Le nucléaire est-il notre avenir ?

La Rédaction
09/03/2023


Entre les pro et anti nucléaire, l'affrontement écologique devient chaque jour un peu plus politique. Philippe Charlez, Docteur en physique et auteur de "Les 10 commandements de la transition énergétique" déconstruit les idées reçues sur le nucléaire afin que nous puissions nous faire un réel avis scientifique.



Quels sont les problèmes reprochés au nucléaire et qui empêchent aujourd’hui son développement ?

On reconnaît à l’atome trois grandes externalités négatives : le risque majeur d’accident, le traitement des déchets fortement radioactifs et enfin dans une moindre mesure la complexité et le coût du démantèlement des réacteurs en fin de vie. J’aborde sans tabous ces trois externalités dans mon ouvrage « Les dix commandements de la transition énergétique » et plus particulièrement dans le commandement septième « Au futur du nucléaire tu te convertiras ».
 
Toutefois, pour l’opinion publique c’est surtout la gestion des déchets qui fait aujourd’hui débat. Sans aucun risque, 99% des déchets sont entreposés en surface au CIRES dans l’Aube1.  En revanche, le 1% restant fortement radioactif peut être dangereux pour la santé. Aussi doivent-ils être scellés dans des fûts vitrifiés puis stockés à tout jamais dans une formation souterraine rigoureusement imperméable ceci afin d’empêcher tout déplacement de radio nucléides. Un tel stockage est en cours de finalisation à Bures dans la Haute Marne2. L’étanchéité du site est garantie grâce à une roche argileuse stable et totalement imperméable depuis plusieurs dizaines de millions d’années. Bien que techniquement solutionné, le stockage des déchets radioactifs n’en reste pas moins un problème sociétal aigu.
 
Mais, bien au-delà de considérations purement techniques, le nucléaire est surtout devenu pour les écologistes un marqueur politique3. L’explication est historique. Avant de s’intéresser à « Dame Nature », ces derniers ont d’abord été pacifistes en s’opposant frontalement à la prolifération des armes nucléaires et à la guerre du Vietnam4. Si les écologistes5 utilisent aujourd’hui de façon tactique des arguments techniques ou économiques, leur anti-nucléarisme repose toujours et avant tout sur leur « chromosome » pacifiste. Comme le confirmait Yannick Jadot dans son discours fondateur de Lyon le 29 janvier 2021, l’opposition des Verts au nucléaire « n’est ni technique ni climatique, elle est politique en plus d’être morale ». Selon l’ancien ministre Brice Lalonde6 : « Au sein du mouvement écologiste [accepter le nucléaire] c’est comme renier la Bible pour un chrétien ».
 

Depuis les premières centrales, la technologie nucléaire en France a-t-elle fortement évoluée ? Quel est l’intérêt du développement des EPR ?

Toutes les centrales nucléaires opérant actuellement en France (comme dans le monde d’ailleurs) utilisent des réacteurs à eau pressurisée. Ce choix technique date des années 1960 quand le Général de Gaulle décida de lancer le programme nucléaire français. La plupart des réacteurs actuellement en service dans le monde utilisent l'Uranium comme combustible nucléaire. Sous forme de pastilles empilées dans de longs tubes (appelés « crayons ») il est placé dans une enceinte en béton remplie d’eau à une pression de 150 atmosphères. Pressurisée, l’eau reste sous forme liquide à une température de 300°C. Elle permet de refroidir le réacteur mais surtout de produire, par échange de chaleur, de la vapeur. Comme dans une centrale thermique classique, cette vapeur est ensuite injectée dans une turbine puis est condensée dans une tour de refroidissement relâchant dans l’atmosphère de la vapeur d’eau (et non du CO2 comme le pensent 90% des profanes !). Entre une centrale nucléaire et une centrale thermique classique, seul le circuit de chauffage primaire diffère.
 
Les réacteurs de troisième génération de type European Pressurized Reactor mieux connu sous le nom d’EPR ne sont en rien une révolution technologique dans la mesure où le procédé des EPR est similaire : il utilise l’Uranium comme combustible nucléaire et l’eau pressurisée comme fluide caloporteur. En revanche, le réacteur est plus puissant (1,6 GW contre une puissance comprise entre 900 MW et 1,45 GW pour les réacteurs actuels) et plus sûr avec des enceintes de béton plus épaisses et des systèmes de sureté redondants. Les EPR sont notamment beaucoup plus résistants en cas d’inondation ou de chute d’avion. Par ailleurs, grâce à une fission plus complète de l’Uranium, l'EPR produit pour une même quantité de combustible davantage d’électricité et moins de déchets radioactifs.

La France va-t-elle perdre sa spécificité nucléaire si elle n’est pas soutenue par l’Europe ?

Bien que restés des nains politiques sur le plan électoral, l’écologie politique a eu au cours des deux dernières décennies une influence titanesque sur les politiques énergétiques des pays européens. Appelés comme appoint parlementaire dans de nombreuses coalitions gouvernementales, ils ont très chèrement négocié leur participation en faisant notamment de l’émergence des renouvelables et de la réduction du nucléaire une condition obligée à leur participation.
 
S’il n’y a jamais eu en France comme en Allemagne ou en Belgique de réelle volonté politique de sortir du nucléaire, la filière a souffert d’attaques incessantes portées par la Gauche en général, les Verts en particulier depuis la fin du siècle dernier. Pourtant, contrairement à son voisin allemand, la France a conservé grâce au nucléaire un avantage concurrentiel par rapport à ses confrères européens avec le MWh parmi les moins chers et les plus décarbonés du monde.
Hélas depuis quelques années, la situation s’est fortement dégradée obligeant l’arrêt intempestifs de plus de la moitié des réacteurs à l’été 2022. Cette dégradation se lit surtout en filigrane des pertes généralisées de compétences. Dès 2019, le problème avait été pointé du doigt dans le rapport Folz7.  Ce remarquable document consacré aux retards et aux surcoûts de l’EPR de Flamanville avait soulevé le problème crucial des pertes généralisées de compétences dans une filière industrielle réclamant des ressources humaines deux fois plus qualifiées comparée à la moyenne de l’industrie.    
 
La dernière centrale nucléaire (Civeaux) fut raccordée au réseau en 1991. Cet arrêt quasi-total de l’activité depuis 30 ans a profondément perturbé la pyramide des âges de la filière et empêché la transmission du savoir-faire entre générations. Maîtrise d’œuvre, aptitude à gérer de très gros chantiers, compétence des bureaux d’études, disparition des fabricants de composants, la liste est longue quant à la dégradation du savoir-faire avec une mention particulièrement critique pour le soudage et le tuyautage.
 
Malgré un recrutement de 8000 personnes par an tous métiers techniques confondus, malgré les sites de formation d’EDF, la filière peine à reconstituer ce trésor humain qui avait transformé, au cours des années 1970 et 1980, le nucléaire français en filière d’exception. Voulue par le Président Macron, la relance du nucléaire est louable. Toutefois, le grand défi du futur ne sera pas seulement celui des coûts, du temps et de l’acceptation sociétale. Ce sera surtout celui des compétences8.
 

1 https://www.andra.fr/les-dechets-radioactifs/les-solutions-de-gestion/stockage-en-surface
2 https://www.cigeo.gouv.fr/
3 https://www.bvoltaire.fr/le-nucleaire-nouveau-marqueur-politique-entre-une-droite-nationaliste-et-une-gauche-wokiste/
4 https://www.nouvelobs.com/politique/20110719.OBS7300/le-pacifisme-fondement-de-l-ecologie-politique.html
5 https://energie.eelv.fr/la-transition-energetique/pourquoi/sortir-du-nucleaire-pourquoi/
6 https://www.goodplanet.org/fr/peut-on-etre-ecologiste-et-pro-nucleaire/
7 https://minefi.hosting.augure.com/Augure_Minefi/r/ContenuEnLigne/Download?id=104AF2DA-FA4D-4BED-B666-4D582E2C7A8A&filename=1505%20-Rapport%20Flamanville%20pdf.pdf
8 https://www.sfen.org/rgn/competences-nucleaire-francais-defi-demain/

 

Philippe Charlez, Docteur en Physique et expert en énergies est l'auteur de "Les 10 commandements de la transition énergétique " publié chez VA Éditions.