Jean-Louis Bancel, Crédit Coopératif : "accompagner ceux qui contribuent à l'intérêt général"

La Rédaction
28/05/2015


La gouvernance coopérative se pose comme une alternative crédible à celle de l’entreprise capitaliste classique. Cette émergence, ou plutôt cette « réémergence », est le fruit d’une riche histoire à laquelle le Crédit Coopératif prend part depuis 120 ans. Avec pour fil rouge des principes bien affirmés, la banque coopérative a su s’adapter aux changements sociétaux pour porter l’économie sociale et solidaire. Retour sur les racines d’un modèle plein d’avenir avec Jean-Louis Bancel, le président du Crédit Coopératif.



L’ADN du Crédit Coopératif se situe au confluent de l’histoire ouvrière, des valeurs chrétiennes et du solidarisme politique. Vous faites d’ailleurs volontiers référence à des auteurs comme Charles Fourier. Qualifier le Crédit coopératif de « banque utopiste » est-il exagéré ? Le Crédit Coopératif peut-il être désigné comme une banque « d’utilité publique » ?

Jean-Louis Bancel, Président du Crédit Coopératif
Nous tenons beaucoup au mot « utopie » qui fait partie de la construction  du Crédit Coopératif, comme l’explique l’universitaire Michel Dreyfus dans « Financer des utopies », qui retrace l’histoire du Crédit Coopératif. En ce sens, l’utopie signifie : tout ce que les Hommes veulent faire et qu’ils n’ont pas encore réalisé. Nous sommes donc une banque qui finance des utopies, mais nous ne sommes pas une banque utopiste.
 
En tant que banque coopérative, nous tenons aux principes coopératifs, c’est à dire à la liberté, l’autonomie et à la gestion démocratique, qui sont proclamés par notre déclaration de principes de septembre 1984, mise à jour en 2005.  Ainsi, nous accompagnons ceux qui « contribuent à l’intérêt général ». Je préfère cette expression à celle « d’utilité publique », qui à mon sens, peut évoquer dans certains contextes une « mise sous tutelle » de l’Etat.
 

Très concrètement, en quoi votre organisation coopérative rend-elle le Crédit Coopératif différent des banques traditionnelles dans sa stratégie ou dans ses actions ?

Au-delà de ces valeurs coopératives que nous incarnons, nous sommes la seule banque coopérative à compétence nationale en France. Cette dimension nationale était présente dès la création du Crédit Coopératif et dépasse le cadre régional de nos autres collègues. De plus, nous sommes la seule banque faite pour des acteurs « entreprenants ». Notre démarche est animée par la finalité de l’action, car il s’agit pour nous d’« apporter notre concours aux acteurs de l’économie sociale et solidaire » comme y fait référence notre Déclaration.

Concrètement, cela se traduit par notre projet d’entreprise, « Tous coopérateurs, tous banquiers ». Chaque sociétaire doit se sentir banquier, c’est-à-dire partie prenante d’un projet bancaire utile à tous et pas seulement consommateur de services bancaires. C’est notre ambition et aussi ce qui marque notre différence. Nous refusons d’être dans la position de celui qui prétend tout savoir et qui impose sa solution aux autres. Nous sommes dans une logique d’égalité, il s’agit de construire ensemble notre banque. Que l’on soit administrateur, militant, ou membre d’assemblée générale, nous avons tous droit au même respect.
 

A travers la communication du Crédit Coopératif, on perçoit une volonté de pédagogie et de transparence quant au fonctionnement du « circuit de l’argent » dans le secteur bancaire. Doit-on en déduire qu’une forme d’obscurantisme règne encore dans le secteur bancaire ?

Le principe d’éducation est au cœur des principes coopératifs. Il implique de bien comprendre et de refuser la fatalité d’un monde coupé entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. En cela, nous portons une vision démocratique. Cette démarche renvoie nécessairement à la question de la confiance. En économie, il y a un argument qui est souvent avancé : l’asymétrie de l’information. Le banquier sait plus de choses sur son client que le client sur son banquier. Nous pensons que pour se faire confiance, il faut parler, échanger afin de construire ensemble dans la durée. Détailler le circuit de l’argent est donc pour nous un outil de pédagogie. Lorsque nous présentons ce bilan de la banque, chaque sociétaire voit son implication. Cela a plus d’impact que de présenter un bilan comptable classique, qui, à première vue, a tendance à rebuter.
 
Cette démarche se prolonge également sur le terrain.  Ainsi, avec la mise en place dans le Nord Pas de Calais du « Livret troisième révolution industrielle », nous nous engageons sur la traçabilité totale des dépôts des gens vers les prêts. Nous sommes allés jusqu’à l’individualisation du circuit de l’argent, à l’instar de la logique de traçabilité des filières alimentaires. Globalement, les systèmes d’information des banques traditionnelles connaissent les flux financiers qui transitent, mais ne peuvent pas dire à quoi sont affectés ces fonds. De cette manière, nous contribuons à sortir de l’obscurantisme. C’est ce savoir-faire que nous défendons au Crédit Coopératif.
 
 

Quel regard portez-vous sur les réformes prudentielles en cours (Bâle III, Solvabilité II) ? Sont-elles suffisantes et vont-elles dans le bon sens selon vous ?

Selon moi, elles ne répondent pas aux attentes des Français qui ne veulent plus de banques « boîtes noires » mais des banques simples et transparentes. Ces réformes ont été élaborées afin de contrebalancer les excès de déreglementation de Bâle II, mais ne résolvent pas les problèmes de fond. Les superviseurs continuent de penser qu’ils n’ont pas à se mêler de ce qui se passe à l’intérieur de la banque et les banques se contentent de payer les amendes afin de réparer les erreurs qui leur sont imputables.
 
Nous sommes dans une logique punitive et non préventive. Pire, ces « remèdes » vont finir par tuer les malades et les biens portants. Aussi, je trouve plus intéressantes certaines mesures que l’on voit ponctuellement apparaître, comme la communication d’informations sur des territoires non collaboratifs dans lesquels certaines entreprises travaillent (les paradis fiscaux) ou relatives au financement qu’une entreprise peut apporter dans le domaine minier ou l’exploitation des forêts.  A mon sens, cela a plus de vertu même si nous avons besoin d’une législation efficace.
 
 

Vous dénoncez une forme de « management triomphant » au sein de notre société, et auquel vous opposez le besoin de « visionnaires » et « d’idéologues ». Ne pensez-vous pas, pour autant, que cette idée tranche avec le « pragmatisme froid » prôné par certains dans un contexte de crise économique ?

Il est important d’avoir une certaine vision du monde. Dans cette démarche, un autre principe coopératif est important, celui de la neutralité par rapport aux différentes convictions des clients. La neutralité n’est pas l’indifférence. On ne peut pas être indifférent aujourd’hui à la situation des uns et des autres lorsque l’on voit l’accroissement des écarts économiques à l’intérieur de nos sociétés.
 
Ainsi, un banquier fonctionne bien, quand il est dans une économie de concorde civile. Il faut donc rappeler pourquoi les gens ont besoin d’un banquier, comment ils apprécient leur banquier. Il incombe au banquier de faire circuler l’argent et de garantir la valeur de l’argent dans le temps. Les banquiers sont aussi des commerçants et doivent être rémunérés. Ce sont des choses relativement simples, mais cela demande beaucoup de travail technique afin de faire concilier les deux dimensions.
 

Vous êtes également Président de l’Association internationale des banques coopératives. D’après vous, y’a-t-il des cultures, dans le monde, plus propices que d’autres à l’adoption des valeurs coopératives ? L’héritage religieux ou politique d’une société peut-il créer ou, au contraire, empêcher leur expansion ?

Les principes coopératifs s’enracinent différemment selon les environnements culturels, économiques, juridiques ou politiques. La coopération se nourrit de la liberté d’adhésion, aussi la législation doit autoriser et intégrer cette liberté qui est primordiale. Il s’agit de faire partager cette diversité d’entreprendre comme une source d’enrichissement collectif et de trouver des points de repères entre l’artisan au Guatemala, l’agriculteur aux Philippines, et un banquier en Italie.
 
La France est un pays porteur pour les banques coopératives, mais d’autres pays avec différentes traditions proposent également des projets coopératifs intéressants comme en Inde ou au Japon. Nous avons également espoir que les banques coopératives se développent dans les PVD. Néanmoins, cela implique un environnement de paix civile et de stabilité politique. Globalement la banque coopérative se développe et est de plus en plus considérée comme une voie qui nourrit la biodiversité. Ce succès ne doit pas mettre en doute l’ADN coopératif. Il ne faut pas céder à la tentation de démutualiser les banques coopératives, comme en Italie où le gouvernement Renzi voudrait faire sauter un des principes majeurs coopératifs, 1personne 1voix. Ce non-respect d’un principe coopératif m’interpelle.
 

Qu’est-ce qu’une « économie sociale sans rivages », concept auquel vous semblez particulièrement sensible ?

L’économie sociale est un concept apparu dans les années 70. Il reprend un mot utilisé au début du 20ème siècle par Charles Gide, un grand économiste et le leader du mouvement coopératif français. Il a défini cet espace qu’est l’économie sociale, porté par les coopératives, les mutuelles et les associations. Et aujourd’hui, l’économie sociale se développe vers l’économie sociale et solidaire (l’ESS).
 
Le concept d’ « économie sociale sans rivage » s’inscrit ainsi dans cette dynamique. Il a été forgé par Jacques Moreau, président du Crédit Coopératif. Il insistait sur le fait de ne pas proposer une vision égoïste du monde. En effet, il a pu être reproché aux mutuelles, aux banques coopératives, et aux associations de s’occuper uniquement de ceux qui sont à l’intérieur de leurs structures. Or, on ne peut pas vivre si cela ne va pas bien autour. L’économie sociale sans rivages rejoint cette idée : nous ne sommes pas une île de gens heureux qui évolueraient dans un océan de malheurs. Ces valeurs font que de plus en plus de gens nous rejoignent.