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ÉCOTERRORISME

Landry Richard
02/11/2022



Écoterrorisme, un mot employé par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin dans sa déclaration du 30 octobre 2022 pour parler de la menace qui pèse sur Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres. Ce samedi, plus de 4 000 manifestants ont fait face à près de 1 700 gendarmes, équipés au sol de nombreux véhicules et d’un appui aérien de six hélicoptères.



Malgré l’interdiction de la manifestation et malgré le déploiement impressionnant de gendarmes autour du périmètre, des milliers de personnes ont répondu à l’appel du collectif « Bassines non merci » et du mouvement les « Soulèvements de la Terre ». Ces affrontements ont provoqué une trentaine de blessés parmi les manifestants, soixante et un gendarmes (dont vingt-deux sérieusement) ont quant à eux été touchés.
 
En dénonçant un mode opératoire « terroriste », le ministre de l’Intérieur précisant que quarante personnes d’extrême gauche fichées S avaient été identifiées sur les lieux s’est attiré les foudres de ses commentateurs. Mais qu’en est-il du concept d’écoterroriste, est-ce une menace réelle ?
 
Le terrorisme [1] est une méthode répétée d’actions violentes, inspirant l’anxiété, la peur, et qui est employée par des individus, des groupes, clandestins ou des acteurs étatiques pour des raisons particulières, criminelles, ou politiques où - au contraire de l’assassinat - la cible initiale de l’acte de violence ne représente que la secondaire et non la cible principale. La cible initiale de l’acte de violence est généralement choisie au hasard (opportunité) ou de manière sélective (symbolisme) parmi une population donnée et sert à propager un message. Le processus de menace et de violence entre les terroristes, les victimes (cible initiale) et la cible principale (audience) est utilisé dans le but de manipuler la cible principale, ce qui transforme celle-ci en une cible de terreur, une cible de demandes ou une cible d’attention, selon que l’intimidation, le chantage ou la propagande représente l’objectif visé.
 
Je laisserai au lecteur, au vu de cette définition, se construire un avis sur le qualificatif employé pour parler des manifestants venus « défendre une zone » dans cette pleine campagne. Si l’ambition de la cause écologique en pleine période de prise de conscience globale sur la nécessité de laisser respirer notre planète peut sembler noble, il n’en demeure pas moins qu’il en est tout autre au sujet des méthodes employées pour parvenir à se faire entendre.
Ainsi, l’écoterrorisme correspondrait à toute activité terroriste justifiée par des discours liés à la protection de l’environnement ou par la défense des animaux. Souvent vu comme étant une « forme particulière » de terrorisme [2], c’est-à-dire qu’il est justifié par une cause unique qui cadre mal avec les formes de terrorisme plus classiques [3].
Dans la littérature, l’écoterrorisme est relativement récent. On peut fixer sa naissance vers le milieu des années 1960 avec l’apparition des groupes activistes opposés à la chasse. Des groupes qui avaient essentiellement pour objectif de nuire aux chasseurs en procédant à des actions dans le respect des lois (des sifflets pour faire fuir les animaux, laissaient de fausses pistes, installaient des clôtures, etc. Tout cela, dans l’objectif de nuire aux chasseurs). Rien de bien méchant, c’est toutefois la parution de la nouvelle The Monkey Wrench Gang en 1976 [4] qui mettra en place le cadre intellectuel dans lequel les écoterroristes vont œuvrer. Dans cette nouvelle, on dépeint des individus aux allures étranges qui décident d’entreprendre du sabotage pour faire cesser des travaux nuisant à l’environnement. La nouvelle a ainsi inspiré l’activisme écologiste qui, avec le temps, glissera vers l’extrémisme environnementaliste, voire l’écoterrorisme [5].
 
Considéré comme la cinquième vague de terrorisme, après le terrorisme anarchiste, le terrorisme anticolonial, le terrorisme de nouvelle gauche et le terrorisme religieux, l’écoterrorisme prend désormais de plus en plus de place dans le spectre des activités terroristes. Le FBI considère d’ailleurs que l’écoterrorisme est actuellement la principale menace terroriste sur le territoire des États-Unis. Une menace plus ou moins bien prise en considération en France, même si le sujet touche de plus en plus les grands industriels. Lorsque j’étais responsable de la sûreté d’un grand groupe industriel disposant de nombreux sites SEVESO seuil haut sur le territoire national, j’avais mis en œuvre une veille destinée à anticiper ce type de menace. Je m’étais par ailleurs indigné auprès de la DGSI du fait que les cartographies détaillées de ces sites sont en libre accès sur Geoportail ou sur Google Maps. Un excellent moyen pour nos adversaires d’identifier les accès, les cheminements et lieux sensibles ou de stockage de produits avant de passer à l’action.
 
Bien sûr, nous sommes toujours incapables de lire l’avenir et de prédire avec certitude quelles seront les menaces de demain. En la matière, les malfaisants sont d’ailleurs toujours impressionnants d’innovation et de surprise dans la course à l’ignominie. Les cibles de l’écoterrorisme se cantonneront-elles à la destruction d’outils industriels, de laboratoires pharmaceutiques, des lieux de souffrance animale ou à l’aspersion de soupe sur des œuvres d’art ? L’histoire nous montre que le radicalisme et son facteur humain nous autorisent à imaginer bien pire. Des tentatives d’attaques de centrale nucléaire à l’explosion d’une cokerie, des scénarios « catastrophe » peuvent être imaginés. Ruptures de barrage, sabotage de trains ou de camions transportant des matières dangereuses, pollution volontaire de châteaux d’eau potable et pourquoi pas kidnapping, assassinat de représentants symboliques de « ceux qui polluent », PDG d’entreprises SEVESO, élus, chercheurs… À l’instar des crimes de Theodore Kaczynski aux États-Unis qui a orchestré une campagne d'attentats qui a duré dix-huit ans, faisant trois morts et 23 blessés avec 16 bombes envoyées contre des représentants de l’industrialisation. Il est finalement repéré et arrêté le 3 avril 1996, avant d'être condamné à la prison à perpétuité.
 

Une anticipation régalienne

Il faut constater que le militantisme écologique se radicalise de plus en plus et les actions d’écoterrorisme se développent. La prise en compte de ce risque a fait l’objet, en 2019, de la création d’une cellule de renseignement  visant à protéger l’agriculture (industrielle) face aux actions de contestation. Initié par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner, le dispositif policier et judiciaire a été baptisé Déméter.
 
Le risque d’écoterrorisme doit être pris au sérieux par les pouvoirs régaliens. La normalisation (ISO) de la sûreté en entreprise, comme pour les sujets liés à la sécurité, doit impérativement prévoir ce sujet. Malheureusement, nous risquons encore une fois de ne réagir qu’après avoir subi une attaque majeure qui bouleversera l’opinion publique.

 

Alex P. Shmid et Albert J. Jogman 1988 : p. 22
2  Lagaré, 2002
Monaghan, 2000
4 Abbey, 2006
5 GAGNON Benoît, « L’écoterrorisme : vers une cinquième vague terroriste nord-américaine ? », Sécurité et stratégie, 2010/1 (3), p. 15-25. DOI : 10.3917/sestr.003.0015. URL : https://www.cairn.info/revue-securite-et-strategie-2010-1-page-15.htm

Landry Richard est spécialiste NRBC et des questions de sûreté et de développement de la performance des équipes d'intervention spécialisées. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages :  "Dans la tête de l'Officier 2.0", "Dans la tête de ceux qui nous protègent" chez VA Éditions.