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Confinement et déconfinement, le triomphe des réseaux et l’émergence de nouveaux risques : acte 1, de la distanciation sociale à la distanciation sociétale

Philippe Cuif
25/05/2020



La distanciation sociale est devenue un mantra décliné dans tous les aspects, ou presque de notre vie. Elle peut prendre des aspects comiques (de situation) avec des ascenseurs d’immeubles de bureau où le marquage au sol des voyageurs amènent à les faire se tourner le dos.



Image Pixabay
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Dans le même ordre d’idées on demande aux footballeurs de ne plus fêter un but avec force embrassades ou agglutinements. Elle suscite l’imagination de designers qui conçoivent des objets distanciés, des modules de conversation transparents de type « bulle » qui permettent de s’assoir à une même table sans se postillonner dessus, en Allemagne s’est lancée la première discothèque « drive-in » ou chacun reste dans sa voiture – pas plus de deux passagers – et s’agite (danser serait un terme excessif) sur son siège au son du DJ diffusé par l’autoradio. Des câbles de recharge de batterie sont mis à disposition pour ajouter une touche de romantisme à cette idée !

Cette distanciation sociale devient aussi une distanciation sociétale quand des sociétés – certes américaines pour le moment – licencient leurs salariés via twitter, un sms ou un message préenregistré. Quand les salariés français ont plus d’angoisse à se déconfiner qu’ils en avaient à se confiner et que le confort des aides sociales mises en œuvre durant cette période fait oublier les orages économiques qui pourraient se déclencher au profit d’un avant-goût des vacances estivales.

Dans les années 90 une société avait souhaité faire de la distanciation sociétale, en dehors de toute considération sanitaire, une politique d’entreprise lui permettant de réduire ses charges fixes, particulièrement immobilières. Cette société Arthur Andersen avait constaté que ses consultants passaient l’essentiel de leur temps chez leurs clients, qui mettaient à leur disposition – généralement gracieusement – salles et espaces de travail.

Pourquoi dès lors avoir des locaux utilisant des ratios usuels de m2/salarié (10/15 m2/personne en général) pour y substituer des locaux dont la surface est calculée sur une base présentielle ponctuelle.
Dès lors 5 m2 par personne pouvait devenir la norme avec des locaux (ceux actuellement occupés par LVMH avenue George V) ne comportant pas d’espaces affectés, mais des espaces libres, assez similaires à ceux que proposent la station F, qui étaient occupés sur demande, avec un meuble de rangement, comportant les affaires du salarié concerné, qui était alors ramené par les services généraux et positionné pour la journée ou le temps nécessaire là où le salarié/consultant s’installait avec son ordinateur portable et une ligne téléphonique.

Quel bel exemple que ces 5 m2/personne qui ont fait miroiter bien des yeux dans les entreprises calculant les économies qu’elles pourraient réaliser en économisant la moitié voire les 2/3 de leurs locaux. Mais voilà l’expérience d’Arthur aurait pu être inspirée par Ronsard :
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las, las ses beautés laissé choir
Ô vraiment marâtre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

 
L’expérience fi long feu pour plusieurs raisons. L’exemplarité d’Arthur Andersen dans la gestion comptable d’Enron qui l’entraina dans la faillite de cette dernière. Mais avant, pour avoir pu observer, en tant qu’observateurs de plusieurs organisations sociales et immobilières, des comportements troublants qui auraient pu alerter sur les risques d’avoir trop distancié l’entreprise de ses salariés.

Un enrichissement, à force de pourboires, des hôtesses qui avaient en charge l’attribution des espaces de travail et auxquelles les salariés demandaient de leur réserver le même espace d’un jour à l’autre évitant le désagrément du rangement. L’attitude de quelques associés qui s’étaient discrètement loués des bureaux aux alentours pour disposer d’un espace dédié pouvant être orner de leurs photos personnelles. Le ressenti de nombreux salariés devenus tout à coup sensibles aux sirènes de concurrents qui se contentaient, à rémunération équivalente, de leur proposer un bureau individuel. Enfin l’agacement de clients qui se sont mis à facturer les espaces laissés aux auditeurs ayant compris qu’ils finançaient les économies de leur expert-comptable.

A force de trop distendre le lien physique entre l’entreprise et ses salariés on distend la relation professionnelle qui peut exister entre eux, on brouille les cartes de la loyauté et de l’attachement.

Mal gérer, mal préparer, mal expliquer le télétravail peut provoquer des situations identiques à celles décrites. Et, là aussi, il faudra savoir gérer les débordements, frustrations et autres déceptions qui ne manqueront pas d’être étalés sur la place publique des réseaux sociaux car nous ne serons plus dans le droit, l’économie ou le social mais tout simplement dans le psychologique et c’est parfois beaucoup plus difficile à appréhender.

Philippe Cuif
Conseil en cybersécurité
Hypnothérapeute (ericksonien)
Of counsel Panoply





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