Daiichi Sankyo, une posture ambitieuse de RSE pharmaceutique

RSE Magazine
21/04/2015


Quelles peuvent être les obligations sociales et morales des entreprises pharmaceutiques au-delà des exigences réglementaires qui encadrent déjà de manière très stricte leur activité ? Comment la dimension interculturelle d’une entreprise affecte-t-elle les pratiques RSE dans un métier aussi spécifique que la pharmaceutique ? C’est pour tenter de répondre à ces questions que nous avons interrogé Franck Telmon, le président de la filiale française de Daiichi Sankyo, le laboratoire japonais spécialiste des maladies cardiovasculaires.



Dans un ouvrage collectif (1) paru en 2007, des chercheurs observaient que l’industrie pharmaceutique, en matière de RSE, "fait face à une surabondance d’exigences économiques et sociales dans tous les aspects de sa gestion". Êtes-vous en phase avec ce postulat ?

C’est en effet une réalité à laquelle nous sommes confrontés : ces exigences sont à la mesure des défis qui sont les nôtres. Les entreprises pharmaceutiques sont guidées par une responsabilité majeure : celle de guérir, de prendre en charge les maux et les souffrances et d’améliorer, plus largement, la qualité de vie des patients. Notre métier est souvent synonyme d’espoir pour eux, il est donc naturel que les attentes soient immenses à notre égard. Mais c’est également un métier qui doit être préservé du mercantilisme. Car si la santé a un coût, en revanche, elle n’a pas de prix.

Dans une interview accordée au magazine Pharmaceutiques, le directeur général de l’ANSM (2), Dominique Martin, évoquait des "obligations de service public" de la part des entreprises du médicament. Comment appréciez-vous cette "assimilation" ?

La santé n’est pas un métier comme un autre. Je suis donc tout à fait d’accord avec l’idée selon laquelle les laboratoires sont investis d’une véritable mission d’intérêt général. J’irai même plus loin : à mon sens, l’industrie pharmaceutique est en France liée à ses parties prenantes – autorités de santé, patients, professionnels de santé, etc. – par un contrat social. Elle fait partie intégrante du parcours de soins du patient et participe, de ce fait, à l’équilibre et à la bonne gouvernance du système de santé français. Cela se traduit concrètement pour les entreprises pharmaceutiques, par la maîtrise du coût du médicament et la recherche de prix « justes », mais aussi par leur contribution à la pharmacovigilance ou leur implication auprès du tissu associatif par exemple. En réalité, nous cherchons à travailler de concert avec les pouvoirs publics et tous les acteurs de la chaîne de santé à l’amélioration continue du système de soins. 

Et ces engagements associatifs, quels sont-ils ?

Daiichi Sankyo France soutient par exemple la Fondation pour la recherche sur l’AVC, sous l’égide de la Fondation pour la Recherche Médicale, ainsi que le Comité Français de Lutte contre l’Hypertension Artérielle dans son action de prévention et de sensibilisation du public. Nous apportons également une aide en médicaments et en matériel médical à l’association TULIPE, qui intervient sur de grandes crises sanitaires, des catastrophes naturelles ou sur le théâtre de certains conflits. Notre siège européen soutient pour sa part Baan Gerda, le projet de village d’enfants pour les orphelins atteints du sida en Thaïlande, ainsi que l’association « Little Hearts », qui vient en aide aux orphelins des pays de l’Est.

De manière générale, Daiichi Sankyo est très engagé auprès de la sphère associative et des professionnels de santé, et nous nous imposons une grande proximité avec les associations de patients et les sociétés savantes (Société Française de cardiologie et Société de néphrologie en particulier).

La RSE est-elle une évidence ou une contrainte pour les laboratoires pharmaceutiques ?

C’est à la fois une évidence et une opportunité. En effet, en se contraignant à formaliser leur politique de RSE, les laboratoires disposent d’un outil d’information du public quant à la réalité de leur engagement sociétal. Longtemps, on a reproché à l’industrie pharmaceutique une certaine opacité, qui s’explique en fait par un encadrement assez strict de leur communication et en tout état de cause, il faut l’admettre, par une faible propension à communiquer. 

Ce nouvel effort de communication des laboratoires n’est-il pas, parfois, instrumentalisé à des fins de social washing ?

Il appartient à chaque entreprise, dans un contexte de défiance, de démontrer la matérialité et la réalité de son engagement sociétal. Le secteur pharmaceutique répond déjà à des normes éthiques très élevées mais Daiichi Sankyo France, par exemple, adhère à Transparency International pour démontrer son volontarisme en matière de compliance, de transparence et d’intégrité.

Êtes-vous partisan d’un meilleur encadrement des pratiques RSE des laboratoires, à l’instar de ce qui se développe dans le domaine de la finance par exemple ?

Le secteur est déjà très encadré, et je serais plutôt partisan de réformes qui libèrent l’esprit d’entreprise pharmaceutique. Notre première responsabilité sociale, c’est de guérir grâce à nos innovations et notre recherche. Pour cela, Daiichi Sankyo consacre près de 20% de son CA à la R&D chaque année pour imaginer et développer de nouvelles thérapeutiques. Cela suppose que nous soyons présents très en amont de la chaîne de valeur, en soutenant la recherche fondamentale dans le domaine cardiovasculaire et oncologique. Le développement d’un médicament est très long et très coûteux, il est essentiel que l’on libère l’initiative en matière de R&D en France. Sur ce sujet, le travail conjoint et en toute transparence avec les autorités est fondamental.

La première responsabilité sociale d’un laboratoire n’est-elle pas la sécurité du médicament ?

Si, bien sûr, mais je profite de votre question pour souligner un antagonisme fort entre les attentes sociétales et les exigences réglementaires. D’un côté, on attend des laboratoires qu’ils découvrent et mettent sur le marché des traitements innovants. De l’autre, on leur impose – ce qui est parfaitement légitime – une forte maîtrise du risque. Nous sommes soumis à des exigences de performance thérapeutique maximale à risque zéro. A nous, malgré cela, de trouver le point d’équilibre entre le service médical rendu pour le plus grand nombre, tout en sensibilisant professionnels de santé et patients sur les effets indésirables qui peuvent survenir généralement chez un faible nombre de patients. 

Vous présidez la filiale d’un grand groupe japonais. Or l’éthique japonaise est réputée pour intégrer une "totalité culturelle", étant ainsi indissociable du mode de vie nippon. Pour vous qui travaillez avec le siège nippon, comment la RSE se décline-t-elle au Japon ?

L’héritage culturel multiséculaire constitue le fondement de l’éthique japonaise, dans une société par essence très unitaire. C’est là un aspect fondamental de la culture japonaise : au Japon, l’opinion publique est la norme. Ne pas tenir compte des exigences sociétales est donc purement inconcevable pour une entreprise japonaise. C’est peut-être ce qui explique, par ailleurs, que des formes précoces de responsabilité sociale apparurent spontanément au sein des entreprises japonaises, à l’ère Meiji, vers la fin du XIXème siècle. La RSE est, au Japon, une évidence. Elle n’a donc pas forcément fait l’objet d’efforts de formalisation aussi poussés qu’en Europe. Mais cela n’empêche pas les entreprises japonaises d’observer le respect de standards internationaux, tels que la norme ISO 26000.

A l’inverse, la France reste fidèle à son image de village gaulois. Comment la tradition éthique japonaise se dilue-t-elle dans le quotidien d’une filiale française ?

Il me semble que les exigences morales japonaises se conjuguent assez bien au pays des Lumières. Je pense notamment que nous avons en commun l’attention portée au management de la qualité, mais aussi le sens du dialogue avec les parties prenantes. A cette différence près qu’en France, le dialogue est toujours un peu plus animé qu’au Japon ! Il est vrai, par ailleurs, que travailler au sein d’un groupe japonais suppose un grand sens de l’intégrité, des responsabilités, du respect et de l’engagement. En contrepartie, on bénéficie d’une autonomie vraiment appréciable. 

Si vous deviez "génériquer" la RSE pharmaceutique en quelques axes ?

A mon sens, il existe plusieurs priorités stratégiques en matière de RSE pharmaceutique auxquelles nous devrons apporter des réponses coordonnées au sein de la filière du médicament. Celles qui me viennent spontanément à l’esprit sont les suivantes : poursuivre nos efforts d’information et de pédagogie auprès des patients et des aidants pour améliorer l’observance (3), et donc l’impact thérapeutique des traitements ; accompagner une dynamique de démocratisation de l’accès aux médicaments ; sécuriser les approvisionnements et lutter efficacement contre le risque de rupture de stocks ; enfin, nous devrons mieux comprendre les enjeux socio-économiques des pathologies et proposer des voies d’accompagnement des aidants familiaux.   Pour terminer - nécessité faisant loi !- je pense que nous prendrons une part de plus en plus active à la lutte anti-contrefaçon dans les années à venir, car la contrefaçon fait encourir un risque majeur pour la santé publique.

(1) Lévy J.-J., Garnier C., La chaîne des médicaments : perspectives pluridisciplinaires, Presses de l’Université du Québec, 2007
(2) Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé
(3) L’observance est le respect par le patient des prescriptions adressées par le médecin 


 

(Source : Daiichi Sankyo Europe)
Franck Telmon est depuis le 6 septembre 2010 le President de Daiichi Sankyo France, Il succède à ce poste à Christian Deleuze, qui a rejoint la présidence de Genzyme France.

Franck Telmon, est docteur en pharmacie et titulaire d'un master en marketing. Il a exercé au sein des laboratoires Rhône-Poulenc Specia, puis Servier et Takeda France avant de rejoindre Eli Lilly France en 1997. Après avoir assumé successivement les fonctions de directeur régional puis de directeur national des ventes, il poursuit son parcours en devenant manager de la business unit ostéoporose, et enfin, en 2007, directeur de la business unit diabète et ostéoporose.