Christine Revault d'Allonnes Bonnefoy, Présidente de Commission au STIF : "Nous ne pouvons plus assumer le coût environnemental et sanitaire du tout-diesel"

Grégoire Moreau
10/06/2014


Christine Revault d'Allonnes Bonnefoy est députée européenne, conseillère régionale, Présidente de la Commission Investissements et suivi du contrat de Projet au STIF et Membre du bureau et du Conseil d'administration du STIF. Pour RSE Magazine, elle revient sur les raisons et les implications de la décision de la RATP de passer au 100 % électrique d'ici 2025.



Les bus diesel d'ancienne génération sont condamnés à disparaître à brève échéance (sous licence Creative Commons)


Quelles sont les motivations d'une telle volonté de changement de la part de la RATP ?

Christine Revault d'Allonnes Bonnefoy : Il y a certes sur cette question une dimension politique liée aux questions économiques. Mais cela répond surtout à des impératifs sanitaires. Nous connaissons à l’heure actuelle une croissance soutenue de la demande en transports en commun : en l’espace de dix ans, le nombre de voyageurs a augmenté de plus 20 %, et la tendance n’est pas prête de s’inverser. C’est déjà une très bonne chose, parce que cela signifie des usages plus modérés des voitures individuelles, et donc moins de pollution. Sauf si les véhicules de transports en commun sont eux-mêmes générateurs de pollution. C’est tout l’enjeu de notre volonté de sortie progressive du diesel pour les bus.

La France connait une situation très particulière sur ces questions compte tenu de son biais industriel historique pour le diesel. Ce tropisme pour le diesel a été l’un des moteurs de l’ensemble de la filière automobile, qu’il s’agisse des voitures individuelles, des camions ou des bus. Cette logique a été génératrice d’emploi et créatrice des richesses en France, mais à un coût environnemental et sanitaire que nous ne pouvons plus nous permettre aujourd’hui. Le XXIème siècle sera celui d’une autre mobilité, plus écologique et plus « durable ». Cela signifie très clairement donner une forte impulsion politique et économique en direction des secteurs recherche et développement des entreprises automobiles.

La raison à cela est tout de même avant tout sanitaire : les pics de pollution que nous avons connu au mois de mars, et que nous allons probablement connaitre à nouveau cet été, doivent être combattus autrement que par des solutions d’urgence, en simple réaction. Ces mesures, souvent décidées dans la précipitation, ne sont satisfaisantes ni en termes d’emploi ni en termes de santé publique. La meilleure solution reste une approche globale, en commençant par favoriser, dès la conception, des véhicules utilisant de nouveaux types de carburants, voire des modes propulsion purement électriques.

C’est un point sur lequel le STIF travaille de façon pragmatique et raisonnée : en décembre dernier, en coordination avec la RATP, nous avons fait le choix d’en finir avec le tout-diesel et de nous tourner vers des motorisations moins nocives. Certes le changement complet du parc se fera dans des délais que nous souhaiterions plus rapides. Mais sachant que nous souhaitons favoriser des achats français, il faudra laisser le temps aux industriels français et franciliens de faire évoluer les produits qu’ils proposent.
 

Pouvez-vous nous décrire le besoin à l'heure actuelle ?

Un grand nombre de personnes utilisent encore leurs voitures individuelles, tout simplement parce qu’elles n’ont pas accès aux transports en commun à proximité. Il va nous falloir trouver des solutions intelligentes pour rapprocher ces personnes des gares RER ou des stations de métro. Plusieurs systèmes sont à l’étude, comme les bus à la demande, mais cela ne donne pas entièrement satisfaction. Les solutions les plus efficaces passent par une multiplication des lignes de bus, une révision et/ou une extension des tracés existants. Cela doit se faire au niveau des bassins de vie, c’est-à-dire au niveau d’un regroupement de communes, comptant par exemple une ville centre et plusieurs villages autour. Le but est parvenir à un meilleur maillage des lignes de bus et de transports en commun sur l’ensemble du territoire.

Autre solution face à cette question de santé publique à laquelle nous travaillons au conseil régional, mais qui ne concerne pas directement le STIF : la multiplication des bornes de rechargement pour voitures électriques individuelles, pour démocratiser l’usage de ce type de véhicules en tous lieux. Dans les zones qui ne pourront pas être desservies de manière optimale par les transports en communs, nous souhaitons encourager l’achat de véhicules électriques en développant les infrastructures de recharges. 

Vous mettez un peu la pression sur les industriels. Souhaitez-vous avoir un effet d’entrainement sur l'ensemble de la filière "électro-mobile" ?

Dans notre rôle d’élus, nous ne mettons pas au sens propre la « pression » sur les industriels. Mais nous avons sur ces sujets une vraie convergence d’intérêts. Pour les constructeurs, c’est à la fois une opportunité à saisir et une façon de parier sur l’avenir, de montrer à l’Europe et au reste du monde que nous avons les ressources pour être une nation leader en technologie environnementale. C’est aussi l’occasion, dans des secteurs R&D fragilisés par la crise, de renouer avec l’emploi et la croissance et de retrouver notre rôle de fer de lance en matière d’innovation écologique et de greentech.

Au STIF, nous aurions pu faire le choix d’une sortie immédiate du diesel via l’achat de matériels étrangers : des constructeurs européens proposent déjà des produits sur ce créneau. Nous en avons décidé autrement pour laisser du temps et encourager les industriels français et franciliens en particulier à progresser sur ces questions. Nous sommes convaincus que nos ingénieurs ont la créativité nécessaire pour relever ces défis techniques. Nous mettons une pression « saine » et positive sur les industriels en les encourageant à innover et à, entre autres, abandonner l’utopie du diesel propre.

Vous avez relayé un communiqué de soutien à des entreprises franciliennes pour des véhicules électriques sur votre blog (15 février). Vous souhaitez de même voir des entreprises française et même francilienne) remporter cet appel d'offres ?

Nous nous inscrivons en plein dans le lignée d’Arnaud Montebourg sur la promotion du Made in France. C’est une dimension très importante de nos projets. L’innovation, la R&D et le secteur automobile français de manière générale sont des domaines qui doivent être appuyés par les pouvoirs publics, dans la mesure de ce que nous sommes autorisés à faire. L’approche du STIF et derrière lui du conseil régional concerne la santé, mais aussi l’emploi : il s’agit de produire en France de nouveaux matériels plus performants et plus sains pour les populations. Tout est lié pour nous.

Avez-vous le soutien du nouveau gouvernement, et notamment du Ministère de l'écologie ?

Nous sommes en phase avec ce que souhaitent le gouvernement et les institutions européennes sur ces questions. Le diesel n’est plus vraiment en odeur de sainteté au gouvernement. Mais les questions touchant aux transports sont très décentralisées et concernent surtout la RATP et les collectivités locales et régionales. Nous souhaitons simultanément promouvoir le développement économique du territoire, tout en améliorant les conditions de vie sanitaires de la population, notamment sur les questions de pollution de l’air.

Ces dispositifs seront-ils généralisés à l'ensemble du Grand Paris ?

Il y a une nette différence à faire entre les bus électriques qui seront destinés à un usage exclusivement urbain, où l’infrastructure de rechargement par exemple peut être extrêmement dense, et les zones péri-urbaines, avec des distances de transport entre deux arrêts nettement plus longues. Sur Paris ou en petite couronne, on peut par exemple envisager des recharges à chaque arrêt, sachant que les distances intermédiaires se comptent en centaines de mètres, et que la distance totale parcourue par un bus reste modérée. En revanche, là où il va falloir de véritables percées technologiques en R&D de la part des industriels, c’est sur les transports dans les zones périurbaines des Yvelines, de Seine et Marne ou du Val d’Oise. Dans ces zones, les distances franchissables en autonomie complète vont être nettement plus conséquentes, sans possibilité de recharge entre deux villes. En attendant un matériel ayant ces capacités, la solution des motorisations hybrides constituent une alternative, bien que ce ne soit qu’une solution transitoire. Les constructeurs de France et d’Ile-de-France en particulier doivent se saisir de ces enjeux.

Les bus électriques seront rapidement généralisés en zone urbaine. Sur les territoires plus excentrés, nous ne savons pas encore quelle architecture technique privilégier pour les bus : en l’état actuel des développements techniques, pour un bus 100 % électrique sur de longues distances, la place prise par les batteries ne laisserait guère d’espace pour d’éventuels passagers. Cette limitation technique trouvera certainement sa solution dans les années qui viennent, faisons confiance aux talents de nos ingénieurs. Mais en attendant, il nous faut trouver des solutions de motorisation de transition qui soient les plus propres possibles.

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