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La planète finance se penche (enfin) sur le cas des ventes à découvert

Jérémy Viguier
09/05/2019



Condamnables ? Scandaleuses ? Sur les places boursières, les ventes à découvert – short selling – sont encore considérés le plus souvent comme des pratiques légales mais douteuses. Certains pays les ont complètement interdites, d’autres, comme la France, ne savent pas (encore) sur quel pied danser.



Les marchés financiers sont schizophrènes, souhaitant simultanément la hausse ou la baisse des actifs. Et les ventes à découvert ressemblent à s’y méprendre au meilleur symptôme de cette maladie. Certains pays ont même totalement interdit cette pratique spéculative comme les Pays-Bas qui, en 1609, ont banni la vente à découvert pour la première fois car elle menaçait l’existence de la très puissante Compagnie néerlandaise des Indes orientales. En France, durant le Premier empire, Napoléon Bonaparte a vu dans les vendeurs à découvert les ennemis de son régime : il fit voter une loi les rendant passibles d’un an de prison.
 
La crise de 2008, toujours à l’esprit
 
Mais au fait, vendre à découvert, que cela implique-t-il ? D’abord, ce procédé n’est pas à la portée de tout le monde : il ne s’adresse pas aux investisseurs particuliers ou aux entreprises cotées, mais aux fonds spéculatifs – les fameux hedge funds responsables de la crise de 2008 –, aux courtiers et autres sociétés financières. Ce procédé a été largement utilisé aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne où il a pourtant été à l’origine de nombreuses crises financières, comme en 1907 ou 1931. Avant la Deuxième Guerre mondiale, le gendarme boursier américain (la SEC, Securities And Exchange Commission) a mis en place des règles pour encadrer les prix, afin de mieux surveiller les ventes à découvert. Cette disposition sera abandonnée… en 2007, quelques mois seulement avant la crise mondiale de 2008. Le 8 septembre de cette année-là, la banque d’investissements Morgan Stanley devient la cible de short sellers : dans la journée, le PDG de la banque, John Mack, tire publiquement à boulets rouges sur les vendeurs à découvert qu’il qualifie « d’irresponsables » à l’origine d’une manœuvre n’ayant pas de « fondement rationnel ». Dans les crises les plus graves, ces ventes riment parfois avec délit d’initié et conflit d’intérêts. Toujours au moment de la crise 2008 (cette fois au moment de la chute de la banque d’investissement Bear Stearns), le sénateur américain Chris Dodd n’y est pas allé par quatre chemins. Selon lui, les vendeurs à découvert « vont au-delà de la rumeur. C’est de collusion qu’il s’agit ». Le président de la SEC, Christopher Cox, lui donnera raison quelques mois plus tard, en parlant de « manipulations illégales à travers la vente à découvert nue qui menaçaient la stabilité des institutions financières ».
 
Comment ça marche ?
 
En deux mots, vendre à découvert, c’est parier sur la baisse du cours d’une action. Concrètement, le spéculateur vend un actif qu’il ne possède pas, afin de le racheter plus tard. Il s’agit pour lui de vendre à un prix plus élevé qu’il n’espère le racheter ensuite, pour gagner sur la différence. Posé comme cela, cela ne semble pas avoir de sens pour le commun des mortels. Pourtant, cette gymnastique intellectuelle plaît beaucoup sur les marchés, même s’il peut y avoir parfois quelques ratés.

Si de nombreuses voix s’élèvent contre cette pratique très contestable, cette dernière n’est pourtant pas illégale. De nombreux acteurs y ont recours et les magazines spécialisés en font régulièrement la promotion, comme ici sur le site videobourse.fr, avec ce titre évocateur : La vente à découvert (VAD), ou comment gagner quand les marchés baissent. En un mot, les spéculateurs doivent avant tout savoir (quand) vendre.
 
Quels mécanismes de protection ?
 
Mise à part leur interdiction pure et simple, les marchés financiers et les entreprises disposent de plusieurs leviers – plus ou moins efficaces – pour limiter les velléités des fonds spéculatifs. Le plus fréquent reste l’interdiction temporaire. Le dernier exemple en date nous vient d’Allemagne. En février dernier, la BaFin (le gendarme boursier allemand) prend les devants et, suivant une rumeur de malversation financière autour du titre Wirecard – une société spécialisée dans les modes de paiements –, décide une interdiction provisoire de deux mois, de toute vente à découvert. Seulement voilà, comme prévu initialement, l’interdiction vient d’être levée le 26 avril dernier. Les semaines à venir risquent d’être intéressantes à scruter.
 
En France, la vente à découvert est officiellement encadrée par l’AMF (Autorité des marchés financiers). Comme la BaFin en Allemagne, l’AMF peut parfois interdire toutes ventes à découvert sur un titre donné, pendant une période limitée, comme ça a été le cas en 2017 avec des banques et des compagnies d’assurance comme la Société générale, BNP Paribas et Axa. Pour éviter tous risques, certaines entreprises cotées à la Bourse de Paris ont purement et simplement interdit la vente à découvert sur leurs titres, comme Michelin, Nestlé et Lagardère. En 2018, d’autres ont eu moins de chance et ont fait l’objet d’attaques boursières de la part de vendeurs à découvert, comme Valeo, Casino ou Atos. Le législateur s’est en tout cas saisi du sujet, et une « Mission d'information sur l'activisme actionnarial » a été lancée fin mars 2019 par l’Assemblée nationale.
 
« Economie de casino qu’il faut faire tomber » selon les mots de l’ancien ministre français Arnaud Montebourg, la vente à découvert a été aussi qualité de « procédé pervers » par l’éditorialiste canadien Claude Chiasson. Finalement, le salut viendra peut-être de l’Europe, pourtant si décriée de nos jours. Car les députés européens sont en pointe dans ce combat. Pour le Luxembourgeois Robert Goebbels, « il est immoral d’influencer les marchés en pratiquant la vente à découvert, il s’agit de pratiques scandaleuses qui doivent être éliminées ». L’un de ses collègues au Parlement, le Français Jean-Paul Gauzès, avait proposé d’assortir la vente à découvert d’un cadre extrêmement restrictif dont l’AEVM (Autorité européenne des valeurs mobilières) aurait la charge. Affaire à suivre donc…






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