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Laurent Depond : "Intelligence relationnelle et inclusion"

Bertrand Coty interview
18/10/2022



Laurent Depond a débuté sa carrière dans de grands cabinets de conseil anglo-saxons avant de rejoindre Orange où il a exercé une large palette de responsabilités opérationnelles avant de devenir VP Diversity & Inclusion du Groupe de 2007 à 2016. Il a été un des premiers en France à s’emparer des sujets de diversité et d’égalité professionnelle sous un angle stratégique.
Il est revenu au conseil en 2016, en collaboration avec l’Institut de Médecine Environnementale (IME) qui a pour mission de vulgariser la recherche scientifique.
Laurent Depond s’appuie ainsi sur les plus de 35 années de recherches appliquées de l’Institut en matière de neurosciences et sciences cognitives et comportementales.
Il s’est aussi engagé dans de nombreuses organisations œuvrant pour l’égalité et la diversité : Administrateur du Laboratoire de l’Égalité, co-fondateur de l’Association Française des Managers de la Diversité (AFMD), Président du Comité Diversité et Égalité des chances du MEDEF durant 5 ans. De 2016 à 2020, il a siégé au Conseil Supérieur de l’Égalité en tant que « Personnalité Qualifiée ». Laurent Depond a été nommé Chevalier de la Légion d’Honneur en 2020.



Laurent Depond
Laurent Depond
Laurent Depond, vous traitez dans votre ouvrage paru aux éditions Dunod, de la nécessité de promouvoir la diversité au sein des organisations. Comment définissez-vous cette nécessité ?  

Il est indispensable d’améliorer la qualité de vie et des conditions de travail pour réengager l’ensemble des collaborateurs afin qu’ils soient en mesure de contribuer à la performance opérationnelle de leurs organisations. Il s’agit pour cela de permettre à chacun d’exprimer son plein potentiel en étant lui-même, sans avoir à occulter une dimension de son identité, en se sentant respecté, équitablement traité et écouté.

C’est tout simplement ne se priver d’aucun talent, quelles que soient ses singularités.
La diversité des profils contribue à la qualité décisionnelle comme à la créativité ou à la recherche de solutions nouvelles qui s’enrichissent de regards croisés. Cette richesse est indispensable au regard des transitions multiples que vivent les organisations, comme le dérèglement climatique ou la révolution digitale qui bouleversent beaucoup de modèles économiques.

Par ailleurs, quand bien même elles ne seraient pas ouvertes spontanément à la diversité, celle-ci s’impose à elles de multiples façons : évolution des viviers de recrutements du fait des mouvements migratoires, de la mondialisation ou du travail à distance, allongement prévu de la durée du travail qui implique de mobiliser plusieurs générations, évolution des attentes des salariés pour plus d’équilibre personnel ou de sens ou encore exigences renforcées d’engagements RSE exprimées par leurs parties prenantes.

Pourquoi les résistances persistent malgré les injonctions et sollicitations par ailleurs ?

Tout simplement parce que l’évolution humaine ne nous a pas paramétré pour accepter facilement la diversité et que plusieurs mécanismes de notre cerveau la combattent. Des avantages évolutifs qui ont facilité la survie de notre espèce sont toujours actifs au XXIème siècle, mais ont des effets indésirables sur les initiatives pro-diversité. C’est par exemple, le rejet du handicap visible, symbole de fragilité dans une meute, ce sont les effets de ce que nous nommons les biais, comme le stéréotype ou la préférence pour son propre groupe social, qui nous permettent de générer une solidarité de groupe et surtout, la construction culturelle des sociétés humaines qui, depuis la Révolution néolithique repose sur le rejet de l’étranger, symbole de danger.

Tous ces paramétrages sont intégrés dans nos cerveaux pour nous permettre d’évoluer simplement, dans un double objectif d’économie d’énergie et de recherche d’équilibre émotionnel !

A cela se rajoute le fait que les organisations, qui ont intégré dans leurs fonctionnements les biais des individus qui les composent, ont aussi pris le sujet par le mauvais angle : celui de la diversité, la différence, la vision catégorielle qui active ces chiffons rouges. De plus, l’injonction à la non-discrimination assortie d’une communication culpabilisante empêche l’action puisque ce qui nous dérange ou nécessite un effort est mis de côté par notre cerveau… Qui trouve toutes les bonnes raisons pour ne pas agir efficacement, d’où le flop des approches trop coercitives.

En quoi « l’intelligence relationnelle » est-elle un levier à actionner ? 

Réussir la diversification des profils, c’est faire en sorte que chacun puisse s’épanouir sur son lieu de travail pour exprimer son plein potentiel grâce à l’établissement de ce que les chercheurs ont appelé la « Sécurité Psychologique », celle-ci repose d’abord sur la qualité managériale. Pour pratiquer un  management réellement inclusif, il est donc indispensable que le manager soit capable de mobiliser son Intelligence Relationnelle, une « soft skill » qui lui permet d’individualiser la relation manager-managé et donc de gérer la diversité cognitive, en prenant en considération la « dynamique comportementale » de chacun de ses coéquipiers ; il s’agit d’un concept d’Approche NeuroCognitive et Comportementale (ANC), qui identifie les facteurs qui permettent aux individus de s’épanouir au travail : motivations, aversions, adaptativité, fonctionnement en collectif ou prédisposition au burn out.

L’intelligence relationnelle repose donc sur le bon décryptage de ces éléments, ce qui devient assez simple avec une grille de lecture ANC. L’approche est, en effet, une synthèse de multiples travaux de recherches de différentes disciplines sur le comportement humain qui permet de faire fonctionner harmonieusement une diversité de profils cognitifs au sein du collectif de travail en évitant le stress, en supprimant les tensions et en étant attentif aux fragilités individuelles.

L’apport des neurosciences cognitives peut-il modifier le comportement des organisations et à quelles conditions ?
 
Tout d’abord, les organisations doivent procéder à une révolution culturelle pour penser « diversité cognitive » (la variété des constructions personnelles des individus liés à leurs parcours de vie) et oublier l’approche catégorielle de la diversité. Les neurosciences cognitives nous apprennent, en effet, qu’elle est beaucoup plus explicative des comportements et donc de l’engagement.

Les organisations doivent aussi partager en leur sein la compréhension des biais de toutes natures pour permettre d’améliorer la qualité des décisions prises, en particulier celles qui relèvent du champ de la gestion des ressources humaines, comme le recrutement. Les neurosciences cognitives nous ont en effet appris beaucoup de choses ces dernières années sur les fonctionnements de nos biais et l’irrationalité qu’ils entrainent. Cela implique aussi de revisiter les processus qui les ont embarqués et même de concevoir son métavers ou ses algorithmes de telle sorte qu’ils évitent de les y inviter. 

Il faut aussi repenser l’ensemble du système en raisonnant agilité et « apprenance » : les organisations, comme les individus, vont devoir s’adapter en permanence à un monde changeant. Cela nécessite d’oublier les critères traditionnels : les compétences essentielles deviennent aujourd’hui celles que l’on dénomme soft skills, les compétences comportementales, dont les neurosciences cognitives, grâce aux IRM fonctionnelles,  nous ont appris qu’elles pouvaient se développer avec des stimulations appropriées.

Le challenge est d’aider ses coéquipiers à développer leur capacité de mobiliser leur « Intelligence Adaptative », telle que la dénomme l’ANC, un mode de fonctionnement, piloté par le cortex préfrontal du cerveau qui permet de faire face à la nouveauté ou à la complexité et permet donc l’agilité mentale tout en réduisant le stress. Cette mobilisation se fait grâce à des exercices tout simples que la recherche a identifiés pour pallier l’absence d’activation « naturelle » par les conditions de la vie moderne.

Pour « autoriser » ce changement de paradigme, un prérequis indispensable : les dirigeants doivent avoir pris la mesure des enjeux et avoir développé leur propre capacité à mobiliser leur intelligence adaptative.