Dossier: l’intégration d’une démarche ESG dans le capital-investissement, une stratégie gagnant-gagnant

RSE Magazine
14/09/2011


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A côté du capital risque, aux impératifs de rentabilité parfois jugés excessifs, il existe d'autres modalités de financement de la croissance des entreprises non cotées, telles que les opérations de capital développement. Elles consistent à aider l'entreprise à franchir une nouvelle étape de son développement, à travers l'évolution de son actionnariat sur le long terme. Mais globalement, les modalités du private equity dans son ensemble ont considérablement évolué ces dernières années grâce à l'apparition de la" démarche ESG", cette transposition du principe de responsabilité sociale au monde du capital-investissement.



Des critères de bonne conduite: les PRI

Flickr - IChaz
Incorporer une démarche ESG au processus d’investissement consiste, pour le fonds d'investissement qui la pratique, à prendre en compte des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance dans le cadre de leurs opérations de capitalisation des entreprises. Dans un contexte où les marchés financiers restent encore trop souvent guidés par des objectifs de rentabilité à court terme au détriment d'une vision stratégique de l'investissement à long terme, les principes d'un investissement responsable apparaissent d'autant plus pertinents.

A l'origine de ces principes: le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, qui a dès 2005 invité un groupe d'investisseurs mondiaux à développer un code de bonne conduite tourné vers l’investissement responsable. Ce qui a finalement abouti à l'édiction des "Principes pour l’Investissement Responsable; (PRI) soutenus par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement et l'Initiative Financière (United Nations Environment Programme /Finance Initiative) et le Pacte Mondial des Nations Unies. Les fonds d'investissement signataires de ces principes s'engagent ainsi à intégrer une démarche ESG dans leur politique d'investissement. En d'autres termes: des décisions d'investissement durables et responsables, et un mode de gouvernance guidé par l'éthique et la transparence.

Les PRI sont au nombre de six. Ils définissent la place des critères ESG dans le métier d’investisseur et les principales pratiques à adopter. Le programme élaboré par les Nations Unies les décline ainsi :

1. Prendre en compte les questions ESG dans les processus d’analyse et de décision en matière d’investissements. Cela revient à aborder les questions ESG dans les exposés de politique d’investissement, à élaborer des outils ainsi que des méthodes de mesure et d’analyse pour les questions ESG, à évaluer la capacité des gestionnaires internes de portefeuilles à prendre en compte les questions ESG, à demander aux prestataires de services d’investissement (comme les analystes financiers, les consultants, les courtiers, les sociétés de recherche ou les agences de notation) de prendre en compte les facteurs ESG dans les recherches et analyses en cours, à encourager la recherche universitaire sur ce thème et enfin à préconiser la formation de spécialistes de l’investissement aux questions ESG.

2. Être des investisseurs actifs et prendre en compte les questions ESG dans les politiques et les pratiques d’actionnaires. Ce critère recommande d'élaborer et de rendre publique une politique actionnariale active conforme aux PRI, d'exercer les droits de vote ou de contrôler la conformité de la politique de vote (si les droits de vote sont délégués), de mettre en place une capacité d’engagement, de participer au développement de la politique et des règles de l’entreprise et à la fixation de normes (par exemple pour la promotion et la protection des droits des actionnaires), de déposer des résolutions d’actionnaires conformes aux considérations ESG à long terme, de mettre en œuvre des démarches d’engagement auprès des sociétés sur les questions ESG, de participer à des initiatives d’engagement concertées et enfin de demander aux gestionnaires de portefeuilles de mettre en œuvre des démarches d’engagement sur les questions ESG et d’en rendre compte.


3. Demander aux entités dans lesquelles les sociétés de gestion investissent de publier des informations appropriées sur les questions ESG, c'est à dire demander la publication de rapports standardisés sur les questions ESG (à l’aide d’outils comme la Global Reporting Initiative, demander que les questions ESG soient prises en compte dans les rapports financiers annuels, demander aux entreprises des informations sur l’adoption et le respect des normes, standards, codes de conduite ou initiatives internationales (comme le Pacte Mondial des Nations Unies) qui sont pertinents, et soutenir les initiatives et les résolutions d’actionnaires en faveur de la publication d’informations sur les questions ESG.

4. Favoriser l’acceptation et l’application des PRI auprès des acteurs de la gestion d’actifs. Ce principe recommande de faire figurer des prescriptions relatives aux PRI dans les invitations à soumissionner (appels d’offre), d'adapter les mandats d’investissement, les procédures de contrôle, les indicateurs de performance et les régimes d’incitation en conséquence (par exemple, veiller à ce que les processus de gestion des investissements tiennent compte, lorsque cela est pertinent, des horizons à long terme), de faire connaître les attentes concernant les questions ESG aux prestataires de services d’investissement, de revoir les relations avec les prestataires de services qui ne satisfont pas aux attentes concernant les questions ESG, de soutenir la mise au point d’outils d’analyse comparative concernant la prise en compte des questions ESG et enfin de soutenir les évolutions de la réglementation ou des politiques qui permettent d’appliquer les Principes.

5. Travailler ensemble pour accroître l’efficacité dans l’application des principes en soutenant/participant à des réseaux et des plateformes d’information pour le partage d’outils, la mise en commun de ressources et l’exploitation des rapports des investisseurs comme sources d’enseignements, en abordant ensemble les nouvelles questions pertinentes qui se posent, et en soutenant des initiatives de collaboration appropriées.

6. Rendre compte individuellement des activités et des progrès dans l’application des principes. Concrètement, cela revient à indiquer comment les questions ESG sont prises en compte dans les pratiques d’investissement, indiquer les activités menées en tant qu’actionnaire actif (vote, engagement et/ou concertation), indiquer ce qui est demandé aux prestataires de services à propos des Principes, fournir des informations aux bénéficiaires sur les questions ESG et les Principes, rendre compte des progrès et/ou des réalisations en rapport avec les Principes selon l’approche «se conformer ou expliquer», s’efforcer de déterminer l’impact des Principes et utiliser le «reporting» pour faire progresser la prise de conscience au sein d’un vaste ensemble de parties prenantes.

Qui a signé ?

On trouve des signataires des PRI dans le monde entier. Parmi les exemples les plus connus, Doughty Hanson, une société de gestion britannique qui investit dans toute l'Europe. Doughty Hanson se concentre en effet sur le développement d’entreprises leaders et met en œuvre une stratégie d’investissement à long terme à travers la prise en compte des enjeux ESG. Citons également Robeco, un fonds de fonds néerlandais, dont les bureaux sont implantés à Rotterdam, Zürich et New York. Dès 2004, Robeco a introduit un programme d’investissement axé sur les enjeux ESG en capital investissement : le Robeco Sustainable Private Equity Program (RSPE). En 2006, Robeco a signé les PRI et sur cette base, a développé les Principes Robeco pour le Capital Investissement responsable. Ces Principes sont déployés au sein du fonds qui a succédé au RSPE : lancé en 2008, il s’agit du Robeco Responsible Private Equity II (RRPE II).

En France, l’Association Française des Investisseurs en Capital (Afic) a édité en décembre 2010, en partenariat avec PWC, un premier guide pour aider ses adhérents à en comprendre les enjeux de la démarche ESG. L'association entend ainsi jouer un rôle de coordinateur de premier plan sur ces sujets en France, et développer les relations avec les associations homologues européennes (BVCA, EVCA).

"Le nombre croissant de signataires des Principes pour l’Investissement Responsable (PRI), déjà significatif en France, et le nombre de sociétés de capital investissement ayant initié une réflexion pour intégrer des critères ESG à court terme dans leurs processus d’investissement confirment que ce type d’acteurs porte un intérêt croissant à l’intégration de critères ESG dans leurs activités", souligne la récente étude intitulée "Pratiques ESG des investisseurs en capital; réalisée par Novethic, filiale de la Caisse des Dépôts. Cette enquête, menée entre mars et mai 2011 auprès de 74 sociétés de gestion représentatives du capital investissement en France a permis de constater qu'au niveau international, la France est la mieux représentée en nombre d'acteurs signataires des PRI (23), suivies par la Grande-Bretagne (17) et les Etats-Unis (12).

Le fonds d'investissement Pragma Capital, par exemple, était l'un des répondants à cette enquête. En outre, Pragma Capital fait partie des 30% de sociétés répondantes qui ont signé les principes. La société de gestion a notamment formalisé sa politique d'investissement et sa méthodologie de prise en compte les critères ESG sur son site. L'enquête montre, en effet, que les sociétés de gestion ayant formalisé une politique ESG ont généralement des démarches plus abouties. Ce qui est d'autant plus recommandable que ces actions ne sont pas évidentes à mettre en place dans la gestion du fonds au quotidien, et que les chefs d'entreprise ne disposent pas toujours d'une information précise sur les pratiques réelles de gouvernance des sociétés de gestion.

Des exemples concrets en France

A l'instar d'autres fonds de capital investissement en France et dans le monde, Pragma Capital a adopté une approche globale de l'investissement responsable. Après avoir signé les PRI en février 2010, la société de private equity s'est fixé la ligne de conduite suivante :

– Politique d’exclusion de certains secteurs (selon l'enquête de Novethic, ceci contraste nettement avec les pratiques des gestionnaires d’actifs cotés français, très réticents à mettre en oeuvre de telles exclusions). Ce sont par exemple les secteurs du tabac, de l'alcool ou des jeux de hasard...;

– Réalisation d’un bilan carbone de la société de gestion : tri des déchets et contrat avec prestataire spécialisé;

– Action de sensibilisation des collaborateurs : plusieurs présentations faites par un intervenant extérieur sur l’approche du bilan carbone et les enjeux ESG;

– Nomination d’une personne dédiée en interne pour coordonner la démarche;

– Prise en compte des critères ESG tout au long du processus d’investissement;

– Reporting investisseurs dès fin 2010;

– Participation active au comité de pilotage du Club Développement Durable de l’AFIC.

Autre exemple: celui d'XAnge, spécialiste du capital risque à vocation industrielle, qui a annoncé le 18 avril dernier son adhésion aux PRI. Pour cette filiale de la Banque Postale, "l’adhésion aux PRI est une démarche volontaire : elle correspond aux valeurs et convictions de XAnge Private Equity qui intègre déjà les critères extra-financiers dans ses processus d’investissement et tient compte des enjeux ESG tant dans ses pratiques d’actionnaire que de gestionnaire des fonds." Ainsi, le fonds s’attache, grâce à son implication et sa proximité avec les dirigeants des sociétés en participation, à sensibiliser les entreprises au respect des principes ESG.

La politique mise en place par Alter Equity, également signataire, est tout autant représentative de la démarche ESG. Sa présidente, Fanny Picard, interviewée en mars dernier par Le Monde, indiquait que "Alter Equity entend investir dans des entreprises capables d’une croissance économique pérenne, et dont l’empreinte sociale ou environnementale est – et sera – positive". Dans sa démarche d’investissement, la société se base notamment sur un business plan extra-financier. Ainsi, selon Fanny Picard, « la grande innovation, ici, ne réside pas seulement dans le suivi systématique d’indicateurs extra-financiers, mais aussi dans le surcroît de rémunération de l’équipe dirigeante que le fonds consentira si le business plan extra-financier est atteint".

Des outils adaptés

Pour intégrer au mieux la démarche ESG, les fonds d'investissement ajoutent des outils complémentaires aux processus d'investissement classiques, comme des grilles d’évaluation, des due diligences d’acquisition spécifiques ou encore des "questionnaires ESG" adressés aux entreprises. Ces études préliminaires s'attachent aux questions financières, fiscales ou encore aux risques environnementaux. Parfois, cela mène à revoir le prix de vente de l'actif ou la mise en place de garanties de passif s'il faut envisager une mise en conformité des installations de l'entreprise, par exemple.

Mais d'une manière générale, le positionnement ESG constitue un levier de la performance pour l'entreprise. Revenons sur un exemple précité: Pragma Capital indique avoir intégré des considérations ESG dans l’analyse des opportunités d’investissement, aussi bien lors des due diligences, que dans le suivi des participations. Ainsi, depuis l'entrée de Pragma dans son capital en 2007, le groupe Demeco, spécialiste du déménagement, a initié des chantiers encore peu répandus dans le secteur (certification ISO 14001, bilan carbone, formation à l'éco-conduite). Cette stratégie co-élaborée avec Pragma Capital lui a notamment permis de remporter de nouveaux marchés publics (soit plus de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires sur trois ans!).

Ainsi, dans une optique "gagnant-gagnant", de nombreux fonds permettent d'améliorer les résultats opérationnels de leurs entreprises en les incitant à adopter une gestion plus rigoureuse de leur impact social ou environnemental. Au-delà des mises en conformité réglementaires, il peut s'agir d’économies d’énergies, de gestion optimisée des déchets, etc. Comme le montre l'enquête de Novethic, 12% des sociétés de gestion déclarent même avoir été amenées à revoir à la baisse la valorisation d’une entreprise lorsque celle-ci n'était pas jugée suffisamment en phase avec les grands principes d'une démarche ESG. Conséquence positive: les fonds d'investissement assurent désormais le rôle d'actionnaires engagés, en partageant une vision stratégique et responsable du développement de l'entreprise sur le long terme.

Entreprises et sociétés de gestion: objectifs partagés!

Rappelons-le: l'adhésion des sociétés de gestion aux PRI repose sur le volontariat. Mais les premiers retours d'expérience nous montrent qu'ils s'avèrent être gages de performance durable. En effet, en procédant à l'évaluation ESG des entreprises avant la décision d'investissement, les fonds anticipent les risques et améliorent leur performance comme celle des entreprises dans lesquelles ils détiennent des participations. Au final, la mise en oeuvre des PRI permet donc d’améliorer le ratio performance/risque pour l'ensemble des parties prenantes à l'opération.

Enfin, plusieurs observateurs constatent que la mise en oeuvre d'une démarche ESG assure un meilleur climat social au sein des entreprises en portefeuille, ainsi que l'établissement d'une relation de nature partenariale avec les sociétés de gestion. Et les exigences que cela induit sont rarement vécues comme une contrainte supplémentaire. Dirigeants et managers sont les premiers à plébisciter le positionnement "d'interlocuteur durable" de cette nouvelle génération d'actionnaires responsables. C'est aujourd'hui une évidence: le capital investissement joue un rôle crucial dans le soutien à la croissance. Il représente un tremplin rassurant pour les entreprises non cotées, et constitue une alternative providentielle à la frilosité des banques vis-à-vis des PME d'une part, et à la manie spéculative des marchés boursiers d'autre part.

Pour aller plus loin:

Développement durable et capital investissement (AFIC/PWC, décembre 2010)
Pratiques ESG des investisseurs en capital (Novethic, juin 2011)
La norme ISO 26000 sur la RSE (AFNOR)