Propriété intellectuelle et développement durable: quelle dynamique ?

Arthur Fournier
29/06/2012


« Who owns our low-carbon future ? » ou A qui appartient notre avenir faible en carbone ?, telle est la question étudiée par le groupe d’analyse britannique Chatham House. Un avenir à faible carbone reste en effet l’une des principales quêtes des acteurs environnementaux et économiques mondiaux. Et selon Chatham House, les droits de propriété intellectuelle y détiennent une place essentielle. Les brevets écoresponsables sont désormais au premier rang, avec des chiffres qui croissent en permanence. Individuels, petites et moyennes entreprises, ou encore grandes industries, les demandes de brevets pleuvent, dans l’objectif de percer le marché de l’écologie. Les gouvernements, ainsi que les lois internationales jouent un rôle essentiel dans cette quête « verte ». L’atteinte d’un développement durable reste pourtant dépendante de plusieurs éléments, dont notamment d’une coopération mondiale efficace.



I. Brevets "low carbon": quelques repères

Image: FreeDigitalPhotos.net
Le rapport publié par l’organisation identifie deux idées bien distinctes. D’un côté, on retrouve ceux qui votent pour un assouplissement du système de brevets, notamment dans le cadre d’un meilleur développement technologique, tandis que de l’autre,  l’accent est surtout mis sur l’avenir des technologies du climat, en optant pour un régime de droits de propriété intellectuelle plus strict. Pour le Chatham House, la consolidation de la protection de la propriété intellectuelle reste l’option à choisir. Selon les auteurs du rapport, dont notamment M. Iliev, cela permettra de créer et de renforcer des liens stratégiques, de réduire les risques de litiges entre les acteurs, et de donner rendez-vous à beaucoup plus d’opportunités d’acquisitions et de fusions. Tandis qu’un nombre excessif de brevets pourrait favoriser le capital-risque.
 
… des chiffres croissants
Les demandes de brevets ne cessent d’augmenter partout dans le monde, dans le cadre de cette quête de « low carbon ». Les chiffres de la base de données Derwent dévoilent que le nombre des inventions conçues dans le cadre d’une économie d’énergie est passé de 481 à 1200 en cinq années.
 
Selon le spécialiste de l’information de la British Library Steve Van Dulken, il s’agit d’une « tendance lourde ». « … typique de toute technologie » pour Alan MacDougall, qui explique que « la mise en place de technologies nouvelles augmente au même rythme que les dépôts de brevet ». Le lien entre propriété intellectuelle et technologies écologiques ne peut de ce fait être nié. Les brevets déposés dans le cadre de l’énergie éolienne et des cellules photovoltaïques sont notamment passés de 300 à plus de 1600 par an, tandis que les chiffres indiquent 62 dépôts de brevets relatifs à la minimisation de la consommation d’énergie des matériels en mode veille entre 2002 et 2008, contre seulement 4 entre 1984 et 1988.
 
Les principaux acteurs… qui sont-ils ?
Si l’augmentation du nombre de dépôts de brevets liés à l’écologie est évidente, les premières sources de ces innovations ne sont plus à identifier. Les grands groupes émettant le plus de carbone et consommant le plus d’énergie restent en effet les principaux acteurs. Dans le domaine de la construction aérienne, on peut notamment citer la société Airbus, dont les brevets déposés relatifs à la construction de son A380 sont au nombre de 380. L’objectif de l’industrie mondiale de l’aviation est d’ailleurs de réduire les émissions de carbone de 50% d’ici 2050. Un projet dont la non-réalisation identifierait le transport aérien comme responsable de 20% des émissions de carbone en 2020. En 2008, le constructeur automobile Rolls-Royce a également déposé 425 brevets environ, et a investi 885 millions de livres sterling en recherche et développement, dont principalement afin de minimiser les impacts environnementaux issus de ses inventions.
 
La quête d’un avenir à faible carbone concerne également les PME. En effet, si une importante partie de la propriété intellectuelle est le fait des grandes industries, les plus petites entreprises souhaitent également prendre part à cette quête écologique. Pour Alan South, responsable de l’innovation de la société Solarcentury, les avantages des brevets permettent de commercer librement. Sécurité avant tout, cette entreprise âgée de 11 ans, employant 120 personnes, souhaite surtout protéger ses inventions en énergie solaire sur le marché, dont le taux de croissance s’élève à 40 % depuis plus d’une décennie.

II. Problématique du temps de diffusion et régime accéléré

Un futur à faible carbone semble possible. La croissance du marché écologique en témoigne largement. Les grands acteurs se targuent désormais de privilégier le côté environnemental de leurs produits. Ceci étant, le déploiement des technologies vertes ne suit pas le même rythme que les autres catégories d’invention. Le rapport publié par le Chatham House montre notamment que les réalisations dans le domaine de l’énergie nécessitent en moyenne 20 à 30 ans pour arriver sur le marché. Des études réalisées sur 180 brevets relatifs à la réduction d’émission de carbone ont également dévoilé que la mise sur le marché de ce genre d’invention demande 24 ans en moyenne.
 
Selon M.Iliev, il est pourtant indispensable de réduire ce temps de diffusion « si nous voulons avoir une chance réaliste d’atteindre nos objectifs climatiques ». Le Temps est un facteur essentiel à l’évolution écologique mondiale. D’autant plus que le réchauffement climatique reste très rapide par rapport aux réalisations des projets de lutte. Les secteurs émergents, dont principalement le marché écologique, disposant d’importants programmes d’infrastructure, sont les premiers concernés par cette réduction de temps de déploiement. La technologie verte peut être appliquée à grande échelle, afin de ne pas se lancer dans des technologies encore plus émettrices de carbone, et ainsi gagner en années.
 
Les brevets écologiques privilégiés
Formant sans nul doute l’une des lignes à suivre pour un avenir low carbon, les inventions vertes se retrouvent désormais en première place en termes de propriété intellectuelle. Des régimes accélérés ont été mis en place afin de leur donner priorité. Ainsi, les brevets liés à la technologie écologique passent désormais « avant tout le monde », notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Corée, ainsi qu’en Australie. Une liste qui sera également complétée par le Japon, le Brésil et la Chine, qui ont confirmé leur volonté de prendre part à ce projet écologique d’importance mondiale.
 
Annoncé officiellement au mois de mai 2009, ce régime accéléré permet de rendre le processus d’obtention de brevet beaucoup plus rapide. Le responsable de l’examen des demandes de brevet et de la politique juridique à l’Office de la propriété intellectuelle du Royaume-Uni, Tony Howard, indique que l’intervalle de temps entre le dépôt de demande et l’obtention du brevet ne devrait pas dépasser trois à cinq ans, et serait réduit à environ neuf mois. Selon le directeur, ce régime accéléré contribue largement à la lutte contre le changement climatique. La propriété intellectuelle retrouve une place d’honneur dans cette quête écologique, et l’ « innovation » est également au rendez-vous.
 
Avantages aux PME
Le régime accéléré est appliqué à la demande du déposant. 65 requêtes ont été enregistrées en octobre 2009 au Royaume-Uni. Un chiffre assez limité, mais déjà « encourageant » selon Tony Howard. Petites et moyennes entreprises, inventeurs individuels, ainsi que grands groupes ont tous pris part à ce programme. Les brevets demandés étaient surtout liés aux technologies de préservation ou de génération d’énergie. Toujours pour Tony Howard, le régime accéléré permet surtout aux petites entreprises de se lancer plus rapidement sur le marché, tout en contribuant à la concession des licences.

III. Vers plus de coopération et de partage

L’envergure que représente l’écologie dans le monde a automatiquement donné naissance à différentes stratégies, dont diverses formes de coopération. Dans le cadre de la propriété intellectuelle, plusieurs mouvements d’ensemble ont vu le jour, et ont notamment mis au point des régimes spécifiques afin de faciliter l’obtention et l’usage des brevets. Le programme CATO-2, à titre d’exemple, concerne l’utilisation de différents niveaux de titularité de la propriété intellectuelle aux Pays-Bas. Les brevets obtenus sont alors au nom des entreprises ou de l’inventeur, et peuvent être partagés entre société privée et institut de savoir. Selon le directeur général adjoint de CATO-2, Jan Hopman, il s’agit d’un « incitatif » pour garder les « grandes découvertes… à l’intérieur » du programme. Et bien qu’il semble assez complexe, le système est, pour Jan Hopman, essentiel afin d’éviter que « tout soit public, partagé avec tout le monde ».
 
Le groupement Eco-Patent Commons,  fondé par Sony, Nokia, IBM et Pitney Bowes,  a également mis en place un programme permettant le partage et l’usage de brevets écoresponsables par les participants. Une stratégie qui vise surtout une meilleure évolution et un accès facile aux nouvelles technologies.
 
Le rôle des gouvernements
Les discussions sur la réduction des émissions de carbone ont été ouvertes il y a de cela plusieurs années entre différents États. En effet la mission de sauvegarde de l’écologie forme un projet d’envergure internationale, qui nécessite automatiquement des coopérations à grande échelle. Cependant, si des idées ont déjà été avancées par les gouvernements, leur concrétisation reste en attente. Selon M.Iliev, il est actuellement temps pour les États de fournir des indications un peu plus précises quant aux stratégies à mettre en œuvre dans cette quête écologique, au risque de « conduire à du désenchantement ». Les individus et entreprises œuvrant dans les technologies vertes étant déjà convaincus de la rentabilité de leurs investissements.
 
Le rapport de Chatham House met l’accent sur la nécessité d’une coopération mondiale. Un partenariat qui ne sera limité, ni par la diversité des secteurs, ni par les frontières internationales, et qui ne tiendra pas non plus compte de la différence entre pays en voie de développement et déjà développés. Selon les auteurs du rapport, les projets d’aide des gouvernements dans le territoire national ne correspondent pas aux réelles nécessités pour innover dans le domaine de l’énergie. Pour eux, les régimes, structures, capacités et infrastructures d’appui déjà installés forment les meilleurs éléments pour déterminer les secteurs et technologies à futur succès.
 
Normalisation
Si la téléphonie mobile se trouve à son niveau actuel sur le marché international, il ne s’agit sûrement pas d’une coïncidence. Le monde est avide de nouvelles expériences et d’innovations, et la standardisation y joue un rôle essentiel. Selon MacDougall, « des téléphones différents » n’auraient donné lieu qu’à un « marché limité », et il en est de même des inventions écologiques. De son côté, M. Iliev indique qu’« un recentrage majeur est nécessaire en ce qui concerne la manière d’utiliser la propriété intellectuelle ». Grâce à une normalisation à grande échelle, notamment basée sur les brevets écoresponsables, les technologies vertes pourraient ainsi atteindre le même niveau que la téléphonie mobile. Et ainsi accéder au marché de masse plus facilement.

IV. Faut-il adapter le droit ? Un exemple d'accord de partenariat économique

En droit international, le développement durable est surtout accompagné des principes de réconciliation et d’intégration. Les questions touchent essentiellement la conciliation des aspects sociaux, économiques et environnementaux, ainsi que leur intégration dans l’ensemble des procédures.
 
La concrétisation de l’approche implique automatiquement la considération des préférences normatives et du contexte dans lequel le projet se situe. Les textes du droit international ne précisent aucunement les chemins détaillés pour atteindre tel ou tel objectif, mais mettent principalement l’accent sur la nécessité d’un processus de décision conciliant les piliers du développement durable. Cette procédure d’intégration permet aux différents gouvernements de mieux cerner le contexte, et de choisir ainsi le meilleur moyen d’harmoniser les préoccupations. Les textes juridiques exigent que toute décision politique, tant au niveau international que national, soit prise dans le cadre de ce concept. Ceci étant, une telle démarche au niveau international pourrait amener les gouvernements à délaisser les questions internes. Le développement durable devrait ainsi être pris comme une approche intégrée dans les étapes de décision, un moyen de réunir et d’arbitrer les questions sociales, économiques et environnementales.
 
L’APE UE-CARIFORUM
L’APE UE-CARIFORUM, accord de partenariat économique signé entre le groupe CARIFORUM des États des Caraïbes et l’Union européenne en octobre 2008, constitue un pas important vers un futur plus écologique. Il s’agit d’une grande ligne, mettant particulièrement l’accent sur la protection de la propriété intellectuelle et l’importance qu’elle occupe dans le développement durable. Sa mise en œuvre concilie les trois grands piliers du développement durable, notamment les aspects environnementaux, sociaux et économiques. Élaboré dans un contexte à la fois ouvert et novateur, l‘APE CARIFORUM représente sans nul doute un exemple en termes de coopération internationale. Pour les discussions à venir, qu’il s’agisse de libre échange ou d’accord de partenariat, il peut ainsi servir de référence aux différents acteurs.
 
Plusieurs lignes de l’APE UE-CARIFORUM sont portées sur le développement durable et les principaux objectifs qui l’accompagnent. Dans l’article 3, section1, il est notamment mentionné que le concept de développement durable doit surtout être intégré dans les différents accords et traités de niveau international et national. Sa promotion doit être considérée comme un outil, utilisé afin que « tous les niveaux de partenariat économique » poursuivent cet objectif.
 
L’APE CARIFORUM a également consacré un chapitre à la définition de la nature, des objectifs ainsi que de la portée des responsabilités spécifiques des acteurs en termes de propriété intellectuelle. Il est, entre autres, indiqué dans l’article 139, que les parties se doivent de reconnaître les besoins des pays du Cariforum, et de respecter l’ « équilibre entre les droits et obligations incombant aux titulaires des droits d’une part et aux utilisateurs d’autre part ». L’APE CARIFORUM exige également des gouvernements signataires de l’accord de « protéger la santé publique et l’alimentation ». Des dispositions nationales doivent ainsi être mises en place afin que l’application des dispositions spécifiques n’interfère dans ce dernier point.
 
L’on ne peut nier que l’adoption d’une telle démarche constitue pratiquement un défi, particulièrement dans le cadre des préoccupations domestiques. Les interactions entre intérêts nationaux et dispositions internationales ne sont pas à écarter. De même, l’on a pu identifier certaines contradictions dans l’association développement durable/propriété intellectuelle. L’article 131 mentionne en effet que « l’encouragement de l’innovation et de la créativité renforce la compétitivité… dans la perspective du développement durable… de l’intégration progressive des États du Cariforum dans l’économie mondiale ». Tandis que d’un autre côté, « les niveaux de protection de la propriété intellectuelle » sont augmentés « conformément à leur niveau de développement ». Les textes semblent ainsi indiquer qu’il n’existe pas de « taille standard » correspondant à tous, alors que le concept de développement durable met l’accent sur une adaptation de la protection de la propriété intellectuelle aux besoins des pays concernés. Une redéfinition du terme « protection » serait ainsi nécessaire afin d’éclaircir le sujet.
 
Les objectifs
Les principes de l’APE UE-CARIFORUM rejoignent les objectifs de développement durable, en renforçant la nécessité d’une approche intégrée dans les démarches de prise de décision. Les parties signataires se doivent de respecter les dispositions définies dans les textes, tout en conciliant les éléments clés du développement durable. Dans le contexte d’un partage international, L’APE UE-CARIFORUM met également l’accent sur l’importance du dialogue, de la participation, ainsi que des principes de propriété.
 
Des normes intégrées dans le développement durable et le système mondial de propriété intellectuelle peuvent permettre aux acteurs de mieux gérer leurs préoccupations sociales, économiques et environnementales. Dans tous les cas, la protection de la propriété intellectuelle, ainsi que la promotion de l’innovation, de la créativité et de la compétitivité restent un outil pour la concrétisation d’un développement durable.