L’industrie vue par Christian Pierret : un projet au service de la justice sociale

27/03/2013


Ancien ministre de l’Industrie, avocat d’affaires et entrepreneur, Christian Pierret insuffle à ses projets un dynamisme soutenu par des convictions. Des convictions solides que l’homme s’est forgées au gré de ses nombreuses expériences, en tant qu’acteur public ou privé, tout spécialement dans le milieu de l’industrie. Aujourd’hui maire de Saint-Dié-des-Vosges, il fait également partie des fondateurs de Deinove, une start-up spécialisée dans les bioénergies. Ce membre de longue date du parti socialiste a fait le pari de concilier valeurs de gauche et entrepreneuriat. Il promeut ainsi un projet industriel obéissant sans réserves aux lois de l’économie mais restant au service de la justice sociale.



RSE Magazine : Monsieur le Ministre, vous avez abordé le milieu industriel tant par la porte publique que par la voie privée. D’où vous vient cet intérêt pour l’industrie ?

Christian Pierret : Cet intérêt pour l’industrie m’a été transmis par mon père, un ingénieur qui exprimait une réelle passion pour ces métiers alliant ingéniosité et créativité. D’autre part, je suis originaire d’une région, la Lorraine, qui a une forte culture et une forte tradition industrielles. L’industrie est l’expression parfaite d’un savoir-faire, d’un lien entre l’intelligence théorique et le souci du concret, entre l’habileté de la main et le concept forgé par le cerveau. La production industrielle est le fruit de la création, de la recherche et également de la maîtrise de nouveaux procédés de fabrication. Elle demande constance, persévérance et courage, car cent fois il faut remettre l’ouvrage sur le métier : c’est là tout l’enjeu de l’industrie contemporaine.

RSE Magazine : Les start-ups au sein desquelles vous êtes impliqués proviennent le plus souvent de l’innovation technologique. Est-ce un choix délibéré ? Comment cela s’explique-t-il ?

Christian Pierret : La capacité d’innover fait partie de notre génie national. Au-delà de la satisfaction d’inventer, c’est maintenant devenu la condition indispensable au développement et donc à la survie de notre modèle économique. Mais c’est surtout un état d’esprit, une conception de la croissance. L’innovation est en effet la capacité à introduire de nouveaux produits ou services, de nouveaux procédés de production et de fabrication pour améliorer la productivité. C’est une nouvelle organisation de notre industrie et de nos marchés. Des projets ambitieux reposent avant tout sur le « risque de l’innovation » ; ce sont eux qui font la force économique de la France : l’Airbus, le TGV, Ariane, le nucléaire et les énergies nouvelles, l’agroalimentaire, les biotechnologies, le BTP, les industries culturelles et les NTIC.

RSE Magazine : En quoi l’industrie est-elle encore un vecteur de promotion de la justice et du bien-être social aujourd’hui ?

Christian Pierret : L’industrie est d’abord un savoir-faire humain. Ce sont les femmes et les hommes d’une entreprise qui assurent son succès. Leur adhésion à son projet collectif détermine leur confiance en l’avenir et donc leur capacité à se mobiliser, à innover et à prendre des risques. C’est ce que j’appelle l’esprit d’entreprise partagé. Or, aujourd’hui, de nombreux salariés ne se sentent plus concernés par la réussite de leur entreprise.

Par les relations entre les hommes et les femmes qui la constituent, l’entreprise est également un lieu créateur de règles et de valeurs partagées par la communauté entrepreneuriale. Des valeurs communes et spécifiques se créent et deviennent source d’enrichissement individuel au-delà de la simple rétribution économique de l’effort. L’entreprise est un espace où s’exerce une éthique, une certaine conception de la vie sociale, où peut s’épanouir l’idée de progrès et de succès juste, c’est-à-dire partagé. Elle est ainsi porteuse d’une motivation renouvelée de la société.

On peut étendre le concept de l’innovation à l’innovation sociale. Notre société est avide d’innovation sociale. Celle-ci est porteuse d’une motivation renouvelée. Dans l’entreprise industrielle, d’autres manières de travailler et de vivre ainsi que de nouvelles formes de créativité économique sont à découvrir ou à inventer. Les performances économiques et les contraintes de la production de masse ne s’opposent pas à une meilleure participation des salariés aux choix de leur entreprise. Ce dialogue social permanent, fécond et accepté par tous au sein de l’entreprise permettrait aux salariés de faire entendre leur voix dans la détermination de la stratégie d’ensemble, de la politique d’investissement, de la politique de formation et de la politique de rémunération.

RSE Magazine : La France peut-elle encore redresser son industrie aujourd’hui ?

Christian Pierret : Si l’industrie a reculé, c’est bien parce que certains politiques ont laissé l’État renoncer, car il n’y a pas de politique industrielle sans une impulsion entrepreneuriale et une volonté stratégique de l’État. Cette volonté peut fédérer les efforts de la Nation en faveur de son appareil productif. Il faut y croire pour atteindre la compétitivité et tous doivent y concourir : les administrations, l’enseignement, la recherche privée et publique. Or nous savons que sans politique industrielle, il n’y a pas de politique économique. Sans cohérence de celle-ci centrée sur la compétitivité, il n’y a pas de croissance et donc pas d’emplois. Tout le monde admet aujourd’hui qu’il est urgent, comme le préconise le Rapport Gallois de mener une politique de l’offre accompagnée d’une maîtrise rapide des déficits publics, d’un rigoureux encouragement à l’investissement et à l’innovation.

Ce n’est pas la surévaluation de l’euro qui nous a affaiblis, mais trente ans de sous-investissement (en particulier par rapport à l’Allemagne) et une faiblesse relative de la R&D, tandis qu’une mauvaise orientation de nos échanges nous éloignait des marchés les plus profitables. Un État stratège et organisé est ainsi la première étape volontaire de la reconquête de la croissance par la création de valeur dans l’industrie. C’est un mouvement de fond, culturel au sens large, qui concerne toute une société et pas seulement « le corps de bataille industrielle de l’avant ». Rien n’est encore perdu, bien au contraire !

RSE Magazine : Quelles sont selon vous les filières dans lesquelles la France a le plus à gagner économiquement et socialement à l'avenir ?

Christian Pierret : Une quarantaine de technologies gouverneront le monde de la production de demain : il y a quelques années je les ai appelées « technologies clefs ». La France y trouve des champions, au moins potentiels, dans chacune d’entre elles. Ces champions sont aussi bien des TPE que des grands groupes intégrés.

Au cœur de la compétitivité globale de notre industrie, il y a la fourniture sûre et à moindre coût de l’énergie, la France est bien placée. La politique énergétique française évolue en permanence pour y intégrer - par l’innovation - les préoccupations environnementales, les besoins de sécurité stratégique et ceux d’une plus grande sûreté. Pour en revenir aux préoccupations sociales évoquées il y a quelques instants, permettre à tous nos concitoyens d’accéder à une électricité sure mais bon marché me paraît une priorité. C’est toute la place qui revient au nucléaire, sans pour autant fermer la porte aux énergies renouvelables bien entendu.

Dans d’autres secteurs industriels, nous possédons également des entreprises de référence, de l’automobile au parapétrolier, des NTIC aux biotechnologies, de l’aéronautique aux industries d’armement, des entreprises du médicament à celles de l’agroalimentaire. Il faudrait aussi citer l’industrie touristique - la première du monde -, le BTP et la grande distribution où nous excellons.

Il n’y a pas de fatalité du déclin, mais l’urgence est à la mobilisation en faveur de la croissance. Celle-ci passe par un grand dynamisme de notre industrie.