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« La cartographie des territoires et de leurs infrastructures, un atout indispensable »

Arnaud Synoën
10/09/2020



Entretien avec Arnaud Syoën, directeur iread geospace



Arnaud Syoën, Comment définiriez-vous ce qu'est la cartographie aujourd'hui  ?

La cartographie est une technique dont l’objet est la réalisation de cartes qui ont pour but de livrer des données sur un support représentant un espace. Autrement dit, elle est l’objet par lequel les données d’un territoire sont unifiées : données économiques, données démographiques, données sociétales, données de transports et données de réseaux et d’infrastructures plus largement. La carte s’impose de fait comme un outil indispensable pour la gestion du territoire par toutes ces données qu’elle fédère et par la connaissance qu’elle en donne. 

C’est donc un outil pour mieux connaître un territoire ?

Pas exactement… ou plus encore. La cartographe est un outil qui offre un large éventail de possibilités, notamment lorsqu’elle est embarquée dans des outils digitaux comme les systèmes d’information géographique. Dès lors, grâce aux cartes, il est possible de :
  • superviser : monitorer, suivre et piloter en temps réel les données du territoire pour en renforcer sa connaissance ;
  • décider : maîtriser le fonctionnement du territoire et de ses infrastructures pour prendre les décisions pertinentes ;
  • planifier : analyser les données pour planifier des interventions sur les équipements et les infrastructures du territoire.
Autrement dit, la carte permet de « connaître » et aussi « d’agir » sur son territoire ! La petite histoire dans la grande nous rapporte que les généraux de Napoléon disaient qu’il est nécessaire de bien connaître la géographie de son champ de bataille avant de lancer ses troupes…

Mais nous ne sommes plus au XIXe siècle…

Non, effectivement, vous avez entièrement raison. Nous sommes désormais au XXIe siècle avec toute la complexité que les technologies actuelles charrient. Si, au XIXe siècle, l’enjeu était de s’assurer que la carte retranscrive le bon arpentage, la cartographie au XXIe siècle doit, elle, composer avec un déluge de données qui viennent « augmenter » la précision de la carte… mais encore faut-il savoir les exploiter.

C’est-à-dire ?

La révolution digitale a entraîné une autre révolution : celle de la massification des données, autrement appelée big data. Fondée sur l’explosion des réseaux sociaux et de la navigation sur le web, cette tendance trouve un nouvel élan dans le développement exponentiel des objets connectés (montre connectée, équipements ménagers… et aussi voitures autonomes, point d’éclairage, canalisation, plateau de bureaux, etc.) et plus globalement dans les services liés à l’IoT. 

De cette série de révolutions naissent des questions autour de l’exploitation de ces données, et notamment leur visualisation. Jusqu’à aujourd’hui, leur expression se faisait au travers de tableaux de bord permettant d’afficher des séries de calculs, des graphiques de résultats. Désormais, alors que la localisation devient la reine des données, se pose aussi de manière aiguë la question de la gestion de ce que l’on pourrait appeler la geodata, la question de la visualisation de données cartographiables.

Le cadastre napoléonien semble bien loin.
Désormais, dans le domaine de la cartographie, il faut se confronter à une nouvelle problématique majeure : comment gérer, dans le cadre d’une vue cartographique, l’affichage de millions de points de données ? Comment concilier carte et big data ? La puissance de calcul requise n’est pas simple à modéliser dans un outil cartographique. C’est aussi ça la question de l’exploitation des données par la cartographie. Je serais plus précis en parlant d’exploitation des données par des applications cartographiques.

Qu’entendez-vous par cette expression ?

Il vous suffit d’ouvrir votre magasin d’applications sur votre mobile ou votre ordinateur. La carte, comme si elle était devenue malléable, explose dans ses usages : localisations et itinéraires, bien entendu, mais également randonnées, cyclisme, jusqu’à utiliser la carte comme un outil social et de partage d’informations. Auparavant, il fallait une forte technicité pour analyser une carte, comme une carte marine ou une carte IGN. Désormais, grâce aux nouvelles technologies, nous avons su nous affranchir d’une forme de complexité pour rendre la carte « grand public ». Ou plutôt « simple to use » comme l’on dit dans l’univers des start-up.

Il est d’ailleurs intéressant de voir que ce vocable, auquel on pourrait ajouter l’expression « user friendly », irradie désormais également le monde de la cartographie dite « professionnelle », qu’on pourrait assimiler, en caricaturant, au SIG. Ainsi, désormais, les développeurs font en sorte que les applications qu’ils déploient soient les plus faciles d’utilisation possible. Et les collectivités locales, leurs clients, se prennent au jeu, comme on peut le lire dans les cahiers des charges des outils géographiques qu’elles commandent : les raccourcis clavier doivent être minimalistes, l’ergonomie des environnements totalement épurée, les fonctionnalités extrêmement ciblées. D’ailleurs, sur ce point, il est remarquable de constater que la précision des fonctionnalités embarquées par les applications va de pair avec l’inflation de ces applications… en nombre.

Ainsi, il y a encore 20 ans, un logiciel SIG vous permettait de piloter simultanément cadastre, foncier, voirie, etc. Désormais, chaque usage dispose de son application. C’est également une réponse à l’inflation des données. Elles sont tellement nombreuses à prendre en compte qu’il est désormais nécessaire de bien les sérier pour les adapter au contexte. Par exemple, une application voirie ne peut plus se contenter de dénombrer les places de stationnement, mais doit gérer désormais tout ce qui gravite autour des mobilités.

Vous évoquez le domaine de la voirie, mais à quelles autres infrastructures pourrions-nous faire référence ?


À toutes celles qui sont impactées par la croissance des geodata et la massification des données spatiales. Un chiffre : les objets connectés croissent chaque année de 25 % (en nombre) sur la planète. Le volume d’informations devient énorme, recouvre tous les domaines et améliore de fait la précision des processus de décision, mais également la complexité de la gestion de ces infrastructures.

Cela vaut pour les réseaux d’éclairage, la distribution d’eau, les smart grids, les transports publics, les mobilités, la gestion d’énergie, l’agriculture connectée, les ports et aéroports, la planification urbaine… : tous les domaines d’un territoire sont concernés et plus aucun ne peut s’affranchir d’un investissement dans les analyses spatiales. Une preuve s’il en est : on constate désormais un fort mouvement des acteurs privés qui rejoignent les acteurs publics, jusque-là en pointe dans ces ressources.

Ainsi, les acteurs privés considèrent désormais, au même titre que les collectivités locales, l’intérêt des outils géographiques comme une alternative durable en faveur de la gestion d’actifs et d’infrastructures grâce à leur fonctionnalité, à leur flexibilité et à leur adaptabilité aussi bien aux systèmes existants qu’aux équipements les plus récents. La cartographie est devenue un atout indispensable, d’autant d'autant plus qu'elle est proche du terrain.
 
 C’est intéressant que vous utilisiez cette expression de « hors sol », car on constate que dans le domaine de la gestion d’infrastructures, et plus globalement des territoires, on parle de plus en plus de « terrain ». Qu’en pensez-vous ?

Les nouvelles technologies ont fait tomber bien des barrières, on en a parlé. Une autre, non abordée à ce stade, serait celle de la proximité géographique. Aussi, si Spoutnik nous a envoyés dans l’espace, l’application géographique de notre mobile a permis de réinterroger la question du lien à l’espace, mais celui sur terre, qui nous entoure, en renforçant la notion de « terrain ».

Associé au domaine du SIG, cela signifie que nos tablettes, nos smartphones ont supplanté nos ordinateurs fixes avec un impact géographique immédiat puisqu’ils ont participé au renforcement de la composante spatiale de « proximité ». D’ailleurs, je trouve le clin d’œil singulier quand on sait que nos mobiles embarquent désormais des technologies NFC pour « near field communication » ou « communication en champ proche » en bon français.

Cette possibilité offerte d’être au plus proche des terrains permet ainsi au SIG de travailler sur un large spectre et de naviguer entre ce que nous appelons dans notre jargon, les clients lourds, ces interfaces complètes diffusées via les navigateurs de nos PC, et les clients légers, environnements cartographiques simplifiés, accessibles depuis nos téléphones. La gestion des infrastructures, évoquée plus haut, peut ainsi se faire à tous les niveaux, à toutes les échelles, depuis un écran de contrôle dans un open space jusqu’au pied d’un pylône électrique, via un outil mobile.

La cartographie entre donc dans une forme de processus de mobilité. Mieux, elle offre aux acteurs de la gestion d’infrastructure un don d’ubiquité.

La nomadité, autorisée par les nouvelles technologies, couronne ainsi l’intelligence cartographique en faisant de la carte un élément entièrement paramétrable, embarquant une multitude de données au service de la transformation des acteurs des infrastructures et des territoires. En cela, elle n’est plus seulement indispensable, mais indépassable.

Arnaud Syoën,
Directeur iread geospace