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"Le management humaniste" par Stéphane Sautarel

Stéphane Sautarel
09/04/2020



Stéphane SAUTAREL est Consultant, Coach et Auteur. Après une carrière de cadre dirigeant dans les associations, Chambres de Commerce et d’industrie et Collectivités territoriales (Conseil départemental), en qualité de Directeur Général des Services, il a créé MAGELLAN Consulting, Société de conseil, de formation et de coaching, par choix de vie et volonté d’entreprendre. Il est l’auteur d’un roman « Le Fil ou la Toile » (Librinova 2019).



(Extrait)

Passage vers un nouvel humanisme  : Etre résilient 


Comment bien intégrer cette notion de résilience ? Par-delà ce que nous avons vu dans les chapitres précédents et qui peut paraitre théorique, comment être résilient ? Comment tirer expérience de cette crise pour en sortir grandi, plus beau, meilleur ?

Des approches métaphoriques peuvent permettre de prendre la mesure de la résilience, d’en mesurer la puissance, la beauté, d’en approcher les rebonds qu’elle rend possible, sans en nier les impacts sur les individus comme sur les organisations. Je vous propose de porter un regard particulier sur l’une d’entre elle : le Kintsugi.
J’aime bien la métaphore qu’offre le Kintsugi, cet art japonais qui consiste à réparer un objet brisé en soulignant ses fissures avec de l’or, au lieu de les masquer. Le Kintsugi est l’art de la résilience, son esprit insuffle un appel à mettre de l’or dans notre vie, ou comme nous le dit autrement Michel Audiard : « Bienheureux les fêlés, car ils laisseront passer la lumière ».

La philosophie du Kintsugi va en fait bien au-delà d’une simple pratique artistique. On touche en effet au symbole de la guérison et de la résilience. Soigné, puis honoré, l’objet honoré assume son passé, et devient paradoxalement plus résistant, plus beau et plus précieux qu’avant le choc. Cette métaphore éclaire d’une façon nouvelle chaque étape de tout processus de guérison, qu’il s’agisse d’une blessure physique ou émotionnelle.

C’est une leçon très précieuse au stade de la crise sanitaire que nous traversons : soigner, puis honorer pour rendre plus résistant et plus beau. Cela vaut pour chaque individu, pour nos organisations et en premier lieu l’hôpital et les établissements médico-sociaux, mais aussi pour notre société au sens large, qui, si on n’y prend garde, va renoncer à sa liberté pour se protéger. Elle qui a vu tant de sang versé pour se libérer ! Je reprendrai ici volontiers une autre métaphore de Churchill à qui l’on proposait de baisser les crédits en faveur de la culture pour faire face à l’effort de guerre et qui répondait : « …mais alors pourquoi ferions-nous la guerre !? ».
Mais revenons au Kintsugi, il s’agit d’un processus de réparation (raccommodage à l’or) long et extrêmement précis, se déroulant en de nombreuses étapes, sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois, parfois même sur un an.

Nous pourrions nous inscrire dans un tel processus dès à présent et de manière plus active encore à l’issue de la crise en cours.
La légende rapporte que le shogun Ashikaga Yoshimasa (1435 – 1490) utilisait toujours son bol préféré lors de la cérémonie du thé. Un jour, malheureusement, il se brisa. Il l’envoya en Chine, d’où il provenait, pour le faire réparer. Mais il fut particulièrement déçu du résultat. Après de longs mois, le bol revint muni de vilaines agrafes métalliques qui, non seulement le défiguraient, mais, en plus, ne le rendaient absolument pas étanche. Il chargea donc des artisans japonais de trouver une solution plus fonctionnelle, mais surtout plus esthétique. L’art du Kintsugi était né…

Il s’agit d’une solution élégante, créative et si simple à la fois. Lorsqu’on découvre l’art du Kintsugi, on éprouve généralement un coup de cœur, une révélation, une évidence.
Sans aller jusqu’à briser tous vos objets de valeur, vous pouvez vous inspirer de la philosophie du Kintsugi tout au long de votre processus de guérison, jusqu’à retrouver vous-même votre unité et tout votre éclat. Tel un Kintsugi vivant, vous aussi, vos épreuves peuvent vous transformer et vous renforcer. Cet esprit vaut aussi bien pour l’individu que pour l’organisation.

La transcendance de la souffrance est un thème récurrent dans l’histoire de l’art. Torturé par ses démons et ses traumatismes, l’artiste se sert parfois de son art comme d’un exutoire pour les expulser et les transmuter. Il joue sur la corde sensible de sa souffrance et la fait résonner au cœur de son œuvre comme un écho qui répond à la sensibilité du spectateur et le fait vibrer. Comme dans un processus presque alchimique du Kintsugi l’artiste transforme son plomb en or et transcende ainsi ses souffrances pour les sublimer. Les illustrations sont innombrables : les sculptures de César, certaines vibrations des tableaux de Van Gogh, le Guernica de Picasso, le spleen baudelairien, les chansons d’amour qui ne sont jamais plus belles que quand elles sont tristes… Comment mieux l’exprimer que Théophile Gautier :
            Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;
            Lorsqu’il est sans blessure il garde son trésor.
            Il faut qu’il ait au cœur une entaille profonde
            Pour épancher ses vers, divines larmes d’or !
 
L’art du Kintsugi nous invite à lâcher-prise, à accepter l’impermanence des choses. A nous ouvrir à l’inattendu, à l’imperfection, aux synchronicités, au hasard… Il s’agit d’atteindre ce que la philosophie japonaise appelle le mushin no shin, la « pensée sans pensée » qui appelle au détachement.

En cela, le Kintsugi est une belle métaphore de l’existence : la roue tourne, la vie est imprévisible ! Tout change, tout évolue. La perfection et la permanence sont une illusion et un piège. On ne peut lutter ni contre le passage du temps, ni contre ce qui se transforme.

La vie peut basculer en une semaine, une journée, une minute, une seconde. Dans un sens ou dans un autre. Au lieu de vouloir enfoncer à coups de bélier des portes fermées, laissez-vous surprendre : parfois c’est la porte d’à côté qui s’ouvre… Mais, aussi, à enlever vos barrières de protection. A ne plus remiser au fond d’un placard ou d’un coffre cadenassé tous vos trésors pour éviter qu’ils s’abîment ou se brisent par inadvertance. Au contraire, savourez-les, utilisez-les tous les jours, laissez-leur une chance de se « frotter » à la réalité.

Peut-être en effet, seront-ils cassés par accident. Mais pour devenir encore plus précieux, une fois cicatrisés d’or.
Nous en sommes là aujourd’hui. Ne cherchons pas à tout enfermer, à tout vouloir traquer, alors que c’est dans la solidarité et la coopération seules que réside l’antidote. L’information (et non la communication) et l’éducation peuvent nous aider à reconstruire cette confiance qui nous fait tant défaut. Quel récit collectif peut-il se construire pour répondre à ce climat d’urgence et « d’intranquillité » comme le disait si joliment Pessoa ? Il aura ses éclats, ses réussites, exprimant la gratitude pour l’apport des générations précédentes ; il aura ses failles, ses dangers, auxquels il nous appartient de faire face. C’est à nos générations qu’il revient d’affronter non seulement le coronavirus, mais aussi la crise écologique. Nous ne pouvons esquiver nos responsabilités, nous nous devons de croire en la solidarité globale.

Boris Cyrulnik dans « Les Vilains Petits Canards », nous propose une approche métaphorique qui va dans le même sens : « La métaphore du tricot de la résilience permet de donner une image du processus de la reconstruction de soi. Mais il faut être clair : il n'y a pas de réversibilité possible après un trauma, il y a une contrainte de la métamorphose. Une blessure précoce ou un grave choc émotionnel laisse une trace cérébrale et affective qui demeure enfouie sous la reprise du développement. Le tricot sera porteur d'une lacune ou d'un maillage particulier qui dévie la suite du maillot. Il peut redevenir beau et chaud, mais il sera différent. Le trouble est réparable, parfois même avantageusement, mais il n'est pas réversible.  »

La connaissance de soi et la résilience nous offrent de manière évidente une capacité d’action, une confiance et une sérénité. Nous sommes dans un vortex historique, les vielles règles sont mises en pièce tandis que de nouvelles sont en train de s’écrire sous nos yeux. Des expériences sont en train de montrer que ce qu’on croyait impossible peut se réaliser en quelques jours : enseignement et travail à distance, mise en place d’un quasi « revenu de base universel », libération de niaiseries et de carcans administratifs et techniques, ajustement des déplacements et accélération du capitalisme numérique…

L’impossible devient ordinaire. Un nouveau monde émerge, autour de nouveaux référentiels, de valeurs refondées, avec un véritable risque de numérisation à outrance qui ne doit pas nous faire perdre notre humanité et au contraire nous permettre de refonder un nouvel humanisme. Il faut espérer que ce nouveau monde sera meilleur. La résilience est notre meilleur allié pour faire qu’il en soit ainsi, pour répondre à l’appel de Rousseau : « Hommes, soyez humains ».
 





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