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Puisque demain ne peut être qu’Incertain

Ann Defrenne-Parent
17/11/2020



« Avec l’Incertitude en toi, il n’y a plus d’innocence possible. » J. Defrenne

Puisque demain ne peut être qu’Incertain, l’entreprise de ce troisième millénaire se doit d’être consciente que la post-industrialisation n’est plus la grille de décryptage du fonctionnement et du développement organisationnel. Désormais, la société se décode en termes d’Incertitude.



Le management est d’autant plus désarçonné, par rapport à l’efficacité de toute prise de décision, que la libération de l’énergie nucléaire, l’informatisation et la prolifération des informations, les atteintes aux écosystèmes et à la biosphère, les recherches biomédicales ainsi que la réalité virtuelle et la réalité augmentée procèdent selon une vitesse exponentielle, irrégulière, surstimulatrice et déstabilisatrice du changement.
 
Exponentielle : de par l’effet synergique, toute connaissance particulière devient universalisante, interrogeant l’ensemble des sciences et techniques provoquant, par rétroaction, une puissance d’expansion jusqu’alors inconnue.
 
Irrégulière : les changements techniques, économiques, sociaux, financiers, psychologiques, biologiques, neurophysiologiques… n’évoluent pas selon la même rapidité.
Leur découverte et leurs applications procèdent suivant un modèle erratique.
 
Exponentialité et irrégularité entraînent une surstimulation, d’autant plus que les individus, les groupes et les organisations ne disposent pas d’un différentiel d’adaptation aux vitesses labiles de l’évolution. Ils sont à l’ère de la nanoseconde, en situation permanente d’hiatus et d’inappropriation par rapport à l’action efficace.

La surstimulation provoque, sous l’effet du stress, une déstabilisation.
Cette déstabilisation est renforcée par la double dialogique de l’évolution technologique : ordre et désordre, puissance et impuissance.
Celle-ci rend le résultat de l’adaptation malaisément anticipable, toujours en deçà de l’efficacité et de la pertinence.
 
De plus, force est de constater que les stratégies d’entreprises sont marquées par la mondialisation, les restructurations, les délocalisations, les réorganisations, le changement permanent, les contraintes, les risques, les dysfonctionnements…

Autant de situations et d’éléments qui génèrent, eux aussi, simultanément de l’ordre et du désordre ainsi que des vécus paradoxaux de puissance et d’impuissance.
 
Ces paradoxes enchevêtrés, tout autant que les situations qui les génèrent et qui les portent, déstabilisent le quotidien de tout un chacun, quelle que soit sa place dans la structure hiérarchique.
Ils dramatisent les vécus de crise, déjà bien engrammés dans nos parcours personnels et professionnels. Catastrophe, contamination, pollution (bio)terrorisme, chantage, violence, grève, licenciement… font, en effet, partie irréfragablement de nos vies et des organisations.
À défaut de ressources novatrices, à réajuster sans cesse, les dirigeants et les travailleurs développent immanquablement des vécus désadaptatifs et des conduites dysfonctionnelles au travail.

Ainsi, nous trouvons aujourd’hui, dans toute organisation, quelle qu'elle soit, le stress et la souffrance psychique au travail, le sentiment d’insécurité, l’insatisfaction et la démotivation, la désimplication autant que la surimplication, le désinvestissement, la fatigue, l’aliénation, l’absentéisme, les comportements de fuite, d’agressivité et de manipulation…

Nous voyons aussi se déployer l’exercice pathologique des jeux de pouvoir, comme en témoigne la problématique de la violence organisationnelle, dont notamment le harcèlement moral au travail.
 
Ce paysage organisationnel relève de la moins-value du management, témoin de l’appropriation défavorable d’un sentiment d’Incertitude à la fois généralisé et enclavé dans le monde du travail.
La dramatisation de ces vécus désadaptatifs et de ces conduites dysfonctionnelles ne fait qu’accroître la vulnérabilité des individus et des groupes ainsi que la fragilité des organisations par rapport à la société de l’Incertitude.
 
Les travaux d’Ilya Prigogine sur les structures dissipatives éclairent notre perception, notre décodage, notre analyse et notre compréhension du fonctionnement organisationnel et des comportements humains. Il est incontournable aujourd’hui d’intégrer la non-linéarité dans nos actes de gestion puisque nous devons gérer des systèmes complexes, vivants, instables, hors de l’équilibre, dont la flèche du temps impose une évolution aléatoire, imprévisible et irréversible.
 
En termes de gestion, il faut considérer que la stabilité d’un système vivant est instabilité, rythmée au gré des points de perturbation et des turbulences qui y sont associées. Traditionnellement, nous les appelons crise et vécu de crise alors que, dans d’autres cultures, ils sont considérés comme autant d’opportunités de changement.

La prise de conscience de cette réalité et l’apprentissage de ressources appropriées de gestion constituent des piliers de certitude du sentiment de sécurité de ce nouveau millénaire.
 
« Ce n’est pas l’incertitude qui rend fou. C’est la certitude. » F. Nietzsche
 
Apprivoiser l’Incertitude, c’est se ressourcer en tant que gestionnaire des réalités complexes relevant du management humain, dans la société de l’Incertitude.
C’est s’autoriser à redéfinir ses compétences d’action dans la perspective de la plus-value du management humain.
Dans une société globale marquée, ainsi que chaque organisation vivante qui la compose, par l’Incertitude, les enjeux essentiels du management humain se déclinent dans les objectifs concrets de gestion suivants :
  • la dynamique d’adhésion, la motivation, la fidélisation ;
  • la responsabilisation, l’autonomie, le développement personnel, la gestion bénéfique — de prévention et de réparation — des dysfonctionnements personnels, interpersonnels, groupaux et organisationnels ;
  • la prévention du stress et de la violence au travail, dans une perspective de sauvegarde physique et mentale d’une part, et dans le respect de la législation d’autre part.
 
Autrement dit, dans la société de l’Incertitude, le management humain est déterminant quant à l’adéquation du fonctionnement organisationnel, au développement groupal et à l’évolution individuelle. Et cela, à condition de définir ce management dans une éthique du partenariat et du non-dommage.
À condition aussi de développer des compétences de gestions intégrant et articulant les déterminants de l’Incertitude tant au niveau organisationnel qu’à celui des comportements humains.
 
« Il faut du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse. » F. Nietzche

Ann Defrenne-Parent
ENTRORGER


Ann DEFRENNE-PARENT est licenciée en sciences commerciales et financières de l'Institut Catholique des Hautes Etudes Commerciales (ICHEC), Bruxelles, Belgique.
Formatrice, consultante et intervenante en entreprises, elle est présidente et fondatrice de l'Association pour la Gestion Partenariale de l'Incertitude (AGPI). Elle est également présidente et fondatrice de l'Institut de Chaodynamique (ICD).