Pourquoi la décarbonation des transports passera par la route et des avancées sociales

21/02/2023


Les politiques parlent tous de la décarbonation de l’économie française à l’horizon 2050. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Pour mieux comprendre, le secteur des transports constitue probablement le meilleur exemple. À commencer par la décarbonation de la route.



Il suffit de jeter un coup d’œil aux chiffres pour se rendre compte de l’obligation de décarboner la route. En France, selon les données du portail officiel notre-environnement, les transports représenteraient 30% des émissions globales de gaz à effet de serre, principalement à cause de la combustion des carburants. Les principaux coupables sont connus : véhicules particuliers (54%), poids lourds (24%), véhicules utilitaires légers (20%), et avions (4%). Il est donc urgent de décarboner la route.
 
Changer nos comportements
 
Maintenant que l’on a dit ça, toute la question est de savoir comment. C’est à cette question qu’ont tenté de répondre les intervenants du colloque organisé par La Fabrique Écologique le 31 janvier dernier, sous le titre La route, grand impensé de la transition ? Car malgré les vœux pieux des gouvernements successifs, le compte n’y est pas. Deux jours plus tôt, dans une interview au Point, le président Emmanuel Macron tirait lui-même la sonnette d’alarme : « Si on veut atteindre notre cible 2030, on doit passer à 270 millions de tonnes de CO2 émises, ce qui veut dire qu’il faut entre maintenant et 2030 baisser de 140 millions de tonnes. […] Ce qui veut dire qu’on doit simplement doubler le taux d’effort par rapport à ce qu’on a fait ces cinq dernières années. Aujourd’hui, on n’y est pas. Et si on ne change pas les choses, on n’y arrivera pas. »
 
Comment changer les choses donc ? Aller plus vite sur la décarbonation de la route passera par deux paramètres essentiels : accélérer l’électrification du parc automobile et permettre à tous les usagers d’être des acteurs de la transition, aujourd’hui réservée à celles et ceux qui en ont les moyens. Les usages, eux, iront de pair. Aujourd’hui, l’une des principales critiques des opposants à la voiture électrique repose sur le manque d’autonomie. Un argument qui ne tient pas la route : l’immense majorité des trajets quotidiens se fait à moins de 50km. Selon l’INSEE, « un tiers [des 24,6 millions d’actifs] parcourt des 'petites distances' d’au plus 5km et la moitié réside à plus de 9km du lieu de travail. La voiture est le mode de transport privilégié pour aller travailler quelle que soit la distance parcourue : 74% des actifs en emploi l’utilisent, soit 18,1 millions de personnes ». La réponse à la question est donc à la fois technique, avec l’électrification, et comportementale. Il faut proposer de nouveaux aménagements aux usagers pour qu’ils utilisent moins et mieux leur voiture.
 
« Un nouvel aménagement du territoire est indispensable pour réduire autant que possible les déplacements individuels contraints, ce qui aurait des bénéfices importants sur le triple plan économique, social et écologique, note La Fabrique Écologique dans sa présentation du colloque. Il s’agit de rapprocher le domicile des lieux de travail, d’habitat, de loisir et de commerces et des services publics, contrairement aux évolutions enregistrées depuis des décennies. » Des progrès sont en cours pour nos usages, comme l’essor du télétravail, ou pour les infrastructures avec les parcs multimodaux reliant autoroutes et rail. Mais il reste beaucoup à faire.
 
Investir massivement pour la route
 
Et pour « faire », il va falloir investir. Des dizaines de milliards d’euros, simultanément en faveur de l’accès aux véhicules électriques pour le plus grand nombre et sur les infrastructures pour accueillir et alimenter ces véhicules. « Nous devons assumer que, dans nos politiques publiques, il y ait une part d’investissement, a expliqué Clément Beaune, le ministre délégué aux Transports, lors du colloque du 31 janvier. Les modes de financement seront des combinaisons entre acteurs publics et acteurs privés, qui doivent être consacrés à la décarbonation de la route en elle-même, de la voiture en elle-même. Il est absolument essentiel d’assumer que dans nos financements publics, y compris dans nos politiques publiques, la voiture gardera une place. La route, comme infrastructure, gardera une place essentielle. » À l’État donc de faciliter l’achat des véhicules électriques grâce à la poursuite – voire à l’accélération – des bonus écologiques et des primes à la conversion, pour faire baisser le prix d’achat des voitures électriques, encore bien trop élevé. Pour réussir l'électrification de la route, « toute la question est de redescendre dans des modalités pratiques qui intègrent la question territoriale et la question sociale à la transition écologique », a souligné Lucile Schmid, cofondatrice et actuelle vice-présidente du think tank La Fabrique Écologique. Car seule l’adhésion de l’acheteur lambda permettra de décarboner la route.
 
Ensuite, aux entreprises privées d’assurer le développement des infrastructures. Car le gros de la facture est là, et l’État n’aura les moyens de payer qu’une maigre part de l’addition, et devra mettre en musique les investissements privés. Cela commence évidemment par la généralisation des bornes de recharges à haut débit (150MWh) dans l’espace public, encore trop peu nombreuses. Le gouvernement Castex avait, en 2020, lancé l’objectif du déploiement de 100000 bornes fin 2021, nous n’en sommes qu’à 80000 début 2023. Les exploitants de stations-service ou des équipements routiers et autoroutiers vont devoir mettre les bouchées doubles dans les 5 ou 10 ans à venir. Sinon, comme le disait Emmanuel Macron, « on n’y arrivera pas ».
 
Les risques à courir
 
Les investisseurs vont donc devoir sortir le carnet de chèques et être sûrs d’avoir le temps de rentabiliser leurs investissements. Selon un article des Échos, « pour une charge lente moyenne d’une durée de plusieurs heures (7 à 22 kWh), il faudra compter environ 7000 euros pour l’installation avec un retour sur investissement assez long : quatre à cinq ans. Pour les charges rapides (50 à 350 kWh), il faudra payer environ 100000 euros, qui seront rentabilisés entre 5 à 15 ans, selon les différents chiffres d’EY-Parthenon et d’Izivia, filiale d’EDF et premier opérateur de bornes publiques en France avec la gestion de 16000 points de charge ». La course contre la montre est lancée : l’Union européenne a choisi d’interdire la commercialisation de voitures thermiques d’ici 2035. Il est donc urgent de « penser » la route dans le cadre de la transition énergétique, et de mettre les moyens pour y parvenir.
 
Cette transition recèle aussi des imprévus, dont seules les entreprises privées assumeront les risques. « On est en face de scénarios différents selon la forme que prendra cette société écologique à l’horizon 2050, a ajouté Lucile Schmid. C’est cela qui rend les choses difficiles : tout ce que font les opérateurs en termes d’investissements dans les infrastructures, les paris d’investissements qu’ils font à horizon de 15, 20, 25 ans, les paris financiers… [Ils doivent prendre en compte] l’imprévisibilité des comportements, et l’évolution de ce qu’il va se passer. » Dans son plaidoyer, Lucile Schmid a renvoyé dos à dos tous les acteurs de la transition, politiques comme économiques : dans les futures stratégies d’investissements, elle préfère la coopération à la concurrence.
 
« C’est vrai que la route est sans doute un grand impensé de la transition écologique, a conclu Clément Beaune lors du colloque. [En France], nous avons sans doute une des politiques publiques les plus compliquées parce qu’elle touche au quotidien. La pensée globale, structurée, du rôle des transports dans notre transition écologique, est difficile et souvent je le pense, encore assez faible. » Aux pouvoirs publics maintenant de lancer véritablement la machine, et aux entreprises privées de faire des propositions pour investir intelligemment dans la décarbonation de la route. Car sans ce tandem, la route restera l’éternel « impensé » de la transition écologique.