La définition de l’entreprise est au cœur de l’économie responsable

Arthur Fournier
03/07/2012


L’entreprise, forme de la propriété et responsabilité sociale(1) est un ouvrage collectif dont l’objet est de faire un état des lieux de l’entreprise contemporaine. Quelles ont été ses évolutions ? Quelles en sont les caractéristiques positives et négatives ? Quelles sont les perspectives d’amélioration ? Autant de questions simples qui, paradoxalement, soulèvent des problématiques complexes affectant directement le devenir de l’entreprise en tant que principale forme d’organisation orientée vers la production de richesse.



L’entreprise est un paradoxe : présente au quotidien dans la vie des individus et de l’économie, elle est pourtant absente du droit. Tout au plus peut-elle est appréhendée comme une juxtaposition de contrats. Forts de ce constat, les quelque 14 auteurs de l’entreprise, formes de la propriété et responsabilités sociales, ont entrepris de mettre à plat une réflexion dont la finalité est de redéfinir l’entreprise et d’en épurer les contours pour mieux la protéger des dérives.
 
La force de cet ouvrage est d’être tourné vers l’action et le concret. Chacune de ses interrogations et des recherches qui y sont associées constituent en effet une occasion d’envisager quel pourrait être, dans les faits, le fonctionnement d’une entreprise dont la définition aurait subi un toilettage adéquat.
 
Dans cette optique, l’absence de fondement juridique de l’entreprise en tant qu’organisation apparaît aux yeux des auteurs comme une des principales faiblesses de ce type d’organisation. D’après eux, cela contribue en effet à entretenir l’idée que la propriété de l’entreprise est conditionnée à la participation au capital et revient donc à l’actionnaire. Or avancent-ils, rien n’est moins évident puisqu’il s’agit d’une propriété qui exclut la notion de responsabilité : une logique parcellaire dont les carences ont été illustrées en 2008 à l’occasion de la crise financière.
 
Pour les auteurs, la responsabilité constitue la question centrale. Leur développement les amène ainsi à en explorer quatre versants. Le premier explore l’entreprise comme lieu d’accomplissement personnel. À cet égard les auteurs mettent notamment en avant que le recours intensif au concept d’individu pour appréhender la personne dans l’entreprise est facteur d’une « déformation » : en réduisant notamment les personnes à leurs intérêts, cette acception de la composante humaine de l’entreprise contribue à la réduire à une instance de travail. Or, il est en tout autrement en réalité : pour bien des professionnels et en premier lieu des dirigeants, l’entreprise a été en toute époque un lieu d’exploration de son potentiel ; elle devrait donc aussi être définie comme telle dans ses statuts.
 
Par ailleurs, les auteurs pointent du doigt un paradoxe cette fois démocratique : la sous-représentation du travail au profit du capital dans les instances de décision. Les travailleurs contribuent pourtant à la vie de l’entreprise de façon tout aussi indispensable que les actionnaires. C’est la raison pour laquelle les auteurs vont jusqu’à suggérer en conséquence un modèle d’organisation bicamérale qui permettrait de représenter les deux facteurs de production de l’entreprise au cours des processus de décision.
 
Revenant sur l’histoire des modèles d’organisation et leur relatif échec à imposer un rapport harmonieux entre le capital et le travail, les auteurs suggèrent par ailleurs l’idée du contrat d’entreprise. En vertu de ce document légal seraient ainsi établis les obligations et les devoirs d’une entreprise. Puisant leur inspiration dans le droit maritime ou encore une collection d’exemples étrangers déjà pratiqués, les auteurs vont jusqu’à proposer différents modèles de contrat, tels que celui de la « société à objet social étendu » ou d’« entreprise à progrès collectif ».
 
Enfin les auteurs choisissent-ils d’aborder la problématique internationale. La globalisation joue grandement en faveur des entreprises qui peuvent échapper à certaines formes de contrôle politique – comme l’impôt – grâce à la mobilité. L’absence de norme internationale est pourtant une porte ouverte aux dérives. Pour y remédier, les auteurs proposent une démarche de « constitutionnalisation ». Cette formule ne saurait renvoyer à l’utopie d’une invraisemblable Constitution internationale, mais plutôt à des initiatives sectorielles d’uniformisation des normes et pratiques en faveur d’une plus grande justice. Les auteurs envisagent ainsi les possibilités de disparition des stock options et ses effets sur les circuits de motivations des dirigeants par exemple.
 
Ouvrage édité pour rassembler les participations de nombreux intervenants issus du monde académique, du management ou encore du droit, L’entreprise, formes de la propriété et responsabilités sociales constitue un travail solide de recherche. Partant systématiquement d’un examen de l’histoire de la loi, de l’économie, des organisations et des courants de pensée, l’ouvrage donne une image globale de l’entreprise depuis ses origines. Mais il ne s’arrête pas là. Les auteurs, enclins à identifier les carences dont l’entreprise fait l’objet – sur les plans institutionnels, démocratiques ou encore juridiques au niveau national comme international – ne se privent pas de suggérer ce que pourrait devenir l’entreprise à l’avenir et ce qu’elle est ou a déjà été dans certaines parties du monde. Normatif sans être dogmatique, L’entreprise, formes de la propriété et responsabilités sociales constitue une réflexion stimulante et constructive sur la façon d’organiser le travail des hommes et d’équilibrer au mieux satisfactions collectives et individuelles.


(1) BARRETO, T., CHAIGNEAU, A., EYMARD-DUVERNAY,F., & al., L’Entreprise, formes de la propriété et responsabilités sociales, Editions Lethellieux, Colloques, Collèges des Bernardins, 2012, 569 pp..