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Soutenir les énergies renouvelables : entretien avec Christophe Mianné, Société Générale

« Le succès de la transition énergétique passera par la volonté des banques à la financer »

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25/10/2016



Le financement de la transition énergétique est un défi que la société civile devra se résoudre à relever sans le plan Marshall qu’une frange des élus de la République appelait de ses vœux depuis le Grenelle Environnement. Devant l’évidence de la crise, les états européens y préfèrent le levier réglementaire pour mobiliser des sources de capitaux privés et réorienter une partie de l’épargne vers l’économie verte. Dès lors, l’intermédiation des marchés de capitaux et des banques privées joue un rôle essentiel dans le développement des technologies d’avenir. Christophe Mianné, Directeur Délégué de la Banque de Grande Clientèle et Solutions Investisseurs de Société Générale, le sait mieux que quiconque : sans les banques, la transition énergétique risque bel et bien de rester un vœu pieux.



Crédit Photo: IngImage
Crédit Photo: IngImage

Concrètement, quel est le rôle d’une BFI comme celle de Société Générale dans le financement de la transition énergétique ?

Nous proposons 3 grands types de services - le conseil, la structuration et le financement – à travers lesquels nous soutenons de nombreux projets greentech. Société Générale a par exemple soutenu financièrement depuis 2007 de très nombreux projets éoliens en mer, que ce soit en Belgique, en Allemagne, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, et bientôt en France avec l’ambition d’être impliquée sur près de 3GW d’ici 2018, ce qui correspond à l’alimentation d’environ 3 millions de foyers.

En 2015, nous avons accompagné la société Neoen dans le financement du plus gros parc photovoltaïque d'Europe à Cestas, près de Bordeaux, ainsi que dans le financement des nouvelles fermes éoliennes de Hornsdale en Australie, un parc d’une capacité totale de 170 MW qui a une véritable dimension stratégique pour l'Australia Capital Territory. Ce parc couvrira près de 20% des besoins énergétiques de la région, l'aidera à atteindre son objectif ambitieux de produire 90% de son électricité à partir de sources renouvelables d'ici 2020, et permettra de créer plus de 250 emplois dans la région pendant la phase de construction.

En 2016, Société Générale a également conseillé Enbrige, l’un des leaders de l’énergie au Canada, lors de son acquisition de 50% de trois parcs éoliens maritimes auprès d’EDF et de Dong. Et plus récemment, nous avons accompagné le financement du plus grand projet de ferme éolienne offshore d’Allemagne, le « 396 MW Merkur », détenu par le consortium Partners Group, InfraRed Capital Partners, DEME et GE.

Les nouvelles technologies énergétiques et environnementales vont-elles devenir un domaine d’activité stratégique à part entière pour les banques ?

En 2016, nous anticipons que plus de 82% de nos nouveaux engagements déployés dans le secteur de l’énergie seront en direction de projets d’énergie renouvelable. Et nous avons annoncé être en mesure de doubler notre soutien au secteur des énergies renouvelables et déployer jusqu’à 10 milliards d’euros d’ici 2020. C’est très engageant pour la banque, car c’est bien elle qui porte le risque, mais compte tenu des enjeux sociétaux et climatiques, c’est le type de risques que Société Générale endosse avec détermination et pragmatisme. Notre vision est que le succès de la transition énergétique passera par la volonté des banques à la financer.

Pourquoi les banques s’y refuseraient-elles ?

Certaines énergies renouvelables sont relativement matures, d’autres moins. Certaines en sont encore au stade de développement. Et les états qui se sont engagés dans la transition énergétique ont mis en place des environnements réglementaires parfois instables. En conséquence, c’est un secteur qui présente un profil de risque particulier qui peut engendrer des réticences de la part de certaines banques. Cependant, les technologies et les schémas réglementaires de soutien ont beaucoup progressé ces derniers temps, tandis que les coûts de production de l’énergie renouvelable baissent en continu.  De ce fait, la viabilité économique de certains projets industriels est une réalité, même sans subventions de l’Etat. L’environnement est donc devenu propice au financement bancaire. Mais il est vrai que chaque banque a un niveau d’engagement différent dans les greentech en fonction de ses convictions, notamment quant au fait de considérer l’énergie verte comme un effet de mode ou au contraire, comme une transformation structurelle et pérenne de notre société.

Quelle est précisément la position de Société Générale sur ce sujet ?

Nous avons depuis longtemps la conviction que la transition énergétique est une lame de fond qui révolutionnera le secteur pour des décennies. Dès 2003, Société Générale s’est intéressée aux technologies, aux enjeux, et s’est investie dans la compréhension et le soutien des projets d’énergies renouvelables de ses grands clients. Forte de cette antériorité, Société Générale est aujourd’hui l’une des premières banques dans le financement de la transition énergétique. Aujourd’hui, le secteur bancaire dans son ensemble nous emboîte le pas, certes à des degrés variés, mais cela semble augurer l’amorçage d’une dynamique dont on ne peut que se féliciter. 
 
En 2016, nous anticipons que plus de 82% de nos nouveaux engagements déployés dans le secteur de l’énergie seront en direction de projets d’énergie renouvelable.

Vous vous montrez volontiers assertif quant à l’accélération de la transition énergétique, mais peut-on considérer pour autant que la demande est suffisante pour tirer l’économie du secteur dans les années à venir ?

D’un point de vue purement prospectif, l’énergie est une ressource indispensable à la vie quotidienne, et pour plus d’un milliard d’habitants sur terre, l’accès à l’électricité est encore un objectif prioritaire. La croissance démographique est telle que des besoins ne cessent de croître. Il en découle des besoins colossaux pour le financement des grands projets de production d’électricité à base d’énergies renouvelables.

Il y a aujourd’hui une réelle volonté politique. Elle a été amorcée au début  des années 2000, et s’est concrétisée d’abord, avec le « Paquet climat énergie  » en Europe avec des objectifs en matière d’émission de gaz à effet de serre, de gain d’efficacité énergétique et de part d’énergie renouvelable dans la consommation d’énergie de l’UE, puis plus récemment avec le « Paquet 2030 ». En 2014, de nouvelles règles européennes ont renforcé et favorisé le développement de la transition énergétique avec pour la France par exemple, la loi sur la transition énergétique pour une croissance verte. Ces règles ont été déclinées pays par pays, et nous avons maintenant un cadre législatif dans toute l’Europe qui rend la transition énergétique certaine.

Les chiffres confirment cette tendance : sur la seule année 2015, 330 Milliards de dollars ont été investis dans l’énergie renouvelable dans le monde, un montant qui a été multiplié par 5 en 10 ans. En 2015, près de 90% de la nouvelle génération d’électricité provenait d’énergies renouvelables. L’industrie en tire d’ailleurs un bénéfice immédiat. Le coût de fonctionnement des technologies solaires, éoliennes terrestres et éoliennes maritimes a considérablement diminué au cours de ces 5 dernières années. D’ailleurs, l’Agence Internationale des Energies Renouvelables ou l’Agence International de l’Energie n’hésitent pas à confirmer pour les années à venir des scénarii extrêmement ambitieux dans lesquelles toutes les énergies renouvelables vont croître de façon considérable.

En matière de conseil et de structuration, quel est le rôle de la banque ?

Une banque d’investissement accompagne ses clients dans leurs recherches d’opportunités d’investissement ou dans leurs recherches de financement. Si l’on prend l’exemple de l’éolien maritime- une industrie récente - les technologies de turbines ou relatives aux fondations évoluent extrêmement rapidement. Quant aux méthodes d’installation en mer, chaque nouveau projet apporte des options jusqu’alors inexplorées. Il est donc indispensable de construire avec les fournisseurs et les installateurs des schémas juridiques robustes qui permettront de réduire les risques supportés par les investisseurs et les banques. Société Générale intervient ainsi en tant que conseil sur plusieurs grands projets de ce type, et nous lèverons pour ces projets plusieurs milliards d’euros de dette dans les mois à venir.

Sachant que ces projets s’étalent souvent sur plusieurs années de construction et d’exploitation,  la structuration consiste à organiser la dette de façon appropriée en termes de maturité, de devises, de couverture de risques tels que ceux liés aux évolutions des taux d’intérêts et parfois de matière première (fer notamment), etc. La banque va ensuite chercher à lever cette dette soit auprès d’autres banques, soit auprès d’investisseurs qui souscrivent des  « project bonds » ou « green bonds ».

Justement, que penser des green bonds ? Est-ce un effet de mode ?

Les « green bonds » sont des obligations émises par des entreprises mobilisées pour la protection de l’environnement. Ce type de financement est un bon instrument pour la promotion de la transition énergétique. L’émetteur s’engage véritablement en ce sens, à travers un cahier des charges précis, et respecte l’usage des fonds dans le cadre de projets éligibles uniquement. Il doit également fournir un rapport régulier sur l'avancée des projets et les mesures d'impact.

Fin 2015, Société Générale a réalisé avec succès l’émission de la première obligation à impact positif, dont les fonds levés sont exclusivement utilisés pour financer des projets contribuant à la lutte contre le changement climatique. Société Générale utilise ainsi son expertise en matière de structuration financière et de distribution pour participer à la construction d’un marché obligataire durable, en élargissant les sources de financement sur les marchés de capitaux pour les projets de développement durable. Cette émission a suscité une forte demande des investisseurs avec une souscription finale de plus de 3 Mds d’euros auprès de plus de 170 investisseurs. Cela montre que les green bonds ont un bel avenir devant eux.

Un autre exemple de l’essor que connaissent les green bonds : en juin 2016, nous avons accompagné la première émission obligataire verte offshore du secteur automobile chinois pour Zhejiang Geely. Cette émission est destinée à financer ou refinancer des projets de conception, de développement et de production de véhicules zéro émission par sa filiale britannique London Taxi Company, constructeur des célèbres taxis noirs londoniens. En 2016, nous avons poursuivi cette démarche avec une 2ème émission obligataire à impact positif réussie. Ce n’est pas un effet de mode mais une réelle avancée pour la transition énergétique.

Quels sont les avantages pour les émetteurs ?

Les émissions d’obligations vertes permettent de diversifier la base d'investisseurs en l'élargissant à de nouveaux fonds dédiés à l'ISR et d'étendre la distribution géographique. Actuellement, la liquidité des marchés de capitaux étant importante, ce degré supplémentaire de diversification ne se traduit pas par un avantage tangible en termes de prix, mais cela pourrait changer à l'avenir si les investisseurs se montraient plus sélectifs.

Accessoirement, les « green bonds » bénéficient d'un écho favorable dans la presse, ce qui permet aux émetteurs de renforcer leur leadership sur les thématiques ESG (Ndlr : « Environnement, Social et Gouvernance ») et en matière d'innovation sur les marchés de capitaux.

Les pouvoirs publics ont-ils un rôle conjoint à exercer avec les banques dans le financement de la transition énergétique ?

Bien sûr, et ils le jouent déjà : d’abord en mettant en place un cadre législatif incitatif qui permet aux porteurs de projets de vendre l’énergie produite dans des conditions acceptables. Par exemple, les dispositifs d’énergies renouvelables peuvent injecter de façon prioritaire l’énergie produite dans le réseau de distribution d’électricité. Ce droit prioritaire est capital.

L’Union Européenne a fixé, en juillet 2014, un cadre qui s’impose à l’ensemble de ses Etats membres afin d’harmoniser les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables, et ce dans le but d’atteindre les objectifs ambitieux qu’ils se sont collégialement fixés. Et chacun des Etats membres décline ensuite ces directives à travers les lois de transition énergétique.

En matière de soutien financier, les technologies les plus innovantes doivent également bénéficier d’aides au développement. C’est par exemple le cas de l’éolien en mer flottant ou encore de l’hydrolien pour lesquels la France a récemment lancé des Appels à Manifestation d’Intérêts qui devraient permettre le développement de fermes pilotes au large de nos côtes.