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Daniel Rigny, TwentyTwo Real Estate: "la crise, révélateur et catalyseur de RSE"

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28/04/2020



La crise du coronavirus soumet les entreprises à de nombreuses pressions économiques, organisationnelles et sociales. Elle remet en perspective notre rapport au travail, aux institutions et à la mondialisation dans la plupart de ses dimensions. Bref, elle révèle notre interdépendance globale et incite le monde de l’entreprise à adopter une approche élargie et inclusive de ses parties prenantes. Dans ce contexte, la RSE n’est donc pas un luxe, mais bel et bien un vecteur de résilience. C’est, en substance, ce qui ressort du témoignage de l’entrepreneur et investisseur Daniel Rigny.



TwentyTwo Real Estate est un groupe indépendant dont le cœur de métier est l'investissement immobilier. Quelles sont ses activités, et comment la RSE y a-t-elle fait son entrée ?

Notre modèle est un modèle totalement intégré couvrant toute la chaine de valeur, depuis l’investissement jusqu’à la gestion de terrain. Le siège parisien de notre filiale, dénommée Scaprim, regroupe la direction générale et les services généraux ainsi qu’une équipe d’une trentaine de personnes dédiée à la gestion des véhicules d’investissement, aux acquisitions, à la maitrise d’ouvrage déléguée et à l’asset management, c’est-à-dire la gestion patrimoniale qui définit le positionnement commercial d’un immeuble, le type de travaux à financer, et qui négocie en direct les nouveaux baux…. Mais la majorité des collaborateurs - environ 150 - s’occupe de la gestion locative, technique et administrative des immeubles depuis Paris et nos directions régionales à Metz, Lyon et Toulouse ainsi qu’à travers nos 13 agences locales. Notre nouvelle filiale Allowa, enfin, spécialisée dans la commercialisation de logements, regroupe une quinzaine de collaborateurs.
 
C’est en 2019 que nous avons formalisé et mis en œuvre notre politique de RSE, en instillant de nombreux changements à tous les niveaux. Nous souhaitions contribuer efficacement au développement durable dans une démarche de proximité. C’est pourquoi nous avons défini quatre champs d’action en cohérence avec notre périmètre métier, dans l’objectif d’avoir un impact mesurable, immédiat et significatif.

Comment la RSE se décline-t-elle concrètement dans votre domaine ?

Nous avons défini quatre axes essentiels de RSE :
 
  • Réduire la consommation énergétique des immeubles détenus par nos véhicules d’investissement. Nous gérons 20000 logements, dont 6500 au sein de PowerHouse Habitat, une société foncière locative à loyers abordables que nous avons fondée. Nous avons démarré un plan de rénovation énergétique massif en investissant dans l’isolation et dans l’installation de pompes à chaleur qui sont aujourd’hui les outils techniques le plus efficaces pour réaliser des économies d’énergie. De même, dans notre parc de bureaux, nous avons mis en place des mesures pour réduire la consommation des bâtiments.
 
  • Soutenir la biodiversité : pour chaque mètre carré de bureau loué dans les immeubles où nous investissons, nous plantons un arbre. Le 20 avril dernier par exemple, nous avons annoncé un nouveau bail de 3000m2 dans l’immeuble Nova à La Garenne-Colombes. Nous allons donc financer la plantation de 3000 arbres en France grâce à Reforest’Action, une entreprise à vocation sociale. 
 
  • Soutenir l’emploi dans les régions françaises : c’est le premier volet sociétal de notre engagement RSE. En tant que gestionnaire, nous sommes très présents dans les territoires, notamment à travers notre activité de logement, et nous nous imposons de travailler avec des TPE, des PME et des artisans locaux plutôt que d’avoir recours aux grands groupes. Nous avons 1000 fournisseurs agréés, que nous faisons travailler de manière systématique, pour tous types de travaux. 
 
  • Investir dans les jeunes pousses et la technologie : c’est l’autre volet sociétal de notre politique de RSE. Pour nos activités dans l’immobilier, nous faisons travailler plusieurs dizaines de jeunes pousses, des programmateurs, des développeurs de projets digitaux, etc. Nous avons également créé une filiale – Allowa – qui a pour but de faciliter le parcours client pour toute transaction résidentielle locative ou d’achat, grâce à nos e-vendeurs qui ne travaillent que via notre interface digitale. 

​"Notre première responsabilité est de protéger les investissements de nos clients privés et nos clients institutionnels qui gèrent l’épargne des particuliers."

Comment la crise du coronavirus influence-t-elle votre activité d’investissement ?

Notre première responsabilité est de protéger les investissements de nos clients privés et nos clients institutionnels qui gèrent l’épargne des particuliers. Nous devons trouver des solutions pragmatiques dans ce contexte généralisé de pertes économiques pour protéger au mieux les épargnants. Une de nos principales expositions est le logement, à travers notre foncière PowerHouse Habitat. Il constitue l’actif le plus résilient en France. Nous avons d’ailleurs constaté que le taux de recouvrement des loyers n’a pas été impacté par rapport à l’an dernier. En revanche, concernant les immeubles tertiaires, les locataires les plus fragiles commencent à avoir des difficultés de paiement.

Comment mettez-vous en œuvre votre RSE dans ce contexte très spécifique ?

Au cas par cas, nous aidons nos locataires tertiaires en termes de trésorerie, avec des factures mensuelles plutôt que trimestrielles ou un échelonnement sur plusieurs trimestres afin d’étaler la charge de trésorerie. Pour les plus fragiles, nous avons accepté d’annuler le loyer. Nous nous sommes aussi employés à soutenir notre réseau de fournisseurs et prestataires TPE en accélérant les procédures de paiement.  A travers les banques, le gouvernement met à disposition un programme de financement de 350 milliards d’euros auquel la quasi-totalité des sociétés ont accès, ces dernières pouvant emprunter jusqu’à 25% de leur chiffre d’affaires, et l’État garantissant 80% de ces emprunts. La plupart de nos locataires ont accès à ces aides de trésorerie. D’une certaine façon, nous complétons ainsi l’action du gouvernement et des banques.

Comment vous-êtes vous adaptés à la soudaineté de la crise du coronavirus ?

Cette crise nous a imposé un défi très concret : organiser le télétravail pour nos 200 collaborateurs depuis leur domicile. Nous avions déjà testé le télétravail pendant les grèves de l’hiver, mais jamais avec l’ampleur actuelle. Nous sommes passés en fonctionnement de crise quatre jours avant le début du confinement. Les mesures de télétravail ont été mises en place immédiatement, pendant le week-end. Le lundi suivant, toute la société était en télétravail. Par anticipation, nous avions procédé à une commande massive d’ordinateurs dans les semaines précédentes. Nous avions également réalisé depuis plusieurs années des investissements majeurs dans des outils technologiques permettant la dématérialisation de la gestion financière des immeubles, ce qui nous a permis de continuer d’assurer l’ensemble de nos missions pour le compte de nos clients.

Comment cette situation inédite est-elle vécue par les collaborateurs, et quel est rôle du management dans ces circonstances ?

En premier lieu, nous avons fait un choix fort : celui de ne pas avoir recours au chômage partiel, y compris pour les collaborateurs « de terrain » dont l’activité ne pouvait être maintenue du fait du confinement. Il nous paraissait en effet essentiel que la communauté qu'incarne l'entreprise reste solidaire et connectée dans cette période difficile. La clé de l’engagement des collaborateurs est aussi le maintien d’une communication constante. Nous tenons plusieurs conférences téléphoniques hebdomadaires pour faire part à nos collaborateurs de notre analyse sur l’impact de la crise. Ils ont besoin de savoir comment nous anticipons et nous adaptons, comment nous abordons – avec réalisme - les semaines et les mois à venir. Il faut avoir un discours de vérité et des objectifs réalistes. Il est également primordial de maintenir une grande proximité avec les collaborateurs les plus fragiles ou isolés. Enfin, nous sommes attentifs à la nécessaire dissociation entre temps de travail et vie personnelle, pour éviter que le télétravail entraîne une perte de repères. L’ensemble des collaborateurs a d’ailleurs réagi avec beaucoup de pragmatisme et de courage face à cette situation.

"La crise doit être un catalyseur de RSE, car nous vivons dans une interdépendance économique totale."

La crise que nous traversons est d’une ampleur inédite sur le plan sanitaire, mais aussi économique. Redoutez-vous que la RSE, d’une façon générale, en fasse les frais ?

Au contraire, cette crise doit être à la fois un révélateur et un catalyseur de la RSE. Un révélateur, d’abord, parce que c’est dans les situations de crise que la cohésion d’une équipe, l’engagement individuel et les valeurs de l’entreprise sont le mieux mis à l’épreuve. C’est dans la crise que la RSE prend tout son sens. 

Mais la crise doit aussi être un catalyseur de RSE, car nous vivons dans une interdépendance économique totale. Si la chaîne économique s’arrête, les pires scénarios se profileront, avec des conséquences extrêmement graves. Il faut donc éviter tout scénario de rupture. Nous avons tous une responsabilité vis-à-vis de nos clients, de nos locataires, de nos fournisseurs - TPE et PME. Tout doit se faire sur la base de l’assentiment et du volontariat collectif, en définissant de nouvelles règles propres à affronter, ensemble, une situation inédite. L’État injecte des milliards dans l’économie pour éviter les scénarios de rupture, mais l’État ne pourra pas compenser les pertes économiques que le secteur privé est en train de subir. Les actionnaires et les créanciers assumeront ces pertes, mais les salariés et indépendants ne sont pas à l’abri du risque. Le maintien et la relance de l’économie doit venir du secteur privé, de manière collaborative. 

En temps qu'entrepreneur, comment vivez-vous l'incertitude liée à cette crise sanitaire ?

On dit que la vie est une longue suite d’échecs ponctuée de quelques succès. En tant qu’entrepreneur je gère en permanence de nombreux risques et je m’efforce d’en minimiser les impacts, pour que le fruit de notre travail se transforme en succès. C’est l’état d’esprit dans lequel j’aborde tous les moments de crise. Dans cette nouvelle crise qui contraint nos activités, concentrons-nous d’abord sur ce que l’on peut faire plutôt que sur ce que l’on ne peut pas faire. Il faut accepter et s’adapter rapidement à la situation actuelle, fixer de nouveaux objectifs et modes opératoires, il y aura ultimement une issue. Je trouve très positif que, dans la situation actuelle, le secteur privé soit à ce point mobilisé pour relancer la machine économique. Nous constatons à notre niveau une réelle implication des fédérations du bâtiment et des foncières. Cela nous permet de définir tous ensemble de nouvelles règles, adaptées aux besoins de l’ensemble les parties prenantes.