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La propriété intellectuelle peut-elle garantir un avenir durable?

22/08/2013





III. La nature est-elle encore un bien commun ?

Dès lors que l’appropriation du vivant est privatisée, des questions se posent automatiquement quant à la considération de la nature comme un bien commun. Le mouvement des enclosures en Angleterre constitue déjà un des exemples du changement. Les droits d’utilisation collectifs ont été remplacés par des titres d’usage individuels, dans le cadre d’un régime de propriété privée. Des millions de paysans se sont retrouvés dans l’obligation d’abandonner leurs méthodes traditionnelles et d’avoir recours à des semences transgéniques. Ainsi,  l’appropriation du vivant se retrouve également sujette à des limites, notamment à travers les nouveaux régimes de brevets. Il reste néanmoins que, contrairement au domaine foncier, plutôt basé sur un modèle bien défini, l’appropriation du vivant relève surtout d’un droit d’exploitation future et d’une propriété incorporelle. Des clôtures ne peuvent pas réellement être mises en place, étant donné la nature même du vivant, si l’on ne se réfère qu’à ses conditions de reproduction.
 
Droits de propriété… une extension illimitée
Depuis les premiers critères établis au XIXème siècle, les droits de propriété sont sujets à une évolution quasi permanente. Constituant désormais un régime exclusif dans le cadre de la protection, le système des brevets devient automatiquement l’objet d’une extension pratiquement illimitée. La convention UPOV ou Union pour la Protection des Obtentions Végétales, officialisée en 1968, forme l’un des points de départ de l’appropriation végétale en Europe. Il s’agit d’une convention permettant au détenteur du brevet d’avoir le droit d’exploitation exclusif sur une variété végétale. Une appropriation définie par un Certificat d’Obtention Végétale qui, cependant, se limite à ne fournir qu’un droit d’exploration, et ne donne pas à son détenteur le pouvoir de s’opposer aux actions effectuées sur l’espèce en question pour en produire de nouvelles.
 
Seule « la combinaison spécifique des gènes constituant la variété » entre dans le champ de protection du système, « mais non les gènes eux-mêmes », précise Alain Claeys. Le propriétaire dispose ainsi d’un « libre accès à la source initiale de variation ». Et « toute variété… peut être librement utilisée… pour un nouveau programme de création végétale », tant qu’il s’agit des gènes initiaux.
 
Si jusque-là, le régime de propriété s’était limité à un droit d’exploitation exclusif, l’entrée plus accentuée du système de brevet signe une importante extension, en permettant désormais la brevetabilité du vivant lui-même. Entre découverte et invention, les limites se dissipent. La complémentarité entre connaissances et exploitations de ces dernières, délimitée jusque-là par le droit de la propriété intellectuelle, se retrouve désormais combinée, étant donné que « ce sont ici les connaissances elles-mêmes qui sont au cœur du système d’appropriation ». Il n’est plus question d’usage, mais d’appartenance exacte des savoirs. L’évolution du système de propriété est également marquée par le caractère « futur » des inventions brevetées. « Il ne consiste plus en une ‘’récompense’’ attribuée à l’inventeur en échange de la divulgation de son invention ». Il s’agit désormais d’exploration, de monopole, pour les découvertes à venir.
 
Les frontières sont dépassées, et les limites de moins en moins définissables. Le concept de droit de propriété accompagnant le domaine foncier est alors, automatiquement, remis en cause.