (entreprises, particuliers) et, en particulier, des investissements de leur part pour s’adapter à l’objectif de neutralité carbone (des investissements dont la « rentabilité » repose sur l’efficacité des politiques climatiques) ; et un secteur financier capable d’accompagner et d’accélérer cette transition en reconnaissant les opportunités liées à la transition, en prenant en compte immédiatement les politiques climatiques (dans certains cas, en les anticipant dès lors qu’elles deviennent suffisamment probables) et en identifiant plus précisément les projets obsolètes.
 
Le développement de la finance verte est un complément puissant aux politiques climatiques qui les rend plus efficaces et un appui précieux aux entreprises qui s’engagent dans la transition en contribuant à ce qu’elles trouvent des interlocuteurs préparés à les accompagner dans cette transformation.