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Max Weber et la légitimité du pouvoir

17/09/2019



La légitimité est la capacité d'une personne ou d'un groupe à faire admettre sa domination, son autorité sur les membres d'une communauté ou d'une société. Max Weber s'est attaché à étudier dans Économie et société mais également dans Le Savant et le Politique, la question de la légitimité du pouvoir. Même si elle fait l’objet de discussion, « les trois types purs de domination légitime » définis par Max Weber et basés sur une structure sociologique de direction et de ressources différentes, demeurent dans ce domaine la référence.



Max Weber
Max Weber
Le texte de Max Weber intitulé "Les trois types purs de la domination légitime", probablement rédigé entre 1917 et 1920, internationalement connu et publié pour la première fois en français dans la revue Sociologie, est un écrit singulier, où se trouve condensée une réflexion sur la domination (Kauffmann, 2014). M. Weber y propose une analyse socio-économique sur trois dominations de type purement légal, traditionnel et charismatique. Il entend ici étudier et comparer la composante administrative, juridique et politique de chaque type de domination. Les questions de légitimités et de maintien de la domination sont alors au cœur de ses analyses. La légitimité renvoie ici aux notions de juste ou d'équitable, et fait référence à une autorité qui est reconnue, acceptée et justifiée.

La domination rationnelle légale

La domination peut être de nature rationnelle légale. Dans ce cas, la légitimité vient du respect de la loi et repose sur la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives. On obéit ici à un ordre impersonnel, objectif, légalement arrêté, et aux supérieurs qu'il désigne, en vertu de la légalité formelle de ses règlements. L’entreprise devient un ensemble unifié, structuré, coordonné par des procédures formelles qui viennent piloter les comportements individuels dans une seule direction : l’intérêt organisationnel. Max Weber imagine ici un mode d’organisation rationnel, fondé sur le droit et les règlements, qui doit rompre avec l’arbitraire et l’utilisation de pratiques professionnelles douteuses ou approximatives. Les notes de services, règles et procédures sont établies par écrit, afin d’éviter les erreurs d’interprétation. Le détenteur légal du pouvoir, lorsqu'il statue ou ordonne, obéit à un cadre clair et objectif par lequel il va orienter ses dispositions et l’imposer aux autres. Le supérieur hiérarchique est en droit d’imposer telle règle ou procédure, de par son statut et sa position hiérarchique au sein de la structure. Cette légitimité n’existe donc que par la nature même de l’organisation dans laquelle elle s’exerce. Cette interdépendance confirme la difficulté de séparer aisément la légitimité organisationnelle de celle du détenteur de l’autorité. Ce type de domination et son corollaire, la bureaucratie ont été vivement critiqués à la fois pour sa rigidité mais aussi pour son caractère déshumanisé.

La domination traditionnelle

La domination peut également être de nature traditionnelle. La légitimité vient alors de l’existence et de la régularité de coutumes et des traditions qui donnent au détenteur de l’autorité un pouvoir que lui confèrent l’histoire, la culture de l’organisation et de ses membres. On lui obéit parce qu’il incarne les valeurs fondatrices de l’organisation et qu’il est le seul à avoir une vue générale. La tradition et ce qui s’y rapporte doivent ici être considérés comme incontestables et immémoriales, issus d’une répétition d’événements consacrés par le temps et inscrits dans une temporalité. L’autorité repose sur la transmission naturelle et continue du pouvoir, conférée via des règles ancestrales, coutumes, habitudes, relations patriarcales ou dynastiques. La légitimité traditionnelle repose sur le caractère obligatoire de la règle coutumière. Dans la société féodale par exemple, on obéit par tradition au roi, au seigneur, au chef de tribu. Les limites de ce type de pouvoir sont définies par la coutume elle-même. Lorsque la coutume n'a pas fixé de limites, le chef possède le pouvoir absolu, étant soumis à ses propres limites (ex : monarchie de droit divin). Mais pour que cette domination soit légitime, le détenteur de l’autorité doit pouvoir être identifié, accepté et reconnu par les membres de l’organisation, en apparaissant comme l’un des leurs, en tant que pair ou supérieur (éléments d’identification d’appartenance). Le détenteur de l’autorité doit dès lors être capable de faire naturellement le lien entre passé, présent, futur (tradition et continuité), afin que sa parole porte et soit considérée comme normale. Pour qu’elle soit légitime, la domination traditionnelle doit reposer sur des fondements psychologiques forts, capables de relier le détenteur de l’autorité à ses subordonnées: la conviction profonde que l'usage répété constitue une règle de droit, la croyance forte au caractère obligatoire de l'acte et un consensus  autour de cet acte. Lorsque l’une de ces conditions s’efface, le risque est alors grand que le pouvoir vacille sous la pression des subordonnés.

La domination charismatique

La domination peut aussi être charismatique. Le charisme au sens de Max Weber désigne une qualité considérée comme extra-quotidienne au nom de laquelle une personnalité est regardée comme un « chef” ». Le charisme est donc fondé sur une relation sociale entre un porteur de charisme et des fidèles qui croient au charisme. Cette qualité est attribuée par les adeptes de l’autorité charismatique et revendiquée par ce dernier. Une relation sociale se crée donc dans laquelle la position du dirigeant, la domination exercée et la forme d’obéissance possèdent un caractère spécifique. Cette relation va bien au-delà des qualités personnelles du chef. Elle s’inscrit dans le cadre de relations sociales structurées entre un chef et ses adeptes. Le dirigeant revendique l’autorité suprême (mission), le disciple accepte l’obéissance comme un devoir. Le charismatique doit avoir la volonté de revendiquer l’autorité suprême, et celui qui le suit doit vouloir se soumettre. Du point de vue du contenu, le charismatique impose « de nouveaux commandements » qui font disparaître les standards normatifs (règlements, principes...). Il se crée lui-même une position de dirigeant qui, d’un point de vue qualitatif, est différent d’autres positions de direction. Plus la domination est charismatique, moins celle-ci peut autoriser des règles normatives. Ce type de relations conduit à créer une « communautarisation émotionnelle », dont la cohésion est liée à l’attachement personnel au chef. Il n’existe pas ici de processus de décision collectifs, de hiérarchie fiable ou de procédures permanentes. Des interventions ad hoc et des autorisations données de manière non coordonnée par le porteur de charisme, régissent la structure interne du groupement. Le fait déterminant est que la structure corresponde aux caractéristiques d’un groupement charismatique. La domination charismatique tire le fondement de sa légitimité de la croyance dans le caractère exceptionnel du dirigeant et des obligations que les membres du groupement doivent remplir vis-à-vis de ce dernier. Si le charisme disparaît, la relation charismatique se dissout complètement. Le charisme fait alors place à nouveau à des structures de comportement institutionnalisées. La contrainte de confirmation est donc primordiale dans l’exercice du pouvoir charismatique. Celui-ci doit réussir à garantir durablement la perception de sa confirmation auprès de ses adeptes, s’il veut continuer à exercer son pouvoir.

Conclusion

A travers cette typologie, M. Weber nous renseigne sur les différentes sources de légitimités du pouvoir, les compétences qui y sont attribuées et leurs conséquences en termes de management (direction administrative). Mais il nous éclaire aussi sur leurs limites et fragilités. Ces travaux montrent que toute forme de pouvoir peut en fonction du contexte ou des situations, être contestée, voire renversée, faute de légitimité. En effet, la rationalité, la tradition et le charisme sont des vecteurs incontestables de domination, à condition qu’ils continuent d’être approuvés, reconnus et justifiés par ceux qui acceptent cette soumission.

Pour aller plus loin

Weber M., Economie et société, collection Agora, Plon, 2003.
Weber M., Le savant et le politique, Plon, 1995.
Meier O., "L'apport des sciences sociales dans le champ de la gestion", Cahier DRM, 2016. Meier O., "Analyse de la réorganisation d'une entreprise après un changement: nature des légitimités et conséquences, Revue des Sciences de Gestion, n°205, p.39-50, 2004.
Meier O., Gestion du changement,  en coll., Editions Dunod, 2007.
Meier O., Les leçons d'un échec, Revue Française de Gestion, n° 131, p.129-135.
Meier O., Angot J., "« Les problèmes de légitimités au sein d’un mode d’organisation non hiérarchique »,VIIe Conférence de l’AIMS, 1998.
Meier O., "L’articulation Droit -Gestion - Sociologie", Séminaire FMSH, 2015.
Meier O., Barabel M., Manageor, Editions Dunod, 3ème éd., 2015.

Note:








1.Posté par Bohen le 31/01/2020 00:59
Weber fait un constat en trois points sur les motifs d'adhésion au pouvoir mais en aucun cas il ne traduit ou fonde la légitimité d'une forme de domination ou d'une autre et pour cause: c'est impossible, aucune domination n'est ontologiquement justifiée.
Que ses textes servent de prétexte à préserver ses attributs régaliens archaïques à une république décadente est une sombre plaisanterie.

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