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Joseph Schumpeter ou la destruction créatrice

05/02/2020



Joseph Schumpeter dans son livre Capitalisme, Socialisme et Démocratie (1942) met en lumière le concept de « destruction créatrice ». Selon cette vision, l’innovation est la force motrice de la croissance économique sur le long terme. Pour cet économiste, l’innovation étant systémique, elle redéfinit en permanence les dynamiques économiques. Le système capitaliste n’est donc jamais stationnaire. Il ne pourra d’ailleurs jamais le devenir.



Joseph Schumpeter (CC/Wikimedia)
Joseph Schumpeter (CC/Wikimedia)

Qu’entend-on par « destruction créatrice » ?

La « destruction créatrice » désigne le processus  des économies, qui voit se produire de façon simultanée la disparition d’industries et la création de nouvelles, à l’image d’un « ouragan perpétuel ».

La croissance est donc un processus de création, de destruction et de restructuration des activités économiques (régénération du système).

Pour J. Schumpeter, ce mouvement constitue la donnée fondamentale du capitalisme, même s'il n'en garantit pas sa survie.

Dans un contexte d’innovations (nouveaux objets de consommation, nouvelles méthodes de production et de transport, nouveaux marchés, nouveaux types d'organisation industrielle), les profits des entreprises les moins innovantes chutent. Les avantages concurrentiels traditionnels sont rendus obsolètes et les entreprises qui en bénéficiaient précédemment sont dépassées. Le processus de création a donc un coût. De grandes firmes même réputées et solidement établies peuvent voir leurs marges se réduire et leur domination disparaître, avec l’émergence de rivaux plus innovants, ayant des produits ou services de conception supérieure, dotés d'un meilleur design ou de coûts de fabrication très inférieurs. Des innovations par grappes vont émerger, conférant aux entrepreneurs innovateurs de nouvelles situations de monopole, sources de profits importants. Ce n’est donc pas la destruction qui porte la création de richesse, mais les innovations qui engendrent ce double mouvement et participent à la dynamique du capitalisme.

La question de l’innovation

L'innovation est à la fois source de croissance (recherche & développement, renouvellement des structures de production, progrès technique, internationalisation des activités) et facteur de crise (obsolescence des anciennes innovations, disparition des industries traditionnelles, augmentation du chômage). C'est ce que Schumpeter résume par la formule « destruction créatrice ». Les crises ne sont pas des accidents. Elles font partie  de la logique interne du capitalisme. Elles sont de ce fait salutaires et nécessaires au progrès économique (régénération du système). Elles sont un signe d’adaptation du système au changement. Le mouvement « destruction-création » obéit à cette logique et fonctionne par phases (cycle économique). Les innovations radicales ou majeures arrivent souvent au creux de la vague dépressionniste, dans la mesure où la crise bouscule les positions acquises. La crise ouvre ainsi la voie à de nouvelles idées, à de nouvelles opportunités. Inversement, en situation de stabilité économique, l'ordre économique et social freine les initiatives, ce qui limite le flux des innovations et donc prépare le terrain pour une phase de récession, puis de crise. Mais pour J. Schumpeter, la logique "destruction-innovation" ne peut être permanente, ce qui  tend à remettre en cause la durabilité du système capitaliste.

L'entrepreneur innovaeur

Dans la théorie de Schumpeter, l'entrepreneur innovateur est l’agent économique indispensable au fonctionnement du système.

C’est en effet grâce à un « entrepreneur innovateur » que la dynamique économique peut s’opérer à travers des progrès aussi bien quantitatifs (augmentation du niveau de production) que qualitatifs (amélioration technique des produits et services). L’entrepreneur est donc l’acteur fondamental de la croissance économique. Il a une forte tolérance aux risques et est à la recherche permanente du profit maximal. L’innovation lui permettra ainsi d’obtenir un monopole temporaire sur le marché, ce qui lui permettra dans une période donnée, être le seul agent susceptible de tirer parti de son innovation.

Généré par l’innovation, cet entrepreneur va par conséquent agir comme une incitation à prendre des risques et à explorer de nouvelles pratiques. Sans son apport (imagination créatrice), tout système économique s'enlise et limite le développement des activités. Mais, comme le souligne l’économiste, il arrive un moment, où le progrès technique devient l'affaire de spécialistes, et le travail de l'expert remplace celui de l'innovateur. L'innovation fait alors place à la routine.

Conclusion

Pour Joseph Schumpeter, le capitalisme n’est pas seulement un processus d’évolution ou de transformation mais la résultante d’un double mouvement passager de destruction et de révolution. Ce paradoxe qui fait de la richesse une affaire non pas d’accumulation mais de destruction, d’obsolescence programmée, obéit à une logique économique qui se fait au prix d’externalités négatives nombreuses. Cette vision d’un capitalisme dynamique et systémique (même temporaire) trouve sa pertinence dans l’idée de cycles, avec des phases permanentes de croissance et de récession, autour de transformations radicales et durables. Selon cette perspective, le déséquilibre constitue le mode de fonctionnement normal de l'économie Elle met au centre du jeu, l'initiative individuelle, la capacité d'innovation, la compétitivité des entreprises et la complémentarité entre l’entrepreneur innovateur et le système bancaire (financement de l’innovation).

Face au développement de nouvelles grappes d’innovations (économie du numérique et de l’immatériel), une relecture des travaux schumpétériens peut s’avérer utile, pour mieux saisir les bouleversements liés à la mondialisation, la crise écologique et au développement technologique. Ces facteurs confortent l’idée de « dynamique économique », où la croissance est indissociable des phénomènes de retournements ou de crises, et montrent par là même les limites du modèle de l’équilibre général de Walras.

Pour aller plus loin

Schumpeter, J., Théorie de l’évolution économique (1911), édition originale, Dalloz-Sirey, 1935. Schumpeter, J., Capitalisme, Socialisme et démocratie (1942), édition originale, Payot, 1979. Schumpeter, J., Histoire de l’analyse économique (1954), tome 1, L’âge des fondateurs, Gallimard, 1983.
Schumpeter J., Histoire de l’analyse économique (1954), tome 2, L’âge classique, édition originale, Gallimard, 1983.
Schumpeter, J., Histoire de l’analyse économique (1954), tome 3, L’âge de la science, Paris, édition originale, Gallimard, 1983.
Schumpeter J., Théorie de la monnaie et de la banque - Tomes 1 et 2, Éd. l'Harmattan, 2005. Walras, L., Études d’économie politique appliquée (1898), édition originale, Economica, 1992.

Note:








1.Posté par Guien Jeanne le 09/04/2020 09:53
Bonjour,
cet article ne présente pas les thèses de Schumpeter mais les thèses de ses successeurs, qui se réclament de lui mais sont très sélectives. Pour exposer fidèlement la pensée de Schumpeter, il faudrait encore préciser que, selon lui, la dynamique innovation/destruction n'est pas "permanente" mais aboutit à l'effondrement du capitalisme. Cela parce que "l'entrepreneur" cesse progressivement d'innover, au fur et à mesure que son statut se professionalise au sein de l'entreprise ; il devient alors un gestionnaire, spectateur d'une obsolescence mécaniquement reproduite. Dans un contexte capitaliste, ce que Schumpeter appelle l'esprit d'innovation s'auto-détruit.
Cf la citation ci dessous, tirée de Capitalisme, Socialisme et Démocratie.
Bien cordialement,
Jeanne Guien

"l’innovation elle-même est en voie d’être ramenée à une routine. Le progrès technique devient toujours davantage l’affaire d’équipes de spécialistes entraînés qui travaillent sur commande et dont les méthodes leur permettent de prévoir les résultats pratiques de leur recherche. Au romantisme des aventures commerciales d’antan succède rapidement le prosaïsme, en notre temps où il est devenu possible de soumettre à un calcul strict tant de choses qui naguère devaient être entrevues dans un éclair d’intuition générale.
D’autre part, la personnalité et la force de volonté doivent nécessairement peser moins lourd dans des milieux qui sont habitués au changement économique – spécialement caractérisé par un flux incessant de nouveaux biens de consommation et de production – et qui, loin d’y résister, l’accueillent tout naturellement. Certes, tant que subsistera le régime capitaliste, il n’y a aucune chance pour que se relâchent les résistances provenant des intérêts menacés par les innovations apportées aux processus de production. […] Cependant, toutes les autres formes de résistance – celle, notamment, opposée par les producteurs et consommateurs à un nouveau produit pour la seule raison qu’il est nouveau – ont déjà quasiment disparu.
Ainsi, le progrès économique tend à se dépersonnaliser et à s’automatiser. Le travail des bureaux et des commissions tend à se substituer à l’action individuelle." (Schumpeter, Capitalisme socialisme et démocratie, éd. Payot, 1969, p. 187-8)

2.Posté par Pierre Morin le 09/04/2020 20:36
Merci pour ce travail fouillé ô combien d'actualité.
Un bel article.

Pierre Morin

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