L’Union Européenne pourrait ouvrir la voie à une taxation internationale des émissions de carbones

RSE Magazine
20/03/2012


Entrée en vigueur en janvier 2012, la taxe européenne sur les émissions de dioxyde de carbone a rapidement suscité ses premiers débats. Le texte prévoit que toutes les compagnies aériennes exerçant dans l’Union Européenne déboursent un montant équivalent à 15% de leurs émissions de CO² pour lutter contre le réchauffement climatique. La levée de bouclier internationale qu’a généré cette mesure semble illustrer déjà les limites de l’initiative régionale ; à première vue seulement.



Dans le cadre de sa lutte contre le réchauffement climatique, l’Union Européenne a décidé l’entrée en vigueur en janvier 2012 de la taxe européenne sur les émissions de CO². L’application de cette mesure n’est prévue que pour l’année 2013 et pourtant la faisabilité de cette taxation est déjà remise en question. En effet, le texte prévoit de s’appliquer à toute compagnie aérienne en activité sur le territoire européen et ce quelle que soit sa nationalité. Une compagnie américaine posant un avion sur un aéroport allemand devrait donc se voir taxé en vertu de cette nouvelle mesure. En conséquence et sans véritable surprise, de nombreux pays ont manifesté leur opposition à la nouvelle taxe. De nombreux industriels européens ont également fait part de leur inquiétude à ce sujet.

Un véritable front international s’est formé contre la taxe carbone européenne. Pour protester contre elle, la Chine a par exemple interdit à ses compagnies de s’y soumettre et les a poussées à suspendre la commande de 45 avions Airbus. L’Inde envisage d’interdire à sa flotte civile de se poser en Europe et la Russie menace l’Union Européenne de mesure de rétorsion. On l’envisage ainsi sans peine : l’adoption d’un cadre législatif contraignant en matière environnementale expose les pays de l’Union Européenne à des représailles commerciales.
 
Dans l’immédiat comme à moyen terme, la taxe carbonne européenne est synonyme d’un énorme manque à gagner pour les entreprises européennes. Les 45 commandes passées par la Chine à d’Airbus représentent par exemple une valeur de 12 milliards de dollars sur lesquels l’avionneur français devra peut-être tirer un trait. Ayant commandé des avions jusqu’en 2014, la Chine achète en 2012 un cinquième du marché d’Airbus. Or ce débouché vital menace aujourd’hui de faire défection en raison le taxe carbone européenne.

Plus largement, ce sont 23 des 36 membres de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) se sont opposés dès mars 2012 à l’ETS. Les entreprises du secteur aéronautique européen ont d’ailleurs formulé le souhait de voir l’organisation internationale s’impliquer dans ce débat et proposer une solution globale et unique au sujet de la taxation des émissions de carbone. Neuf entreprises européennes – compagnies aériennes et constructeurs du secteur aéronautique – ont d’ailleurs interpellé par écrit les chefs de gouvernements européens à cet effet le lundi 12 mars.

Malgré la pression commerciale, l’Union Européenne n’entend toutefois pas changer ses plans au sujet de la taxe carbone. La Commissaire européenne à l’Action pour le Climat Connie Hadeggard a ainsi réaffirmé la détermination de la Commission à réagir aux « mesures discriminatoires contre des sociétés européennes » et de faire appliquer normalement la taxation des compagnies aériennes exerçant en Europe.
 
Le secteur de l’aviation est responsable de 3% des émissions annuelle de gaz à effet de serre. La taxation des émissions de CO² des compagnies aériennes n’aurait donc rien d’une mesure symbolique. En l’absence d’une taxation globale, la taxe carbone européenne est toutefois synonyme de perte majeure de compétitivité pour les entreprises européennes et d’action unilatérale pour les pays étrangers. Au regard de la crispation de la situation actuelle, on pourrait aujourd’hui parier sur l’abandon de la taxe carbone malgré le discours officiel européen.

Néanmoins, cette taxe bénéficie d’une légitimité certaine au regard du droit. Elle a en effet vocation à s’appliquer indifféremment aux compagnies européennes et étrangères et est donc non discriminatoire. Les chefs d’États européens sont donc ici en possession d’un moyen de pression reposant sur leur capacité à user de leur souveraineté sur leur territoire nationale. En d’autres termes, le rapport de forces entre l’Union Européenne et les 23 membres l’OACI qui dénoncent la décision européenne n’est peut-être pas aussi défavorable à la taxe qu’on pourrait le penser. Par ailleurs, l’inquiétude des compagnies aériennes et aéronautiques européennes les ayant déjà conduit à réclamer aux dirigeants européens d’entrer en concertation avec l’OACI, il n’est pas impossible que le débat initialement européen de la taxe carbone prenne une dimension mondiale en 2012.
 
En prenant l’initiative d’instaurer une taxe carbone sur son territoire, l’Union Européenne s’est engagé dans un rapport de force international dont l’issue est encore incertaine. S’il était prévisible que les menaces de représailles commerciales soient brandies par les entreprises étrangères avec l’assentiment de leurs gouvernements, il n’est pas certain aujourd’hui que la question reste ainsi cantonnée à l’Europe. La question de la taxe carbone pourrait en effet être portée à l’échelon international si l’OACI s’en emparait. Dans ce cas, les considérations économiques des compagnies aériennes et aéronautiques pourraient être reléguées au second plan au profit d’un projet international et non plus de taxation des émissions de carbone.