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Langue, Devoir et Baccalauréat : Regards sur l'éducation d'aujourd'hui

La Rédaction
20/09/2023



"La langue française est un privilège." Ces mots nous rappellent à quel point l'éducation est l'âme d'une nation. Dans cet entretien, Jacqueline Raspail, ancienne enseignante de français et autrice de "Eloge de la transmission" paru chez VA Éditions, nous ouvre les portes de sa salle de classe. Elle nous conduit à travers un voyage introspectif, évoquant l'évolution changeante du Baccalauréat, la valeur du devoir, et la majesté de la langue française. Ses mots, à la fois émouvants et édifiants, sont un rappel puissant de l'importance de l'éducation et de la responsabilité qui incombe aux professeurs de préserver et de transmettre ce précieux héritage.



Dans votre ouvrage, vous abordez le Baccalauréat et sa perception changeante au fil des années. Comment voyez-vous l'évolution du Bac au regard des réformes annoncées pour la rentrée 2023 ?

Le Bac a perdu de sa valeur, il n’évalue pas un niveau de culture générale. J’aime beaucoup l’expression utilisée par les Italiens pour eux le bac est « L’esame di maturita » ils ont une année de plus dans leur scolarité pour arriver au bac, et je trouve que c’est une bonne chose. Dans les programmes sont inclus des cours d’histoire de l’art, on prend le temps de proposer une culture générale plus solide et plus approfondie qu’en France. « La maturita » c’est peut-être l’idée que l’adolescent a commencé à développer son sens critique, à faire des choix sensés pour son avenir.

L’année dernière le bac a été catastrophique, avec le contrôle continu, certains élèves savaient déjà qu’ils avaient réussi avant même de passer les autres épreuves d’où la désertion des cours et des grandes vacances qui ont commencé très très tôt !!!
A mon époque... on présentait une trentaine de textes à l’oral, aujourd’hui 20 et souvent les candidats n’ont pas lu l’intégralité de l’œuvre dont ils expliquent des extraits. Les textes ne sont pas situés dans leur contexte, on n’élargit pas la compréhension par l’étude de l’époque, de l’histoire, des évènements.

Fort heureusement on propose des poèmes dans les programmes. Il faut en profiter pour éveiller les élèves au goût du rythme, de la musicalité, les rendre sensibles aux sonorités, à la beauté. Aujourd’hui les échanges sont utilitaires, mécaniques, performants, on raconte, on étale sa vie, on se parle en sms, on devient agressif.

Profitons des textes choisis pour le bac pour essayer de redonner le goût de la langue et de la lecture. On m’a traitée de dépassée, d’utopiste, (ce sont les médias) n’oublions jamais que la classe est un théâtre, le public n’a pas toujours choisi d’y venir, mais il est là. Au professeur d’entrer dans son rôle, s’il le vit avec compétence, passion et enthousiasme ça marche ! Je vous le garantis.
 
Le retour des épreuves en fin d’année est une excellente initiative.

Vous soulignez l'importance du devoir en classe et dans la vie de tous les jours. Comment percevez-vous la place du devoir à l'école aujourd'hui, notamment face à la montée des droits individuels ?

Le Devoir. Il y a les devoirs en classe, et ceux préparés à la maison. Tous ces exercices sont une préparation à l’examen final. Il est nécessaire de rédiger des devoirs en classe, en temps limité, dans les conditions du bac, et de préparer avec rigueur l’étude des œuvres proposées. Il ne s’agit pas de bavardage, de paraphrases...
 
Et puis il y a LE DEVOIR : le devoir du Maître et le devoir de l’élève. Le mot Devoir n’est plus à la mode souvent remplacé par le mot Droit. Élève à l’école normale, la quatrième année que l’on appelait l’année de pédagogie traitait de ces devoirs et les conseils donnés sont à suivre encore aujourd’hui. Les premiers devoirs pour le Maître sont liés à sa profession : « Fais bien ton métier », par honnêteté professionnelle, par conscience, par vocation. Pour l’élève les devoirs sont étroitement liés à l’éducation. Le respect en face du Professeur. Le respect de l’environnement dans lequel l’élève évolue, le devoir d’être à l’heure, dans une tenue convenable, (avec l’uniforme plus de problème) le devoir de remplir avec application les exercices proposés (j’ai le souvenir d’avoir à trois reprises refusé de corriger une copie, véritable torchon. La maman de l’élève m’ayant aperçu en ville est venue à ma rencontre pour me remercier).
Pour l’élève, le respect de la liberté des autres « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas que l’on te fasse. »

L’instruction civique et la morale ont été complètement négligées. Pour certains le mot « morale » a un arrière-goût de religion qu’ils ne supportent pas. Pourtant autrefois la morale était enseignée dans l’école laïque, en début de semaine on pouvait lire sur les tableaux une sentence, un proverbe, un prétexte à une réflexion qui permettait de réfléchir à la façon de se comporter. On peut puiser dans les Fables de Lafontaine une mine inépuisable d’invitations à réfléchir sur le comportement, la société, la nature humaine...

Quelques exemples, Le Lion et le Rat, « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. » livre II, XII
Le Loup et l’Agneau, « la raison du plus fort est toujours la meilleure. » livre premier, X.
Le lièvre et la tortue, « Rien ne sert de courir ; il faut partir à point. » livre VI, VIII.

L’enseignement de la morale a pour but d’amener progressivement les élèves à la vie sociale. C’est indispensable afin qu’ils deviennent libres et responsables.

L'exactitude du langage est un thème central dans votre enseignement. Face à la simplification de la langue et la réforme orthographique, quel message souhaitez-vous transmettre aux enseignants et élèves d'aujourd'hui ?

A propos du langage, j’aime cette phrase de Maurice Druon :  « L’anglais est une nécessité, le Français est un privilège. »
Profitons de ce privilège qui nous est offert par notre langue natale pour l’apprécier, la pratiquer en la savourant. Je commençais souvent mes cours en début d’année par ce magnifique texte de Maupassant, « le Roman » qui précède « Pierre et Jean. ». Influencé par le long compagnonnage littéraire avec Flaubert, Maupassant fait l’éloge de la langue française.

« Quelle que soit la chose qu’on veut dire, il n’y a qu’un mot pour l’exprimer, qu’un verbe pour l’animer et qu’un adjectif pour la qualifier. Il faut donc chercher, jusqu’à ce qu’on les ait découverts, ce mot, ce verbe et cet adjectif, et ne jamais se contenter de l’à-peu-près, ne jamais avoir recours à des supercheries, même heureuses, à des clowneries de langage pour éviter la difficulté. » Je ne me suis jamais lassée d’expliquer ce texte en début d’année et de montrer à quel point une langue fluide, claire, musicale, semble couler de source mais est en fait le fruit d’un long travail.

Paradoxalement, aujourd’hui la langue est simplifiée, celle des SMS froide, le strict minimum dans le message, la langue de la vie parsemée d’abréviations, d’anglicismes, d’entorses à la syntaxe.

La langue soutenue, des gens cultivés, et la langue des grandes œuvres, dont on apprenait autrefois par cœur de longs extraits et qui constituait pour chacun de nous une bibliothèque intérieure secrète. N’oublions pas le langage qui ressemble à celui des précieuses, faussement savant, des périphrases, des circonvolutions intellectuelles qui rendent le langage incompréhensible, des contours pour éviter le travail, la recherche du mot juste, la simplicité.

Revenons à Maupassant. « la langue française ...est une eau pure que les écrivains maniérés n’ont jamais pu et ne pourront jamais troubler .Chaque siècle a jeté dans ce courant limpide ses modes, ses archaïsmes prétentieux et ses préciosités, sans que rien surnage de ces tentatives inutiles, de ces efforts impuissants. La nature de cette langue est d’être claire, logique et nerveuse. Elle ne se laisse pas affaiblir, obscurcir ou corrompre.
On arrive même aujourd’hui, reflet d’une pauvreté effarante, à reprendre des grands textes, à les déformer, les dénaturer, les triturer au nom de principes, d’idéologies, preuve de l’indigence de certaines personnes qui par manque de compétence, d’imagination, de rigueur révèlent leur incapacité à créer des œuvres originales et remarquables.







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