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Etienne Damas : "L’entreprise ne gagnera pas la “Guerre des Talents” par le dommage"

Bertrand Coty interview
29/04/2022



De nationalité belge, Étienne Damas est diplômé en Communication sociale et en Sciences sociales et politiques, de l’Université Catholique de Louvain (UCL, Belgique) ainsi qu’en Programmation Neuro- Linguistique, de l’Institut Ressources (Lasnes, Belgique).
Au service d’organisations tantôt internationale tantôt publique et de grandes entreprises technologiques au sein de Groupes internationaux comme Uniroyal Englebert, Continental, Safran, il agit successivement en qualité de personnel de direction en communication interne et externe et formation puis de coordinateur ressources humaines, formation et développement, coordinateur des formations lean 6 sigma en international, HR business process manager. Il développe une activité de formation et développement au sein de la société Entrorger centrée sur les formations en entreprises et organisations à la Gestion de l’Incertitude.



Étienne Damas, vous avez une carrière de responsable de formation derrière vous chez Continental et Safran. On parle aujourd’hui de la « guerre des talents », cette expression est-elle récente et d’où vient-elle ?

Il s’agit d’une expression utilisée il y a plus de vingt ans, mais qui garde toute sa pertinence…        
Sa première formulation par un cabinet de conseil international en 1998 imageait les difficultés rencontrées par les entreprises pour embaucher du personnel qualifié en raison de la baisse démographique et du besoin de compétences pointues. La tension sur le marché de l’emploi et la concurrence effrénée que se livraient les entreprises pour embaucher les meilleurs justifiaient cette appellation. Ce concept a fait ensuite l’objet d’un livre « The War for Talent » (2001), coécrit par trois consultants du même cabinet avec ce message : « Pour se développer et se différencier des concurrents, une entreprise doit commencer par gagner la “guerre des talents”.

Recruter coûte cher. Le turnover explose dans bien des cas. Les entreprises font-elles le nécessaire pour conserver et développer les talents qu’elles ont déjà en leur sein ?

C’est en effet une priorité. Les collaborateurs engagés qui ont prouvé leur valeur font l’objet de toutes les attentions : donner du sens à l’entreprise, aux emplois, récompenser, développer par les formations et les mobilités, les missions, les expériences partagées, le travail en équipe et en équipes pluridisciplinaires… La crise du Covid et sa gestion délétère ont toutefois fragilisé bien des édifices, certaines entreprises ont été contraintes à réduire le nombre de leurs collaborateurs, leurs salaires et avantages, à prendre des mesures d’économie sur les formations, les voyages, les missions, etc. à appeler aux départs volontaires ou à aller jusqu’aux licenciements secs.

Ces pratiques impitoyables laissent des traces profondes évidemment et chamboulent les opinions tout en ouvrant la porte à un questionnement et à des envies d’ailleurs ou d’autre chose… Des liens patiemment construits et entretenus se dénouent ou se tranchent.   Il va falloir réinventer la relation pour plus de respect et une nouvelle affiliation, sociale, écologique, non dommageable et sensée. L’entreprise ne gagnera pas la “Guerre des Talents” par le dommage même si certains hommes se complaisent dans les situations et décisions brutales jusqu’à la guerre qu’elle soit des Talents ou d’une autre nature.
 
Quel est le rôle de la formation dans ce contexte pour à contrario fixer et valoriser le potentiel des collaborateurs ?

C’est un rôle central pour permettre aux collaborateurs d’acquérir, de maintenir ou de développer des compétences de savoir-faire et de savoir-être qui constituent les fondements de l’entreprise et de sa culture d’affaire et de vie commune avec les collaborateurs. On parle des formations techniques dont la pertinence sera appréciée par tous professionnels, désireux de gagner en valeur par les compétences et d’être reconnus professionnellement dans des expertises acquises ou nouvelles ; ensuite des formations de savoir-être qui commencent par la connaissance de soi, les techniques de management, le développement personnel ; on parle aussi des missions, du travail en équipe, du mentoring, du coaching qui font partie également des chemins d’évolution en donnant du sens au projet, à la relation, au travail d’équipe, aux réussites comme aux moments plus difficiles à vivre à considérer aussi comme des moments d’apprentissage, à la lumière de débriefings sains, nécessaires.

Vous intervenez en formation sur le management de l’Incertitude avec une formation que nous savons être très appréciée par de grandes entreprises en Belgique. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Notre environnement est de plus en plus complexe et changeant. Le changement et la violence des situations de changement se vivent en termes de rapidité, brutalité, impacts économiques et sociaux majeurs, conséquences et impacts sur la vie privée et publique des populations et des individus, conséquences de l’incertitude qui s’accroît… Tout cela entraîne une mise sous tension constante des individus et des équipes. Ces perturbations, minimes, moyennes, sévères altèrent en profondeur notre physiologie, notre psychologie, nos comportements.

Ceux-ci mettent en péril la relation et le résultat.  
L’émotion est ainsi au cœur du processus d’adaptation et d’épanouissement du manager-leader du 21e siècle, nécessitant le besoin d’acquérir et de pratiquer au quotidien, de manière systématique et structurée, des techniques de gestion des perturbations, des situations de tension, de pré- conflit ou de conflit avec en toile de fond, la règle du non-dommage pour soi et son interlocuteur. Cette formation est un vrai bonheur tant elle est au service du développement de l’intelligence émotionnelle et sociale et désamorce littéralement toute situation potentielle ou avérée d’agressivité ou d’agression. Elle se révèle extrêmement efficace pour préserver la relation et aboutir au plus vite à un résultat qui réponde aux attentes des deux parties en permettant tous ajustements ultérieurs dans une dynamique de respect des personnes et de leur culture.

Comment voyez-vous le rôle du DRH dans l’entreprise du futur proche ?

Je lui vois un rôle de pacificateur, de donneur de sens et de constructeur de la relation rénovée. Le DRH est le bâtisseur de l’âme de l’entreprise qu’il lui faudra immanquablement reconstruire autour du sens, autour du projet économique, écologique, social et humain, autour de la mise en relation de tous les collaborateurs. Il faudra, dans un futur immédiat revisiter la culture de l’entreprise au travers des comportements mis en œuvre ces deux dernières années et sans doute redéfinir avec tous cette culture de vie et lancer des chantiers d’évolution pour transformer l’entreprise, la rendre plus démocratique et participative, elle qui est autocratique et fut particulièrement autoritaire, il faudra penser à insuffler davantage d’intelligence collective et de management humaniste où le manager se transforme pour devenir un leader coach c’est-à-dire quelqu’un qui écoute beaucoup plus qu’il ne parle ; quelqu’un qui pousse les initiatives et les pratiques des collaborateurs ; qui développe les carrières de ceux-ci allant jusqu’à travailler à son propre remplacement dans le cas d’une évolution personnelle ; quelqu’un qui fluidifie les situations, agit en partenaire qui accompagne et qui félicite, respecte ses interlocuteurs en tous moments et en tous lieux.                              
                                                                                                 
Les principes et comportements de base doivent privilégier une parole constructive et positive et jamais au détriment d’autrui ; le fait de ne pas prendre personnellement ce que les autres disent ou font en considérant toutefois positivement l’information qu’ils nous ont donnée ; l’évitement de toute supposition pour appeler aux faits et éviter une perception biaisée ou erronément partisane ; une volonté de faire toujours au mieux de notre possible ; enfin le fait de garder un esprit critique respectueux et constructif, actif et contagieux.

Bref, il s’agit d’un rôle de négociateur partenaire, agent de changement participatif dans le non-dommage, ce que nous enseignons dans notre formation de gestion de l’Incertitude appelée également “Négociation partenariale”.