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Philippe Schleiter: "Les managers hésitent à porter de vraies visions"

L'auteur publie "Management: le grand retour du réel"

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23/11/2017



Philippe Schleiter publie, chez VA Editions, un ouvrage à travers lequel il rejette l’idée selon laquelle le bonheur en entreprise est synonyme de confort. Au contraire, accomplissement et épanouissement individuel proviendraient selon lui de la capacité du collectif à surmonter les épreuves, mu par un sens partagé et des valeurs portées par des managers combatifs et exemplaires. Une vision du management ancrée dans le réel, en somme, qui tranche avec les courants les plus "mainstream" prônant une approche égocentrée du bonheur au travail.



Vous cumulez plus de 15 ans d’expérience dans le conseil en management, au contact de dirigeants que vous rejoignez parfois dans la tempête. Quelle vision de l’Homme y avez-vous développé ?

Je n’ai pas tout connu, loin de là. Mais je n’ai pas d’exemple de dirigeant ou d’équipe dirigeante pour laquelle le courage de dire la vérité et de se battre, même sur les infimes marges de manœuvre qui étaient les siennes, n’ait pas payé. Si l’homme se contentait du bonheur et de son confort, il n’aurait ni construit des cathédrales, ni exploré la planète, ni enduré les souffrances inouïes de la guerre. L’homme veut que sa vie en vaille la peine. Il est prêt à beaucoup endurer pour avoir cela ; et il a surtout besoin d’un chef pour le lui révéler. Peut-être sans l’aimer, il le respectera pour cela.

Philippe Schleiter, auteur de "Management, le grand retour du réel"
Philippe Schleiter, auteur de "Management, le grand retour du réel"

Vous dressez un réquisitoire sans concessions à l’encontre des théoriciens du « maternalisme » en entreprise. Doit-on y voir une forme de cynisme ? Un coup de gueule, peut-être ?

Entre une tradition de l’égalitarisme forcené hérité de 1789 et le mépris atavique des élites d’Etat pour la chose économique, la France est mal servie dans son rapport avec le travail, qui doit être compris comme une souffrance, avec des patrons et des entreprises égoïstes, des petits managers carriéristes et, horresco referens, des transformations qui, pour réussir doivent sortir de phases de deuil. Foutaises que tout cela ! Je pense le démontrer assez précisément dans mon livre. Le héros n’est un héros que parce qu’il y a un gros méchant dragon à trucider avant d’aller délivrer la belle princesse aux tresses blondes. Sinon, ça s’appelle l’école des fans. C’est sympa, c’est bien pour les enfants, mais ce n’est pas cela qui nourrit les métiers des hommes. 

Vous décrivez l'entreprise comme « le laboratoire du réarmement moral » dont notre société a besoin. En quelques mots, quelles sont ces nouvelles valeurs que vous prônez dans votre ouvrage ?

D’abord le long terme, qui suppose aussi le dépassement de soi et sa propre projection dans un avenir qui nous échappera mais pour lequel on veut peser. Ensuite l’enracinement, dans une histoire, un territoire, une tradition de métier, qu’importe. Il n’y a pas que les arbres qui ont besoin de racines. On emmène avec soi un collectif parce qu’on lui permet d’écrire un nouveau chapitre de son histoire qu’il puisse comprendre, dans lequel il puisse se retrouver et dont il perçoit des bénéfices. Enfin, du collectif. L’entreprise reste avant tout une aventure humaine, celle du faire avec, du faire ensemble, celle aussi de la sociabilité, de la transmission et de l’apprentissage.

Pour vous, un bon manager ne peut se contenter d'un projet pour dynamiser son équipe, il a besoin d'une vision. Quelle est la différence entre le projet et la vision ?

Pour faire simple, disons que le projet est une solution technique, parfaitement légitime et adaptée à la réalisation des objectifs, à l’anticipation d’une menace ou d’opportunités. La Vision est la représentation, pour le collectif concerné, de ce que permettra d’atteindre la réussite du projet en question. En gros, ce sont les raisons – un minimum crédibles, sans quoi pas d’adhésion, mais pourquoi pas aussi un peu utopique, car l’homme a soif d’absolu – pour lesquelles on va être prêts, collectivement, à souffrir un peu. C’est pour cela que beaucoup de managers hésitent à porter de vraies visions, au-delà des gimmicks de comm qui ne font plus bouger que des haussements d’épaules ou de sourcil. Car la vision vous expose. Le projet, lui, est indiscutable, légitime et généralement techniquement inattaquable. Mais personne ne se mobilise pour un projet.

Vous développez une approche sociodynamique du monde de l’entreprise, pour ne pas dire anthropologique. Une vision d'entreprise doit-elle s'enraciner dans une vision de l'Homme ?

Ce que nous enseigne la sociodynamique, c’est la force du crédit d’intention. Tout acteur est capable d’engagement solidaire pourvu que lui soit révélé un projet inscrit dans une vision, qu’il ait un minimum d’espace pour exprimer ses conditions d’adhésion, ainsi qu’une dynamique pour être associé, à la mesure de la vitesse de son engagement, à ce projet. Ce qui est beau avec la sociodynamique c’est qu’elle envoie valser les étiquettes avec un bonheur parfait. Les alliés, pas plus que les opposants, ne sont jamais forcément où on le croit. Tout le monde peut se rallier au projet. Mais attention, pas d’angélisme ! La sociodynamique c’est aussi une stratégie des alliés impitoyable pour la réussite du projet. D’où la nécessité d’avoir une tactique de conduite de transformation bien plus souple et subtile que la conduite de projet  du triptyque diagnostic – communication – formation que mènent bien des cabinets auto-proclamés spécialistes de la conduite du changement …

Comment inverser les rapports marché-entreprise, et concevoir le marché au service de l'entreprise et des hommes et des femmes qui la constituent ?

Cette question dépasse mon champ d’action. Ce que je sais, c’est que le marché est un facteur d’incertitude parmi d’autres. Qu’il convient donc au dirigeant d’en accepter les règles, les contraintes, et d’être lucide pour ses collaborateurs. La question que vous posez est une question pour les dirigeants du pays. Autant je souhaite que les managers prennent plus la parole dans la vie de la cité (et pas simplement par la voix éraillée de leurs syndicats), autant je souhaite rendre à César ce qui est à César et les questions de choix de modèle de société à ceux qui ont clairement obtenu un mandat pour y réfléchir et trancher.

Vous récusez l'idée selon laquelle la nouvelle génération a perdu le sens de l'engagement et vous affirmez que le goût de l'engagement peut lui être donné à condition de la stimuler avec une vraie liberté, et des expériences exaltantes. N’est-ce pas en contradiction avec votre plaidoyer en faveur du « retour des chefs » ?

On cite l’exemple des enfants de divorcés qui sont, d’après les enquêtes, les plus attentifs à limiter le nomadisme affectif pour stabiliser leur famille. Pour la génération Y c’est pareil. Elle a trop vu combien les organisations soi-disant modernes et sans chefs (le mode projet, le matriciel, …) pouvaient être aussi pénibles que l’organisation hiérarchique, avec en plus le défaut de n’avoir aucun vrai arbitre pour cesser le carnage. Je montre aussi que ces populations, partout en Europe, se déterminent plutôt pour des partis d’ordre et de tradition. Les jeunes générations ne croient plus aux mirages. Elles ont compris exactement à quoi sert un chef, jusqu’où il est utile – et donc nécessaire – et à partir de quand il ne l’est plus.

Pour vous, la génération Y est en grande partie une construction sociologique, un « truc de journaliste »… Être né avec Internet dans la poche n'a-t-il pas une incidence sur les capacités cognitives et le rapport de cette génération au travail ?

Evidemment, le numérique remet en cause une partie des habitudes de travail, notamment sur la question des temps et des lieux. Mais mon expérience de consultant et d’employeur (j’ai recruté en 10 ans une bonne centaine de millenials filles et garçons) me montre que l’engagement, l’acceptation ou le refus de telle ou telle charge de travail, la décision de bien vouloir collaborer astucieusement et généreusement avec d’autres pratiques professionnelles que les siennes, tout cela reste lié à l’envie qu’on a – ou pas – de se retrouver membre d’une même communauté solidairement engagée dans la quête d’un objet de valeur qui donne du sens et donne envie. Je crois ces dimensions foncièrement intemporelles. Ce n’est pas un hasard si elles sont présentes dans toutes les mythologies européennes et ont fécondé, depuis les Chevaliers de la Table Ronde jusqu’au Seigneur des Anneaux, presque trois millénaires de culture !

 

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