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Concessions d’autoroutes : débat autour du modèle de gouvernance des partenariats public-privé

18/09/2020



La commission d'enquête sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières vient de rendre un rapport qui, s’il établit le caractère perfectible du système en place, n’en remet pas fondamentalement en question le bien-fondé ni l’utilité publique. Le système des concessions autoroutières permet en effet de faire peser sur la partie privée l’entièreté du risque lié au développement d’une autoroute, tout en garantissant à l’État des revenus fiscaux réguliers et la rétrocession de l’ouvrage en fin de contrat. La fin prochaine des concessions historiques pose la question du futur modèle de gestion qui sera adopté.




La concession, une délégation de service public particulièrement avantageuse pour l’État

En France, 87% des transports se font par la route. Chaque année, 97 milliards de km sont parcourus sur les 9 184 km d’autoroutes et ouvrages à péages, gérés par 19 sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA). 3 grands acteurs se répartissent les concessions : les français Vinci et Eiffage et l’espagnol Abertis. 
 
Dans le temps long des infrastructures, la fin prochaine des concessions autoroutières historiques (qui prendront fin entre 2031 et 2036) ouvre la perspective à la restitution à l’État des autoroutes concédées. Alors secrétaire d’État aux transports (aujourd’hui ministre délégué), Jean-Baptiste Djebarri a ainsi annoncé en novembre 2019  que toutes les options – renouvellement aux mêmes conditions, à des conditions nouvelles, nouveau mode de gestion des autoroutes – étaient ouvertes. 
 
La concession est un modèle de délégation de service public dans lequel les risques financiers – construction, exploitation, fréquentation – reposent sur la partie privée. Pour l’État, le système est particulièrement avantageux. Il permet en effet de développer des infrastructures majeures et essentielles pour l’aménagement du territoire sans grever les finances publiques. Tout aléa financier qui apparaîtrait au cours d’un projet autoroutier – dépassement du coût de construction, hausse des coûts d’exploitation, baisse du trafic autoroutier – est donc à la charge du concessionnaire. 
 
Un risque loin d’être hypothétique : suite à la crise financière de 2008, le trafic des poids lourds – qui représente 12% du trafic et 33% des recettes  – a mis 10 ans à retrouver son niveau de 2007. Et d’après un rapport de l’Autorité de régulation des transports (ART) de juillet 2020, les résultats des SCA pour l’année 2020 « seront fortement impactés par les conséquences de la crise sanitaire ». Les autoroutes gérées par Vinci Autoroutes, l’une des 19 SCA, ont ainsi vu leur fréquentation baisser de 80%

Un coût d’utilisation juste, négocié avec l’État et à la charge des seuls utilisateurs

En contrepartie des risques pris, l’autorité concédante autorise les SCA à se rémunérer via un système de péage. A ce stade encore, plus de 40% du prix du ticket de péage revient à l’État via divers impôts et taxes : redevances domaniales, taxes d’aménagement sur le territoire, impôt sur les sociétés, TVA. Avec un chiffre d’affaires à plus de 10 milliards d’euros  pour les SCA en 2018, ce sont plus de 4 milliards d’euros qui tombent dans les caisses de l’État chaque année. En résumé, la puissance publique n’avance rien, se rémunère sur le prix du ticket de péage, et récupère à la fin de la concession un ouvrage entièrement développé et maintenu en bon état. 
 
Les critiques adressées au système des concessions autoroutières se cristallisent sur deux aspects. En premier lieu, l’augmentation régulière des tarifs des péages, qui feraient peser sur les usagers un coût d’utilisation non proportionnel avec le risque financier pris par les SCA. En corollaire, les bénéfices réalisés par les SCA, révélateurs d’un enrichissement indu au détriment à la fois des usagers et de l’État. Les chiffres contredisent néanmoins ces critiques dans les deux cas.
 
Tout d’abord, la fixation des prix des péages fait l’objet d’un calcul très précis, publié sur le site de l’Autorité de régulation des transports (ART) le 1er février de chaque nouvelle année. Pour les autoroutes préexistant à la privatisation, l’augmentation ne peut ainsi excéder 70% de l’inflation de l’année précédente. Pour les autoroutes plus récentes, le calcul intègre également l’indice des prix et les coûts des travaux. Ces tarifs peuvent toutefois être augmentés via des compléments tarifaires, également encadrés et destinés à couvrir les coûts des investissements supplémentaires demandés par l’État – comme les 3,2 milliards d’euros d’investissement demandés par l’État  en 2015. Dans les faits, les péages ont moins augmenté depuis la privatisation des SCA en 2006 qu’au cours des périodes précédentes : 1,5% en moyenne entre 2007 et 2019, contre 2,06% en moyenne entre 2001 et 2006. Au 1er février 2020, l’augmentation a été contenue en moyenne à 0,90% par rapport à 2019.
 
L’accusation d’enrichissement indu des SCA est également démentie par les chiffres. Dans une audition au Sénat en septembre 2014, le président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, fustigeait la « rentabilité exceptionnelle des sociétés concessionnaires d’autoroutes, qui ne nous paraît justifiée ni par le risque propre à leur activité, ni par l’évolution de leurs charges, ni même par le poids de leur dette. » Le rapport quinquennal de l’ART précité donne à voir une autre réalité. Le taux de rentabilité interne (TRI) des SCA sur la période 2017 – 2019 a été évalué à 7,8% pour les concessions historiques et 6,4% pour les concessions récentes. Un chiffre loin d’être exorbitant, et dans la fourchette du TRI recherché par la Caisse des dépôts et consignations  dans ses investissements touristiques. L’ART met d’ailleurs en garde contre la difficulté à calculer un TRI en cours d’exécution de mission, alors que celui-ci doit s’évaluer sur le temps long de la concession – et rappelle qu’en 2020, les résultats des SCA seront « fortement impactés par les conséquences de la crise sanitaire. » Les bénéfices des SCA, qui ne pourront être évalués avec précision qu’en fin de concession, sont la juste contrepartie aux risques financiers engagés. 
 
Du point de vue de l’utilisateur enfin, le péage est la contrepartie payée par l’usager au service rendu par le concessionnaire. Le système de concession relève ainsi d’une forme de justice fiscale. Seuls les usagers des autoroutes payent, qu’ils soient d’ailleurs français ou étrangers. Supprimer les péages ne rendrait pas les autoroutes gratuites, mais ferait peser le coût de leur construction, exploitation et entretien sur la collectivité – donc sur l’impôt. Et la fin du système de concession ne signifierait pas pour autant la fin des péages. 
 
In fine, il semble que la remise en cause du système de concession autoroutière tienne plus à des raisons idéologiques qu’à des raisons financières. Si des ajustements doivent être faits à intervalles réguliers pour garantir l’équilibre délicat des intérêts entre État, SCA et utilisateurs, la remise en cause du système dans son ensemble repose sur une méconnaissance des mécanismes garantissant à l’État l’efficacité de sa politique publique d’aménagement du réseau autoroutier. 
 
La commission d’enquête du Sénat sur les concessions autoroutières, dont la création remonte à janvier 2020, précisait d’ailleurs se focaliser sur le mode de gestion du domaine public autoroutier « et non sur des faits déterminés ». Difficile en effet, au vu des faits, de trouver un mode de gestion des autoroutes plus efficient que le système de la concession. 






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