Philippe Grand d'Iveco Bus : "Le renouvellement et l’élimination des véhicules les plus anciens et les plus polluants sont la première urgence"

Grégoire Moreau
10/06/2014


Philippe Grand est directeur des affaires institutionnelles chez Iveco Bus, et président du pôle de compétitivité LUTB Transport & Mobility Systems (transport de personnes et de marchandises). Alors qu'Iveco Bus est très impliqué dans l'actuel parc de bus de la RATP, il évoque pour RSE Magazine les perspectives qu'ouvre l'appel d'offres à venir pour un parc 100 % électriques.



Iveco Bus, anciennement Irisbus, fournit déjà une partie du parc de la RATP (sous licence Creative Commons)

Iveco Bus est-il un groupe purement italien ?

Philippe Grand : Iveco Bus est le deuxième constructeur de car et de bus en Europe. Nous sommes complètement intégrés dans le groupe que s’appelle Case New Holland Industrial, groupe international auparavant connu sous le nom de Fiat Industrial, et qui représente la partie véhicule lourd du groupe Fiat.
 
En France CHN Industrial emploie 6000 personnes, dont 4000 dans le secteur industriel. La parte autobus représente, elle, environ 2000 personnes. Nous revendiquons ces racines et cette implantation françaises : une de nos usines en Ardèche a par exemple fêté ses 100 ans l’an dernier. Si Iveco Bus parait italien de par son nom, l’entreprise est en fait née en 1999 de la fusion des activités autocars et autobus de Renault VI et d’Iveco. 

Qu'est ce qui selon vous motive une telle volonté de changement de la part de la RATP et du STIF ?

La décision la plus importante en la matière a été prise par le STIF en décembre 2013 lorsqu’il a été voté en conseil d’administration le passage d’un parc essentiellement diesel à des technologies électriques, hybrides ou gaz naturel. La RATP a suivi cette déclaration d’intention de manière très positive en s’engageant de manière très précise sur le renouvellement de son parc. A la base il s’agit d’un vœu du STIF émis en 2012 qui s’est finalement traduit par une délibération du conseil d’administration.

Cette décision est clairement un choix écologique, d’une part pour limiter la pollution locale en Ile-de-France, liée aux particules fines, mais aussi pour lutter contre la pollution globale des gaz à effets de serre. Nous disposions pour cela de l’exemple de la ville de Londres, qui a mis en service, depuis plusieurs années maintenant, des bus hybrides avec d’excellents résultats sur la qualité de l’air.

Pouvez-vous nous décrire le besoin à l'heure actuelle ?

Avant même de parler technologie, il faut déjà commencer par évoquer les pratiques de déplacements et privilégier les solutions de transports en commun : 50 ou 60 personnes dans un bus, même ancien, pollueront toujours moins par personne transportée, que si chacune prenait sa voiture. Il s’agit de développer cette pratique, avant même de penser technique. D’autant plus que la part des bus dans la pollution d’Ile-de-France n’est que de quelques pourcents. Le besoin s’est fait plus pressant dernièrement, notamment du fait de certaines échéances électorales (municipales en particulier) mais aussi suite à des événements comme les pics de pollution du mois de mars. Le rapport de l’OMS sur les dangers de particules fines a également joué un rôle.

En tant qu’entreprise de transport public, nous avons un devoir d’excellence. Cela fait donc des années que les industriels travaillent sur la réduction des émissions polluantes. Même sur le diesel, il faut réaliser que les derniers modèles 2014 sont aux normes Euro 6 : nous en sommes aujourd’hui à la 6ème génération de dispositifs anti-pollution. Ces normes ne se sont imposées qu’à partir des années 1990, concernant les particules fines, les oxydes d’azotes (NOx) et d’autres polluants. Les derniers dispositifs permettent déjà de réduire de manière drastique les émissions gazeuses nocives des diesels. D’un point de vue technique, l’enjeu et l’urgence sont donc d’abord le renouvellement et l’élimination des véhicules les plus anciens et les plus polluants, aux normes Euro 2 ou Euro 3.

Où en est l'offre du côté des industriels ?

Malgré tous les progrès réalisés sur les émissions du diesel, nous travaillons également sur des solutions alternatives. La première d’entre elles est représentée par le gaz naturel. C’est une solution qui permet de limiter de manière drastique les émissions nocives, puisque il n’y a quasiment pas d’émission de particules lors de la combustion. Ce sont des technologies qui sont sur le marché depuis les années 1994-1995. Mais reste tout de même, dans le cas du gaz naturel, la question des émissions de CO2.

Lorsque l’on parle de solution tout-électrique, il ne faut oublier la formule du trolleybus. Malgré les effets de pollution visuelle des lignes aériennes, cela reste une solution tout-électrique viable. Il est vrai que ses coûts de possession sont plus élevés que les ceux d’un parc diesel, mais lorsqu’il est question de santé publique il faut faire des choix.

Concernant les véhicules électriques autonomes, nous avons déjà sorti il y a plusieurs années des bus de petit gabarit sur batteries qui embarquaient environ une trentaine de personnes, en plus d’une grande quantité de batteries. Nous ne disposions pas à l’époque des technologies de batteries de maintenant. Du coup c’était à l’époque des véhicules chers, pas très fiables, et donc, commercialement parlant, loin d’être une réussite.

Troisième voie, qui constituera probablement l’alternative de transition la plus crédible : l’hybride, constitué d’une motorisation électrique, de batteries et d’un groupe électrogène permettant de recharger les batteries et de fournir de la puissance instantanée. Ce système, qui utilise le moteur thermique uniquement sur ses plages de rendement optimales, permet de réduire la consommation des bus de 25 à 30 % mais aussi le bruit généré.

Toutes ces solutions techniques sont aujourd’hui disponibles et vont permettre d’aménager une transition vers des bus 100 % électriques. 

Quelles vont être les principales difficultés techniques à surmonter et quelles sont les solutions industrielles ?

Il faut garder à l’esprit que la volonté de la RATP ne va pas se concrétiser sous la forme d’un saut immédiat et instantané vers des bus 100 % électriques. Le projet de la RATP va devoir passer par une longue transition, car il s’inscrit dans la durée et va se dérouler par étapes. La première de ces étapes est déjà en cours puisque le RATP va se doter prochainement de bus au gaz naturel et de bus hybrides. Il va falloir plusieurs années aux industriels pour fournir une solution de bus 100 % électriques, fiables à des prix raisonnables.

Du côté des industriels, il y a actuellement deux types de stratégies. La première de ces stratégies pourrait être qualifiée de stratégie de facilité. Il s’agit pour ceux qui l’utilisent de prendre de vitesse la concurrence en proposant tout de suite un bus 100 % électrique avec les solutions disponibles immédiatement : vous prenez un bus et vous le remplissez de 3 à 4 tonnes de batteries. Ce type de matériel peut rouler 200 km en autonomie mais doit être rechargé le soir un dépôt. C’est la stratégie adoptée par exemple par le chinois BYD, très agressif commercialement. Cette solution a tout de même quelques défauts : les bus sont chers, et ils embarquent près de deux fois moins de passagers que des bus diesel classiques de taille équivalente, compte tenu de la place prise par les batteries. La RATP a testé cette solution a décidé d’attendre pour obtenir des bus présentant des capacités d’emport de passagers plus conséquentes.

5. Les batteries et le système de rechargement étant l'un des points technologiques les plus critiques de ce projet, quelles solutions privilégier dans le cadre par exemple de votre participation au projet Ellisup ?

Ellisup est un programme de recherche que nous pilotons avec plusieurs partenaires : le CEA, EDF ou encore Michelin pour les moteurs-roues. Il faut considérer Ellisup plus comme un concept-car que comme le prototype d’un véhicule qui sera bientôt produit. D’ici à ce qu’un tel véhicule puisse être un produit en série, nous assisterons surement à la production d’un véhicule intermédiaire, moins avant-gardiste. Quoiqu’il en soit, le projet suit deux axes de développement parallèles : nous avons développé d’un part un véhicule hybride rechargeable et d’autre part un véhicule électrique rechargeable.

Clairement les batteries sont le point le plus critique des futurs véhicules électriques. Avec elles se posent également la question du système de recharge dont la difficulté tiendra aux possibilités de normalisation des différents instruments de recharge. Il y a aujourd’hui quasiment autant de systèmes de recharges que de constructeurs. Les futurs systèmes de recharges devront être normalisés autant que faire se peut : il est tout à fait possible d’imaginer demain un camion se rechargeant à la même borne qu’un bus. Rien ne l’empêche, mais il faudra que les constructeurs se mettent d’accord un jour.

Notre expérience nous a mené à croire de façon privilégiée aux solutions rechargeables : il s’agit de recharges rapides effectuées en quelques minutes en bout de ligne, et non simplement la nuit au dépôt ou à chaque arrêt avec des solutions à supercondensateurs. Cette solution nous permet de disposer d’une autonomie de 10 à 20 km, suffisantes pour parcourir une ligne sur l’ensemble de son tracé. Cela permet de limiter les infrastructures de recharges aux extrémités des lignes, pendant un temps qui est de toute façon consacré à une pause du véhicule et du chauffeur. Pour cette solution, il nous faut des batteries dites « de puissance » qui nous permettent d’absorber beaucoup d’énergies en très peu de temps. Ce sont des technologies Li-Ion, comme beaucoup d’autres batteries, mais différents de batteries LI-Ion dites « énergétiques » utilisées en grande quantité par exemple sur le bus chinois. Cela implique une structure de charge à l’extérieur du bus, mais nous avons développé pour cela des solutions d’une grande fiabilité. Nous considérons nous que la première mission d’un bus, c’est de transporter des personnes et non des batteries.

Pensez-vous que le futur appel d'offre de la RATP puisse avoir un effet d’entrainement sur l'ensemble de la filière "électro-mobile" ?

Cet appel d’offres de la RATP sera sans conteste le point de départ de quelque chose. Il va certainement permettre d’avancer sur les différentes solutions de batteries et de recharges. Si nous testons à notre niveau des systèmes de recharges par contacts par pantographes, il existe d’autres moyens sur lesquels nous travaillons également comme la recharge sans contact par induction. Cette solution est envisageable sur Paris ou en région parisienne du fait de ses avantages en termes d’intégration dans le paysage urbain (malgré la contrainte de devoir l’installer dans le sol). Nous restons ouverts à toutes les possibilités, même si pour l’instant les batteries Li-Ion à fortes capacités ont notre préférence avec des durées de vie de 10 à 15 ans et une forte capacité d’absorption d’énergie en peu de temps. Ce sont des systèmes qui sont encore chers mais cela changera vraisemblablement la production en masse et la livraison de tels systèmes commencera pour la RATP et le STIF.

Peut-on dès lors espérer assister au véritable démarrage de la mobilité électrique pour tous ?

Ce qui a freiné la diffusion en masse des véhicules avec des solutions de motorisations alternatives, c’est le coût d’achat, à distinguer du coût de possession. Alors que ce sont des véhicules qui peuvent s’amortir en quelques années, les clients sont généralement bloqués par les coûts d’achat, pour l’instant supérieur à ceux d’un équivalent diesel. Il est difficile pour un particulier d’appréhender lors de l’achat les gains de consommation, les éventuelles fluctuations du cours du brut, l’entretien périodique… Pour l’instant le diesel est moins cher que l’électrique, mais l’hybride a du sens sur le long terme.

Encore faut-il que ces solutions soient fiables et disponibles. Ce qui a pénalisé la filière ces dernières années, c’est un manque de fiabilité et de disponibilité des premiers modèles : en termes de transport urbains, l’autorité décisionnaire demande contractuellement des disponibilités de 95 à 98 %. Cela signifie que sur 100 bus, vous ne pouvez en avoir que cinq en dépôt pour maintenance préventive ou maintenance corrective. De tels taux de disponibilité exigés sont incompatibles avec la prise de risque technologique. C’est pourquoi une période de transition et de maturation des technologies va être nécessaire. En ce sens la démarche de la RATP est bonne : elle commence par acheter des hybrides en masse qui vont permettre cette transition en douceur. Il est ensuite logique qu’elle fasse un appel d’offres pour quelques lignes seulement, utilisant chacune une technologie différente pour les tester en situation réelle, et arrêter un choix en termes technologiques mais aussi économiques. Il existe d’ailleurs un projet européen appelé Zeeus qui a de même cette vocation de test grandeur nature des différentes solutions technologiques dans plusieurs villes d’Europe.

Nous sommes au début de quelque chose, mais il ne faut pas se précipiter, comme cela a pu être le cas avec l’hydrogène il y a quelques années : à l’emballement sur les piles à combustibles avait succédé quelques désillusions, notamment sur le prix.

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