Dans ce premier livre à destination du grand public, il montre comment les techniques d’intelligence artificielle bouleversent la pratique de la médecine et nous plongent dans la peau du patient du futur. Le livre a une vocation pédagogique et nous introduit aux différentes approches de l’IA. Jean-Emmanuel Bibault distingue l’IA de l’apprentissage machine qui a été « entraînée sur de larges bases de données, sans règles préalables et les définit elle-même » (machine learning ainsi que deep learning) de l’IA dite symbolique qui correspond à un « algorithme construit à partir des connaissances d’experts. »
Une croissance enfin affirmée
L’auteur rappelle qu’à la fin des années 60 cette IA symbolique n’a pas tenu toutes ses promesses et a donc subi une forte perte d’influence avec de faibles financements durant les années 70. Pourtant c’est dans cette même décennie que l’IA commence à intéresser le secteur médical avec en particulier un article visionnaire du Dr William Schwartz dans le New England Journal of Medicine qui explique que l’informatique remplacera dans certains cas le rôle du médecin traditionnel.
Parmi les spécialités médicales, l’ophtalmologie est l’une des plus en pointe dans l’utilisation de l’IA en particulier avec l’analyse du fond de l’œil et les rétinopathies. Dès 2016, une équipe de chercheurs Google a pu démontrer que pour diagnostiquer une rétinopathie diabétique : les performances de l’IA sur la base de 228 000 images rétiniennes se sont avérées plus efficaces en comparaison de celles de sept ophtalmologues experts américains sur plus de 11 000 nouvelles images de rétines.
Selon Jean-Emmanuel Bibault, la cancérologie, de par sa dimension multidisciplinaire et la grande quantité de paramètres nécessaires à la formalisation d’un diagnostic et d’une thérapie, sera également très impactée par l’IA en particulier pour la personnalisation des soins. À Paris, on peut citer l’exemple du projet CARPEM très orienté sur les bases de données (Cancer Research for Personalized Medicine) qui réunit 350 chercheurs et médecins dédiés aux soins et à la recherche sur le cancer.
Les limites de l’IA
Mais l’une des limites de l’utilisation de l’IA est liée aux bases de données, car en cas de pathologie ou de tumeur rare, les données en question sont en principe très limitées ce qui réduit considérablement la pertinence de l’IA dans un tel contexte.
Parmi les autres limites, l’auteur insiste aussi sur des biais possibles. Il relève en particulier le cas de chercheurs de Stanford qui ont démontré dans une étude de 2017 publiée dans Nature que l’utilisation du smartphone pour scanner des lésions cutanées et réaliser des diagnostics en direct pouvait présenter de sérieuses limites. En effet les bases de données prenaient en très grande partie en compte les peaux blanches dans leurs analyses. Le cas des lésions cutanées liées aux peaux noires ne pouvait alors bénéficier du moindre diagnostic crédible. Au-delà de ce cas spécifique, les risques discriminatoires sont bien réels dans le cadre de nombreuses utilisations de l’IA.
Par ailleurs, comme l’ont montré les chercheurs McDermott et Wang dans une étude du MIT de 2021, les bases de données dans l’IA appliquées à la médecine avaient tendance à être de moins bonne qualité que dans d’autres domaines.
Il n’empêche que la France possède de réels atouts dans l’utilisation de ces bases de données. L’auteur cite ainsi l’exemple du Health Data Hub lancé par le ministère de la Santé et des Solidarités qui vise à la fois à favoriser l’utilisation des données de santé et permettre le développement de nouvelles techniques avec des instituts interdisciplinaires d’IA.
Des questions éthiques
Mais l’IA pose aussi des questions éthiques majeures. Comme le rappelle l’auteur : comment informer un malade sur une prévision probable de maladie grave ? Quelles sont les implications psychologiques d’une telle décision ? Quels enjeux pour les assurances santé et les services financiers ? Comment assurer une anonymisation des données et une IA performante ? Les données appartiennent-elles véritablement aux patients comme semble le suggérer l’évolution récente de la jurisprudence ? Ces derniers peuvent-ils alors les vendre pour être rémunérés ?
Autant de questions que l’ouvrage met à juste titre en relief.
L’auteur a le mérite de ne pas tomber dans la fascination propre à ce sujet et dans une démarche prospective n’exclut pas que l’IA subisse un « nouvel hiver » comme elle en a subi par le passé et que « le bénéfice clinique réel de ce type de systèmes » ne soit pas validé. On peut simplement regretter que l’auteur se contente parfois d’une liste d’expériences, certes significatives, mais qui auraient pu bénéficier d’une réflexion plus poussée voire d’une narration plus incarnée.
Cela dit il s’agit d’un bon ouvrage d’introduction sur un sujet vaste et complexe. Eric Przyswa
Eric Przyswa est consultant en affaires publiques dans le secteur du numérique, de l’industrie et des risques (risk05). Il est aussi impliqué dans des travaux éditoriaux qualitatifs. Il a été par le passé chercheur à Mines ParisTech et consultant marketing. Formation : Docteur en gestion, Dauphine et Sciences Po Paris. https://www.risk-05.com