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Réchauffement climatique : le prix de l'inconséquence

La Rédaction
09/05/2014





(Licence Creative Commons)
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A-t-on déjà « chiffré » le prix de l’inaction ?

Oui, cela a été notamment fait en 2006 par l’économiste Nicholas Stern dans un rapport plutôt alarmiste sur l’impact du changement climatique pour l’économie mondiale qui a eu un grand retentissement. Celui-ci démontrait qu’en cas de non réaction, les coûts pour l’économie mondiale seraient équivalents à une perte annuelle du PIB mondial d’au moins 5 %, soit l’équivalent de l’impact d’une guerre mondiale ou de la dépression économique des années 1930. Or, le défi représenté par le réchauffement climatique pour l’économie mondiale sera d’autant plus important qu’il devrait se combiner à d’autres défis : ceux de la croissance de la population mondiale de quelque 2,5 milliards d’ici 2050, de l’urbanisation massive dans le monde, et de la montée des classes moyennes dans les pays émergents, qui aspirent à se procurer une automobile, à voyager, notamment en avion, et à manger de plus en plus de viande, soit autant de facteurs supplémentaires d’émissions de gaz à effet de serre.

Ces derniers éléments représentent une excellente nouvelle pour l’économie mondiale, mais potentiellement une mauvaise nouvelle pour le climat. Comment combiner les deux, cela devrait être l’une des questions-clefs du XXIe siècle. Proposer aux populations qui sortent massivement de la pauvreté un modèle de « décroissance » ne semble pas être très approprié, tandis que leur quête d’un mode de vie à l’occidentale, c’est-à-dire d’un mode de vie contribuant à émettre beaucoup de CO2, ne paraît pas soutenable à terme. En clair, inciter les classes moyennes chinoises ou indiennes à renoncer à l’automobile ne semble pas crédible, tout comme il ne paraît pas très raisonnable que plus d’un milliard de Chinois et d’Indiens roulent en SUV. Il en est de même pour la consommation de bœuf. Y renoncer totalement pour des raisons environnementales ne paraît pas envisageable, mais si les Chinois ou les Indiens en consomment comme les Américains, cela risque de poser quelques problèmes. Il faudra donc trouver une troisième voie entre d’une part le mode de vie occidental tel qu’il existe aujourd’hui, et auquel aspirent ces classes moyennes, et d’autre part un modèle économique de décroissance tel qu’il est prôné par de nombreux écologistes. Cette troisième voie pourrait passer par exemple par l’utilisation de plus en plus massive de véhicules électriques, le recourt à une plus grande consommation d’insectes dont la valeur en protéines est aussi élevée que la viande de bœuf, etc.

Quel serait d’ailleurs l’impact du réchauffement climatique sur l’agriculture ?

Cet impact se fait d’ores et déjà sentir. Le Giec, dans un rapport publié en mars dernier, a indiqué que le réchauffement de la planète avait déjà un impact négatif sur les rendements agricoles, en particulier de blé et de maïs dans plusieurs régions, et qu’il s’était aussi traduit par une flambée des prix des denrées alimentaires suite à des phénomènes climatiques extrêmes dans des régions productrices. On peut penser de ce point de vue à un épisode récent qui est lié à la vague de chaleur exceptionnelle, et aux incendies non moins exceptionnels, qui se sont produits en Russie, en Ukraine et au Kazakhstan durant l’été 2010. Ces pays ont alors connu de mauvaises récoltes de blé qui ont provoqué une hausse importante des prix sur les marchés internationaux. Cet épisode caniculaire serait-il lié au changement climatique ? Cela semble être difficile à dire dans l’état actuel des choses. Néanmoins, il est intéressant de noter qu’un rapport publié en 2013 par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) indiquait que la probabilité que des phénomènes comme les canicules que l’Europe a connu durant les années 2000, notamment en Russie et en Ukraine, s’est sans doute nettement accrue en raison de la hausse généralisée des températures, puisque ce même rapport indiquait que cette décennie avait été la plus chaude de l’histoire.

Les tensions sur les produits agricoles pourraient produire des effets en cascades ?

Des experts d’un centre de recherche américain sont allés jusqu’à considérer que la multiplication des mouvements protestataires dans le monde depuis la fin de l’année 2010, avec en particulier les révoltes dans le monde arabe, serait principalement liée à cette évolution des prix des denrées alimentaires. Ils ont même identifié un seuil à partir duquel la probabilité que des émeutes se produisent est élevée. Or, si l’on estime que ces prix élevés sont en grande partie liés aux effets du changement climatique, on peut en conclure, au moins de façon prudente, que l’évolution du climat n’est pas sans rapport avec les mouvements de protestation que l’on a connus ces dernières années, notamment dans le monde arabe.

Le cas syrien me paraît très intéressant de ce point de vue. La Syrie a, en effet, connu une sécheresse sans précédent durant les années 2000. Si, auparavant, la sécheresse durait une seule saison, là, elle a duré jusqu’à quatre saisons consécutives. Celle-ci a eu donc des conséquences dramatiques pour le secteur agricole. Des centaines de milliers de paysans ont été contraints de quitter leur terre. Ceux-ci se sont alors réfugiés dans les principales villes du pays en reprochant aux autorités d’avoir très mal géré cette situation. On peut même considérer que le déclenchement du conflit que le pays connaît depuis mars 2011 n’est pas sans lien avec cette sécheresse puisque la ville où tout a commencé, Deraa, a connu cinq années de sécheresse et de pénuries d’eau avant le conflit et abritait alors près de 200 000 migrants en provenance des campagnes pour une ville de moins de 80 000 habitants. Or, nombre d’observateurs estiment que cette sécheresse historique en Syrie, sa durée et son intensité ne peuvent pas être uniquement liées à des phénomènes naturels, à la variabilité naturelle du climat et donc qu’elle aurait été provoquée en grande partie par le changement climatique. On peut donc estimer que le réchauffement climatique a aussi vraisemblablement joué un rôle non négligeable dans le déclenchement du conflit syrien.

D’autres secteurs seraient-ils touchés ?

Oui, on peut penser notamment au tourisme, un secteur-clef de l’économie française, car celui-ci, à l’instar du secteur agricole, est particulièrement sensible au climat.

On estime généralement, en effet, que les principales motivations du touriste sont le climat, d’où l’attrait des « pays chauds », la beauté de l’environnement naturel et la sécurité personnelle. Or, il est évident que le changement climatique devrait affecter ces trois dimensions avec, premièrement, une augmentation plus ou moins importante des températures à venir, notamment dans les régions touristiques actuelles (on peut penser notamment à la région méditerranéenne), deuxièmement, une modification des paysages, liée à la sécheresse, aux incendies, à l’érosion du littoral, etc., et troisièmement, une dégradation prévisible des conditions de sécurité compte tenu de l’accroissement des phénomènes climatiques extrêmes (cyclones, inondations, avalanches, incendies, etc.).

Parallèlement, les classes moyennes dans les pays émergents aspirent à voyager et à découvrir le monde, ce qui pourrait conduire à un doublement, voire à un triplement du nombre de touristes internationaux dans les décennies à venir. On devrait par conséquent assister à une importante mutation du tourisme : des lieux touristiques (en France, par exemple, la Bretagne et la Normandie pourraient devenir plus attractives durant l’été que la Côte d’Azur), de la saisonnalité (les températures devraient être plus clémentes hors saison et l’été pourrait devenir suffocant dans certaines régions) ou des flux touristiques (les touristes qui se déplacent massivement d’Europe du Nord vers la Méditerranée pourraient rester davantage chez eux à partir du moment où les températures y seraient plus agréables l’été et où celles de la région méditerranéenne pourraient devenir difficilement supportables).
On peut aussi estimer qu’une partie du tourisme tel qu’il existe aujourd’hui (déplacements en avion long courrier, ski, etc.), qui relevait de pratiques élitistes dans les années 1950, pourraient redevenir élitiste dans les années à venir étant donné l’impact en termes d’émissions de gaz à effet de serre du transport aérien, qui pourrait devenir bien plus coûteux, et de la raréfaction de la neige et donc des stations de ski.

Réchauffement climatique : le prix de l'inconséquence

Eddy Fougier est politologue, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et chroniqueur régulier pour le site wikiagri.fr. Il enseigne notamment à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Nantes, à l'Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ) et à l'Université internationale de Casablanca (UIC). Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Fiches d'actualité et de culture générale (Ellipses, 2014).

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