Perte d'autonomie des personnes âgées : l'indispensable coordination nationale

Arthur Fournier
29/06/2012


La perte d’autonomie des personnes âgées s’inscrit au même rang que le handicap. Son origine est obligatoirement liée à l’environnement matériel et humain dans lequel la personne se développe, et est souvent la conséquence d’une maladie ou d’une certaine déficience. L’environnement joue un rôle majeur, tant dans la réduction que dans l’accentuation des incapacités. Ainsi, la prévention de la perte de l’autonomie s’applique dans le cadre social, médical, comme environnemental, et implique automatiquement la combinaison de plusieurs éléments, apportés par différents acteurs. Actuellement, on remarque d’ailleurs une importante multiplicité de ces derniers. En raison d’une absence d’axes communs, les actions restent dispersées.



I. Les principaux facteurs de la perte d'autonomie

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Par définition, la perte d’autonomie se traduit par des incapacités à réaliser diverses activités quotidiennes, dues à des limites fonctionnelles. Elle peut s’expliquer par différentes causes, incluant notamment diverses pathologies, les accidents, la vulnérabilité sociale, ou encore médicale.
 
Suite à des maladies
Les limitations fonctionnelles auxquelles les personnes âgées sont sujettes sont souvent les conséquences d’une pathologie. La manifestation de certaines maladies, particulièrement avec l’âge, s’accompagne en effet, souvent d’une limitation des capacités. Parmi les pathologies les plus courantes, engendrant la perte d’autonomie, l’on peut notamment nommer les troubles cardiovasculaires, le diabète, les maladies neurologiques, l’ostéoporose, les cancers, ou encore les démences. Il peut également s’agir d’une maladie chronique dont l’évolution contribue à l’accélération du processus d’incapacité chez les personnes âgées. On peut, entre autres, citer les troubles de la vision ou de l’ouïe, ainsi que les maladies de Parkinson et d’Alzheimer, particulièrement connues pour leurs manifestations assez lourdes. Après un accident vasculaire cérébral ou AVC, une personne peut également être sujette à une perte d’autonomie importante, particulièrement si elle a atteint un certain âge.
 
Car bien que certaines de ces maladies puissent se manifester chez des personnes un peu plus jeunes, selon le cas, la perte d’autonomie est intimement liée au vieillissement. Elle est également en relation avec l’environnement humain et matériel dans lequel le sujet évolue. Cependant, jusque-là, il n’est encore pas possible d’effectuer d’analyses par tranche d’âge ou par origine de pathologie pour détecter les réelles sources de la perte d’autonomie des personnes âgées.
 
« Fragilité » médicale
Selon des études réalisées à l’échelle internationale, 15 à 20% des personnes de plus de 65 ans à domicile sont sujettes à une « fragilité » médicale. Il s’agit d’un concept, cité notamment par le professeur Yves Rolland, « La fragilité, le concept bioclinique », en juin 2010, désignant des éléments médicaux spécifiques chez les personnes âgées susceptibles de perdre leur autonomie. Parmi ces caractéristiques, on peut notamment citer la lenteur, la perte de poids, une détérioration cognitive, une faible endurance, une réduction soulignée de la force physique, ou encore une diminution du niveau d’activité. À noter que le concept de fragilité ne se situe pas au même rang que les pathologies. Les caractéristiques qu’elle désigne ne constituant pas forcément les conséquences d’une maladie précise.
 
Vulnérabilité sociale
 
Comme la majorité des handicaps, la perte d’autonomie, notamment son accentuation ou sa réduction, est fortement liée à l’environnement social auquel la personne est exposée. La vulnérabilité s’inscrit parmi les facteurs sociaux les plus connus des limitations fonctionnelles. Il peut notamment s’agir d’un cas de pauvreté ou d’isolement, entre autres, ou encore d’une situation douloureuse, le décès d’un proche par exemple. La vulnérabilité sociale peut conduire à une perte d’autonomie, progressive ou non, en « potentialisant » les caractéristiques médicales. L’évolution de la dépendance résulte également des capacités individuelles du sujet, notamment psychologiques et physiologiques. L’entourage joue, bien évidemment, un rôle important dans la prévention ou l’affaiblissement de la perte d’autonomie chez les personnes âgées. Intégration sociale, soutien psychologique de la part de l’entourage, adaptation de l’habitat ou autres aides techniques, plusieurs approches peuvent entrer en jeu afin d’affaiblir le degré de dépendance du sujet, dans le cadre social et environnemental.

II. Les différents types d'action de prévention

L’OMS ou Organisation Mondiale de la Santé classe les actions de prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées en trois catégories bien distinctes, à savoir les prévisions primaires, secondaires et tertiaires.
 
Prévention primaire de la perte d’autonomie
La prévention primaire intervient dans un cadre global, touchant l’ensemble de la population. Elle est incluse dans les programmes de santé publique, en référence notamment, à  titre d’exemple, aux actions de prévention de l’AVC, qui représente l’une des premières causes de la perte d’autonomie chez les personnes âgées. Promotion de l’activité physique, orientation en termes de médicaments, ou encore conseils en régimes… plusieurs approches peuvent être intégrées dans ce premier niveau de prévention. Le contrôle de l’hypertension, visant particulièrement à réduire le taux de mortalité, d’hospitalisation, de démence, ou encore d’incapacité (225 000 personnes par an) dû à l’AVC, est notamment intégré dans le cadre de cette prévention primaire. Cette dernière ayant pour objectif, tant de réduire l’incidence de la maladie, que de prévenir l’apparition de nouveaux cas.
 
La prévention primaire de la perte d’autonomie des personnes âgées combine des actions d’ordre médical, social et environnemental. Dans le cadre médical et social, l’on peut identifier quelques acteurs majeurs, dont les Caisses d’assurance maladie, de Retraite, l’INPE, l’ARS, les mutuelles et assurances, les collectivités locales, ainsi que diverses associations, qui œuvrent dans la mise en place de différents programmes de prévention. Campagnes, ateliers, actions de solidarité et d’inclusion, ou encore développement d’activités pour les seniors constituent, à titre d’exemple, des actions de prévention réalisées par ces acteurs. Les Caisses de Retraite, collectivités, ainsi que les mutuelles et assurances prennent également part aux actions d’ordre environnemental, incluant notamment les aménagements urbains, ainsi que les aménagements des logements afin d’adapter ces derniers aux capacités des personnes âgées.

Prévention secondaire de la perte d’autonomie
Contrairement à la prévention primaire, la prévention secondaire de la perte d’autonomie s’écarte du « global » pour regrouper des actions ciblées. Elle englobe les programmes de dépistage des maladies, identifiées comme facteurs de la limitation fonctionnelle, dont les maladies chroniques, les cancers, l’AVC… entre autres. La prévention secondaire ne peut être inscrite dans les plans de santé généralistes dans le sens où les dépistages concernent, en principe, des catégories de personnes bien précises. Ceci étant, ce deuxième niveau de prévention ne se limite pas à des actions médicales. Tous les éléments susceptibles de causer la perte d’autonomie, incluant notamment le social et l’environnement, entrent également dans le cadre des programmes. Les actions sociales peuvent par exemple porter sur la lutte contre l’isolement, ou encore inclure des ateliers médico-sociaux. Des aménagements de logements ainsi que des gérontechnologies peuvent, de leur côté, être réalisés au niveau environnemental.
 
 
La prévention secondaire a pour principal objectif de réduire la durée d’évolution d’une maladie, afin d’affaiblir les risques de perte d’autonomie. Dans cette optique, différents acteurs peuvent entrer en jeu, dont les Caisses d’assurance maladie, de Retraite, les réseaux gérontologiques, les CCAS et communes, l’ARS, les mutuelles, IP et assurances, les médecins, sans oublier les collectivités locales ainsi que les associations. Sur le plan médical, la prévention inclut différents programmes, notamment de repérage des personnes fragiles, des ateliers de prévention de chutes, ou encore des plans d’action par pathologie. En termes sociaux, il s’agit surtout d’intégrer ou de réintégrer les personnes âgées dans la communauté, entre autres à travers des actions d’inclusion, des ateliers de mémoire, ou encore des activités dédiées aux seniors. Les acteurs environnementaux, de leur côté, s’appliquent dans les gérontechnologies, la mise en place de dispositifs médicaux de prévention, ainsi que dans l’aménagement urbain et des logements afin de prévenir les chutes.
 
Prévention tertiaire de la perte d’autonomie
D’un degré de plus que la prévention secondaire, la prévention tertiaire de la perte d’autonomie concerne les personnes déjà sujettes à une limitation fonctionnelle, ainsi qu’à celles particulièrement exposées aux risques d’incapacités. Il peut notamment s’agir de malades subissant déjà une incapacité temporaire, suite notamment à un accident, ou durant une hospitalisation. Ce troisième niveau de prévention a pour principal objectif de limiter l’évolution de la perte d’autonomie, et d’écarter les risques de rechutes. La réduction des incapacités fonctionnelles, ainsi que la recherche d’une nouvelle autonomie peuvent également entrer dans le champ d’intervention de cette prévention tertiaire. Il s’agit alors, en particulier, de rééduquer et de réinsérer le sujet dans la communauté.
 
La prévention tertiaire, tout comme les deux premières préventions, englobe des actions d’ordre médical, social et environnemental. Des programmes d’aide de retour à domicile après hospitalisation, des actions de rééducation, des ateliers de prévention de chutes, des plans d’action par maladie, ou encore des actions contre l’iatrogène hospitalière sont, entre autres, mis en œuvre sur le plan médical. À l’instar des préventions primaire et secondaire, ce troisième niveau de prévention inclut également des programmes de développement des activités pour personnes âgées, des actions d’inclusion sociale, ainsi que des ateliers de mémoire. L’adaptation de l’environnement urbain et des logements aux situations des malades, les gérontechnologies, ainsi que la mise en place de dispositifs médicaux entrent également dans le cadre de la prévention tertiaire, mise en œuvre, entre autres, par les caisses de retraite/maladie, les Hôpitaux, les professionnels paramédicaux, le SSR, l’EHPAD, l’ARS, l’ANAH, le CCAS, les mutuelles, IP et assurances, les collectivités locales, ainsi que diverses associations.

III. Comment enrayer la dynamique de balkanisation?

La prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées s’accompagne d’une importante multiplicité des acteurs, notamment au niveau régional et national. L’État en forme le pilier, représenté par le ministère de la Santé et des Solidarités qui, disposant de directions départementales et d’un réseau d’agences régionales de santé ou ARS, s’associe également à différentes organisations nationales pour mettre en œuvre les plans de santé publique. Parmi les institutions intimement liées à l’État, on peut notamment nommer l’INPES ou Institut national de prévention et d’éducation en santé, la HAS ou Haute autorité en santé, le HCSP ou Haut conseil de santé publique, ou encore l’ANESM ou Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux.
 
La mise en œuvre des actions de prévention sur le territoire régional est particulièrement prise en main par les ARS, dont les réalisations passent par les communes, les départements, ainsi qu’avec les caisses primaires d’assurance maladie. L’INPES œuvre dans les campagnes de prévention, tant générales que sur la perte d’autonomie. En partenariat avec le réseau des caisses primaires et des ARS, la CNAMTS développe également des campagnes de prévention spécifiques auprès des patients et des professionnels de la santé.
 
Dans le cadre de la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées, les caisses de retraite jouent un rôle majeur. Leur objectif consiste d’ailleurs à réorienter leurs programmes sociaux vers des actions de prévention. En 2010, plus de 600 000 euros ont été investis à destination des personnes âgées. Différents programmes ont également été mis au point, et ce, même si l’objectif est encore loin d’être atteint. Des centres de prévention médico-psychosociale ont notamment été mis en place par l’AGIRC-ARRCO. La MSA a également élaboré un programme d’activation cérébrale (PAC-EUREKA), et un partenariat entre CNAV-CNAMTS permettra un meilleur ciblage des actions de prévention au niveau local.
 
Les communes et leurs CCAS (Centres d’action sociale) prennent également part à la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées, particulièrement dans le cadre de la lutte contre l’isolement et la vulnérabilité sociale. Des actions de préventions individuelles et collectives sont tout aussi bien menées par les départements, mais jusque- là, l’aide humaine à la vie quotidienne reste majoritaire. Les assurances, mutuelles et institutions de prévoyance se targuent quant à elles d’offrir leurs appuis dans les actions de prévention, notamment par l’intermédiaire des sociétés d’assistance, en termes social et médical.
 
Fragmentation des actions
 
Si la multiplicité des acteurs devait aboutir à de grandes réalisations dans la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées, quelques points restent à situer.
 
Selon le Haut conseil de santé publique, l’absence d’une vision globale et transversale, ainsi que celle d’axes stratégiques à l’échelle nationale conduisent en effet à l’éparpillement des acteurs, pourtant volontaires. Le conseil d’analyse stratégique et le conseil de la CNSA a également avancé l’insuffisance du ciblage des actions de prévention, notamment afin de détecter les personnes réellement dans le besoin. Les évaluations sont également jugées insatisfaisantes, particulièrement par les bailleurs de fonds qui, automatiquement, hésitent à investir. On remarque également un manque de professionnalisme au niveau des opérateurs, ainsi qu’une importante fragmentation de l’expertise. Avec l’attribution des responsabilités entre les caisses de retraite, qui prennent en charge les personnes en GIR 5 et 6, et les départements (GIR 1 à 4), les actions se retrouvent également divisées. Alors que de leur côté, les personnes âgées sont de plus en plus difficiles à atteindre à cause de l’image négative de la dépendance et de la vieillesse, projetée par les représentations sociales.
 

Définition d’une stratégie nationale de prévention
 
La mise en place d’une stratégie nationale, structurée et dynamisée, devrait aboutir à des résultats optimaux dans le cadre de la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées.
 
7 piliers ont été définis afin de permettre une meilleure synergie des actions. Au premier rang figure la nécessité d’une forte volonté politique interministérielle, incluant la santé, la solidarité, le logement, le sport et l’agriculture. Il est également indispensable de mettre en place un axe stratégique global, commun et transversal, auquel les acteurs peuvent se référer, tant en termes médical, social ou médico-social. Les actions doivent se baser sur des référentiels préétablis. Il est également nécessaire de mieux définir les politiques de ciblage, notamment à travers des partenariats. Les professionnels sociaux et de santé concernés par les projets doivent faire l’objet d’une sensibilisation spécifique. La création de nouvelles formes de prise en charge et d’organisation s’avère également bénéfique au développement. Enfin, les recherches doivent être continues dans le secteur, et le partage des connaissances promu, afin que les programmes puissent être adaptés aux réalités, sur un long terme. 
 
Clarification des pilotages
Si la mise en place des plans de santé publique revient essentiellement à l’État, la réalisation des programmes reste entre les mains des diverses organisations, notamment au niveau local. Le caractère multidimensionnel de la perte d’autonomie des personnes âgées implique pourtant la dispersion des acteurs. Aussi, il est nécessaire de clarifier l’affectation des responsabilités.
 
Deux options sont alors possibles :
La première consiste à affecter aux départements la coordination de la prévention médico-sociale et sociale, adressée à toutes catégories de personnes âgées, jouissant ou non de l’APA. Les crédits des régimes de retraite (RSI, CNAV, MSA), sont transmis aux départements. Et le pilotage et l’ingénierie sont attribués à la CNSA.
La deuxième option, de son côté, élargit les responsabilités des caisses de retraite dans le cadre d’une prévention médico-sociale et sociale, en regroupant l’ensemble des personnes âgées. Les mutuelles et autres régimes se retrouvent alors dans la possibilité de couvrir l’ensemble des retraités, notamment via les conventions nationales de la CNAV. Les actions des ARS sont combinées avec celles des caisses vieillesse, et rassemblent le social et la santé.
 
Des avantages, mais également des risques, marquent chacun des scénarios. Il reste néanmoins qu’en termes de mobilisation de fonds, l’affectation du pilotage aux caisses de retraite s’avère la meilleure solution.