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Vers une mobilité écoresponsable : le rôle central du ferroviaire dans le développement durable

La Rédaction
12/09/2023



Le ferroviaire, au cœur des enjeux du développement durable, est-il à la croisée des chemins ? François Kooh, expert en cybersécurité auprès d'un grand opérateur de transports ferroviaires, nous livre sa vision éclairée sur la place centrale du rail dans une mobilité écoresponsable. Dans cette interview approfondie, il aborde les défis et opportunités du secteur, tout en mettant en lumière les disparités économiques et stratégiques entre les différents modes de transport. Plongez dans cet échange riche pour comprendre les mécanismes et les solutions envisagées pour un avenir ferroviaire plus vert.



Comment voyez-vous l'évolution du fret ferroviaire en Europe pour atteindre les objectifs de transport durable et quels sont les obstacles à surmonter pour parvenir à l'objectif de 30 % de transport par le rail d'ici 2030 ?

Le pacte vert pour l’Europe publié en 2019 a fixé comme objectifs pour les transports une réduction de 90% des émissions de CO2 du secteur d’ici 2050. Dans les 25% de Gaz à Effet de Serre (GES) qu’émet le secteur du transport, la route détient 72% et le ferroviaire que 0,4%. Selon l’INSEE, le transport routier représentait en 2018, 821 milliards de voyageurs-kms. On se rapproche des mêmes chiffres d’avant COVID en 2023. Concernant le fret, le choix du remplacement de 45 camions poids lourds qui émettent 44 tonnes de CO2 par un train équivalent en potentiel de charge qui n’émet que 3 tonnes de CO2 est le choix idéal pour être au rendez-vous des transports décarbonés en 2030. Et comme le dit si bien Matthias Ruete de l’Institut Jacques Delors et coordinateur du Réseau de Transport Transeuropéen (RTE-T), « le ferroviaire européen n’a pas un problème de décarbonation mais plutôt d’attractivité ». 

Pour atteindre l’objectif de 30%, de manière pragmatique, il faudra par exemple soit doubler les volumes en augmentant les cadencements soit construire de nouvelles lignes pour moins impacter le transport voyageurs. Largement au-dessus de la moyenne du transport par le rail des passagers qui se situe à 7,8%, celui des marchandises bien qu’à 18,7% est encore loin des objectifs de 30%.  L’évolution du fret européen n’est pas uniforme. Huit pays dont l’Autriche, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède et les pays baltes ont des volumes de fret qui dépassent les 30% en raison des politiques mises en place en faveur du rail.

Les obstacles sont multiples et de tout ordre. Il y a un besoin de rénovation des réseaux vétustes, d’une harmonisation de la signalisation et des écartements de voie pour accélérer le ferroutage et réduire les temps et les coûts de transbordements ou de changement de bogies (roues-essieux).

Il est urgent de remettre une planification à long terme et ne plus considérer le ferroviaire sous le prisme d’un poste de dépense mais comme un investissement stratégique. En France par exemple, le plan de 4,7 milliards d’euros pour le fret dont plus 3,8 milliards de recapitalisation de SNCF et le reste environ 650 millions d’euros ont paru très insuffisants pour pouvoir augmenter significativement la part modale de 10,7% en 2021 et atteindre la moyenne européenne de 18%. Le nouveau plan de de relance de 100 milliards d’€ entérinant les recommandations du Conseil d’Orientation des Infrastructures (COI) et voté en février 2023 reste encore à clarifier en termes de modalités de financement des 6 à 7 milliards par an à trouver jusqu’en 2040. Il faudrait espérer des marges bénéficiaires conséquentes de SNCF, une contribution significative des régions, partenaires et des aides européennes ; ce qui n’est pas gagné d’avance ! En 2016 la Cour des Comptes Européenne dressait des constats sans équivoque. Les fonds alloués à l’infrastructure routière ont été globalement supérieurs à ceux alloués à l’infrastructure ferroviaire. De plus, le rapport indique que les redevances d’accès à l’infrastructure ferroviaire sont plus élevées que celles permettant d’accéder aux routes.  Ce qui est paradoxal alors que la commission européenne estime à 1000 milliards d’euros par an les coûts d’externalités négatives des transports en Europe (accidents, embouteillages, effets de la pollution et GES, etc.) qui devaient être pris en compte pour le calcul du coût réel (coût marginal social). 80% de ces coûts externes sont du fait de la route. Une étude de 2017 de l’UTP (Union des Transports publics) sur les coûts marginaux et des prélèvements des différents modes de transport fait apparaître que les incitations économiques sont déséquilibrées et nettement en faveur de la route, que ce soit pour les voyageurs ou les marchandises. De plus les projets d’autoroutes électriques pour maintenir encore plus de camions sur les routes et qui sont expérimentés dans certains pays et en l’occurrence la France seront de nature à réduire les investissements dans le rail et accélérer le report modal vers le rail. Outre leurs coûts de mise en œuvre exorbitants, ils ne permettront pas de réduire les coûts d’externalités négatives, et les coûts de leurs impacts sur les infrastructures.  Reste encore à savoir si ces économies dans le long terme seront de véritables leviers a minima transformables en investissements équivalents dans le ferroviaire.

Face aux dissensions au sein de l’Union Européenne et à l’investissement plus important d’autres régions du monde dans le transport ferroviaire, que nous réserve l’avenir du secteur ferroviaire en Europe ?

Des progrès sont visibles et le soutien par la Commission européenne en Janvier 2023 de 10 projets pour des nouvelles liaisons ferroviaires internationales notamment transfrontalières de jour comme de nuit sont à saluer au regard de l’urgence clairement affichée de leur mise en œuvre. Il reste beaucoup à faire pour que l’UE puisse se hisser à minima au niveau de la seule Chine qui ambitionne d’avoir un réseau de 272.000km en 2050 et qui s’est lancée dans un vaste programme mondial de « Nouvelles routes de la Soie ». Les Etats-Unis ambitionnent de prendre le leadership mondial dans le domaine du ferroviaire. Un budget de 88 Milliards d’euros a d’ailleurs été voté pour soutenir cette perspective. La Chine, seulement pour l’année 2015 avait mobilisé plus de 125 milliards d’euros et pour son 13è plan quinquennal (2016-2020) la somme colossale de 530 milliards d’euros au développement du ferroviaire.

Il faut clairement résoudre le problème de distorsion de concurrence avec la route non pas en la stigmatisant et en créant des clivages non productifs par le principe de pollueur/payeur mais en créant les conditions favorables et incitatives au report modal vers le rail. Il y a aussi à régler une autre distorsion vis-à-vis des concurrents non Européens notamment la Chine dont l’emprise sur le marché mondial et notamment européen va crescendo.

Pour booster le secteur tous les experts sont unanimes, il faut des investissements massifs des corridors et des liaisons avec une vision à l’échelle européenne. On pourrait citer par exemple la connexion à grande vitesse Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam-Londres, le projet Rail Baltica (de Tallinn à Varsovie), la liaison entre Lyon et Turin dont il faudrait accélérer les travaux.

En France le plan de relance de 100 Milliards d’euros dont le financement se baserait sur les péages risquent impacter négativement le coût du transport ferroviaire et retarder l’atteinte de ces objectifs.  L’Europe devrait orienter ses investissements sur le secteur ferroviaire qui pollue le moins sachant aussi qu’un milliard d’investissement dans le ferroviaire fait économiser l’équivalent de deux milliards d’externalités négatives actuellement supportées par les collectivités locales des différents pays.

Le programme du Rail Européen qui succède à Shift2Rail, la transformation numérique continue, l’alignement sur les standards techniques européens facilitant l’interopérabilité, des juridictions communes donnent une lueur d’optimisme sur l’avenir.

Vous discutez du coût plus élevé du voyage en train par rapport à l'avion en France. Quels sont, selon vous, les principaux facteurs contribuant à cet écart de prix ?

Le secteur ferroviaire a des coûts fixes élevés et qui ont une incidence directe sur le coût du transport.  Le fort maillage du réseau ferré français a un coût en terme d’entretien. De plus la vocation de service public du ferroviaire en France engendre des investissements dont la recherche de retour sur investissement se répercute sur le coût du péage. Il en est de même des coûts d’exploitation qui n’ont rien de comparable avec la route ni l’espace aérien où il n’y a rien à entretenir.  De plus le coût de l’électricité a encore quadruplé depuis 2021 alors que d’un autre côté il a été mis en place des dispositifs fiscaux d’exonération de taxe sur le kérozène et de TVA sur les vols internationaux.

Le ferroviaire paie 10% de TVA sur les billet et l’électricité utilisée pour faire circuler les trains est taxée à hauteur de 20%. Des compagnies dites low-cost mènent une concurrence déloyale qui a été dénoncée en 2021 et 2023 par l’ONG Greenpeace.  Le manque de volonté internationale de développement durable global pour une régulation tarifaire équitable maintiendra encore pour longtemps cet écart de prix si rien n’est fait.

Face à la disparité des coûts entre le transport aérien et ferroviaire, quel rôle peut jouer le gouvernement dans la promotion du transport ferroviaire comme moyen de déplacement plus durable ?

Il n’y a pas de secret, il faut des services ferroviaires diversifiés, compétitifs, de bonne qualité. Cela passe d’abord par un investissement ambitieux dans les infrastructures, une meilleure politique de gestion des sillons et de l’innovation pour attirer de nouveaux acteurs. De nouvelles offres de services, telles que les trains de nuit, le rétablissement de petites lignes avec des trains, légers, flexibles moins coûteux et adaptés aux besoins, une meilleure intégration dans un système multimodal garantissant le service des derniers kilomètres draineront une nouvelle clientèle jusqu’ici éloignée des gares. Le développement de plateformes intermodales pour faciliter les transports combinés, les interconnexions entre le rail, la route et les ports seront des leviers du report modal vers le rail.

Il faut des moyens pour une gestion intelligente de l’énergie (électrique), des ressources telles que le ballast, les traverses. Aussi, la garantie de fiabilité, de ponctualité des trains ainsi que de modes de gouvernance avec plus de transparence et d’inclusivité mettront le ferroviaire sur les rails d’une industrie éco-responsable et durable.

A minima, il faudrait rattraper le niveau d’investissement public des autres pays européens tel que l’Italie ou l’Allemagne. La France est le parent pauvre en matière d’infrastructure. On investit en argent public par habitant 45€ en France, 585€ aux Pays-Bas, 400€ Suisse, 130€ en Autriche et environ 90€ en Italie, en Allemagne et en Belgique.

Aussi, il serait urgent d’impulser et ou soutenir une politique ambitieuse d’offre attractive afin que le train soit le premier choix de mobilité aussi bien pour les personnes que pour les marchandises.