Aymeric Poujol, EIF : développer le capital humain comme projet d’utilité sociale

09/04/2013


Aymeric Poujol est à la tête d’EIF, une société de conseil spécialisée dans la fiscalité locale et le financement de l’innovation. Après avoir fait lui-même ses débuts dans l’entreprise, il a repris EIF avec la volonté de perpétuer et de développer l’engagement social de l’entreprise. Il nous en confie quelques implications très concrètes.



RSE Magazine : L’engagement social d’EIF se tourne particulièrement en direction des jeunes. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Aymeric Poujol
Aymeric Poujol : Nous accordons effectivement une attention toute particulière aux jeunes puisque notre politique de recrutement se tourne presque exclusivement vers eux. Nous déclinons donc cette démarche sur les deux principaux corps de métiers de notre entreprise. Le premier relève de la compétence fiscale à proprement parler. Afin de pourvoir à nos besoins en la matière, nous avons identifié en France les meilleurs bassins de recrutement sur cette compétence. Deux cursus retiennent ainsi particulièrement notre attention : l’un est proposé par l’Université Paris Dauphine, le second par l’Université Paul Cézanne d’Aix Marseille . Nous surveillons donc de près les diplômés qui sortent de ces filières et chaque année nous postons une annonce ce qui nous permet de recruter régulièrement quelques-uns des majors ou des meilleurs de  la promotion.
 
Le second corps de métier concerne les géomètres qui s’occupent pour nous d’effectuer les relevés de données dont les experts fiscalistes ont besoin pour travailler. Il s’avère que c’est une profession  fortement touchée par le chômage. Nous privilégions donc les recrutements auprès des agences nationales pour l’emploi afin de recruter ces spécialistes. Et nous avons toujours été très satisfaits de leur performance.

Ce modèle de ressources humaines que vous puisez, pour ainsi dire, « à la source » est-il fonctionnel dans le milieu du conseil qui réclame tout de même une expertise assez pointue ?

Je pense qu’il l’est en tout point. Nous savons qu’en offrant une opportunité solide à des professionnels qui se retrouvent en difficulté, ou à ces jeunes qui ont parfois du mal à trouver leur place sur le marché de l’emploi, ils s’investiront en retour dans l’entreprise. Nous le constatons très souvent. Dans chaque période de « rush » d’activité, nos salariés font preuve d’un engagement d’équipe très fort. Ils donnent le meilleur d’eux-mêmes et aucun d’entre eux n’a l’impression d’être le seul à travailler davantage quand c’est nécessaire. Je pense que nous sommes parvenus à créer un écosystème de travail harmonieux, reposant sur l’engagement spontané de chacun.

Mais qu’en est-il des compétences ? Un jeune fiscaliste fraîchement diplômé peut-il vraiment rivaliser avec un junior ayant déjà quelques années d’expérience ?

Ce type de profil, tout le monde le cherche, mais personne ne le trouve. Mais le problème ne nous affecte pas chez EIF, car il n’y a pas de formation vraiment spécifique à notre domaine d’activité dans les universités françaises. Pour être satisfaits de nos recrutements, nous devons nécessairement passer par une phase de formation interne qui dure généralement deux ans. Nous formons donc volontiers ces jeunes recrues nous-mêmes et prenons ainsi le contre-pied de tous ces recruteurs qui exigent des débutants avec un ou deux ans d’expérience.
 
Cette contrainte est en fait un avantage double, car en procédant de la sorte, nous n’avons aucun doute sur les capacités de nos jeunes collaborateurs et sur leur intégration de la culture et des valeurs de l’entreprise. Chaque année, nous sélectionnons les meilleurs diplômés, les profils qui disposent de la meilleure culture juridique et nous leur apprenons le métier. Lorsque l’on sort tout juste de l’école, on est très disposé à acquérir des connaissances rapidement. Nous arrivons ainsi à former nos experts fiscalistes efficacement, mais aussi à tisser avec eux des relations de confiance forte. Car lorsque l’on permet à un jeune sérieux d’avoir confiance en ses capacités et en son avenir, on le galvanise. Nos recrues sont en effet très réceptives à cette forme de management paternaliste, et je me réjouis de voir que cela leur donne envie de rester dans l’équipe, le plus souvent pour de longues périodes de leur carrière.

D’où vous vient cette façon de manager ?

Cette façon de faire ne m’est pas spécifique. Chaque associé d’EIF s’accorde à reconnaître son intérêt. Personnellement, j’estime que c’est une question de principe et de pragmatisme. Si l’on ne mise pas sur l’humain avant la performance, on n’obtient jamais le résultat voulu. Le management par la carotte et le bâton ne marche qu’un temps. C’est pourquoi je préfère me tenir en permanence informé des besoins de mes collaborateurs, les aider, et leur permettre ainsi d’aider l’entreprise en retour. Encore faut-il accepter de se donner le temps de réussir comme cela. Car le pari de l’humain ne paye qu’à moyen ou long terme.
 
Je crois par ailleurs que cette conception des RH a été en partie instillée chez EIF par son ancien dirigeant. L’enjeu était pour lui aussi d’offrir le meilleur cadre de travail possible à ses salariés, pour leur permettre d’être performants tout en laissant la porte entrouverte afin d’écouter leurs éventuels besoins. Aujourd’hui, nous reproduisons donc un peu ce modèle que nous avons observé à ses côtés.

Cette politique de la main tendue ne s’applique pas qu’aux RH. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos rapports avec les autres entreprises et notamment vos clients ?

Nous rencontrons parfois des situations un peu délicates. Il arrive par exemple que des clients viennent nous voir exceptionnellement avec des demandes urgentes à traiter de la veille pour le lendemain. Dans ce genre de cas, nous essayons de nous imposer une réactivité très forte. Notre petite taille nous donne cette capacité de réaction. Nous nous efforçons donc de la mettre à contribution dès que c’est possible ou nécessaire.
 
Notre engagement à l’égard du client se révèle aussi en des occasions malheureusement funestes. Je pense ici à certains cas extrêmes d’entreprises, notamment technologiques, qui dépendent de nos compétences pour boucler leur cycle d’innovation. Il nous est par exemple arrivé plusieurs fois que des clients ayant ce genre de profil ne parviennent pas à mener à bien un projet d’innovation et croulent sous les dettes quelques jours avant de pouvoir récupérer leur crédit impôt recherche.
 
Malgré tous nos efforts et les multiples recours déposés, nous ne sommes pas toujours parvenus à donner à ces entreprises le sursis dont elles avaient crucialement besoin. Ce type de cas est un échec pour nous. C’est également un échec pour le principe du crédit impôt recherche dont l’objectif est de permettre à ces entreprises, qui ont besoin de beaucoup de liquidités pour innover, de pouvoir le faire sereinement. Malheureusement, la lourdeur administrative ne permet pas toujours de rattraper tous ceux qui pourraient l’être. Mais lorsque cette intervention de secours réussit, la proximité qui en découle avec nos clients est alors indéfectible et véritablement affective. C’est pour nous une satisfaction sans comparaison.

Quel regard portez-vous sur le concept de RSE ? Y êtes-vous sensible, malgré la spécificité de votre métier ?

Je peux concevoir que de plus en plus d’entreprises se sentent inspirées par ce concept. Il suffit de lire un peu la presse économique pour se rendre compte que la définition de l’entreprise et de ses fonctions évolue aujourd’hui.
 
En ce qui concerne EIF, il me semble qu’elle s’est toujours inscrite dans une démarche humaniste et ouverte. L’ancien directeur du cabinet qui a mené la barre entre les années 1970 et 2000 travaillait déjà de la sorte avec ses salariés. Je dirais que nous avons simplement eu l’occasion de constater que le pari de l’humain payait toujours et nous ne faisons que perpétuer et développer un modèle qui fonctionne.
 
Mais même si la RSE en tant que telle n’est pas un cap directeur pour nous, il est certain que notre mode de management n’est pas entièrement étranger à ses principes. Peut-être que nos prédécesseurs les avaient simplement touchés du doigt de façon instinctive, et avec un peu de bon sens. Selon moi, il appartient à chaque dirigeant de trouver une utilité sociale à son projet entrepreneurial.