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Le devoir d’impartialité : une philosophie de la connaissance

Tribune de Maurice Quindt, enseignant
06/02/2013



La transmission du savoir et la diffusion d’informations placent les professionnels concernés face à une responsabilité sociale qui implique le respect de règles éthiques et une objectivité accrue concernant les contenus transmis. Certaines professions emblématiques de la connaissance comme les métiers du journalisme, de l’édition ou celui d’historien par exemple sont particulièrement concernées par ces valeurs qui font partie intégrante de leurs missions pour garantir une certaine impartialité.



Le devoir d’impartialité : une philosophie de la connaissance
L’objectivité est issue du concept d’objectivité scientifique. Elle se réfère en premier lieu à une méthodologie de travail rigoureuse, élaboré dans le champ de recherche des sciences naturelles et tire son essence de l’extraction de l’émotivité.
 
Dans les métiers du journalisme, l’objectivité se conceptualise débute dès les années 20, mais ce n’est que vers les années 30 que l’«idéologie du journalisme objectif a pris racine» comme le précise le journaliste Clifford Christians. Deux textes encadrent ce mouvement et définissent des règles fondées sur des principes de responsabilité sociale et de véracité, rédigés dans l’intention de ne pas tromper les lecteurs. Ainsi, la Charte européenne des devoirs et des droits des journalistes de 1971 note dans son préambule que « la responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime sur toute autre responsabilité...». Le journaliste est donc investi d’un devoir d’objectivité et d’impartialité et il se doit d’accueillir, de vérifier, mettre en forme et diffuser l'information selon le respect de ces règles déontologiques. Une dernière révision datée de 2011 renforce cette idée en précisant que le journaliste «tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité pour les piliers de l’action journalistique».
 
Ainsi les nouvelles doivent être diffusées sans omettre les divers aspects d’une situation. Or si elles imposent d’aller chercher la version opposée, il est toutefois impossible d’avoir une connaissance pleine de la réalité.
 
De plus, si l’on prend en compte la dimension psychologique, la réalité s’appréhende en fonction de la subjectivité de chacun. Tout ceci contribue à fragiliser l’impartialité du journaliste, même quand son travail s’inscrit dans un certain cadre conceptuel. Boudon précise en 1986 que « la connaissance sociale serait le fait non pas d’acteurs désincarnés capables de contempler la réalité comme de l’extérieur, mais, au contraire, d’acteurs socialement situés, c’est-à-dire caractérisés par une position et par des dispositions. De par leur position, ces acteurs peuvent percevoir la réalité plutôt sous un jour que sous un autre. De par leurs dispositions, même s’ils ont la même position, ils interpréteront - ou du moins pourront dans certains cas interpréter - la même réalité de manière différente».
 
L’objectivité est également visée par les pratiques d‘écriture des journalistes. Identiques pour tous, cela ne veut pas dire cependant que le produit de ces procédures relatives à la production de l’information sera, lui, objectif.
 
Enfin, en avril dernier, Stephen Ward de Media Morals, de son côté, définissait l’impartialité comme le fait de pouvoir croire suffisamment en la recherche de la vérité pour ne pas décider de la fin de l’histoire avant la fin de l’enquête, et d’être prêt à prendre du recul critique face à ses propres croyances pour apprendre des autres et creuser chacun des faits.
 
Ainsi, si cette recherche de neutralité préoccupe et fait partie intégrante des devoirs des journalistes, qu’elle est sans cesse interrogée, c’est parce que les enjeux sont parfois considérables. Par exemple, comment rester à l’écart ses convictions politiques lors de la diffusion de l’information pendant une campagne présidentielle? En témoigne un sondage réalisé en France en mai dernier qui relatait que 80% des journalistes votaient à gauche. Après observation de ses collègues français, une journaliste belge révèle leur supposé parti pris en faveur de F. Hollande. Par exemple, les estimations ont maintenu pendant un certain temps un écart important entre les deux candidats, à l’annonce des résultats du premier tour. Ces possibles dérives ont été évoquées également dans le choix de photos désavantageuses pour le Président sortant...
 
Dans le domaine éducatif, la transmission des savoirs par les livres est également soumise à un devoir d’impartialité avec des spécificités qui lui sont propres et inscrit son action dans un cadre éthique qui appartient à chacun. Ainsi, pour garantir une certaine qualité des connaissances qu’elles éditent, les maisons d’éditions sont investies d’une responsabilité qui leur est propre et chacune est amenée à développer sa culture de groupe pour choisir et contrôler les contenus délivrés dans leurs ouvrages. C'est, en l'occurrence, le cheval de bataille revendiqué par Arnaud Nourry qui, à la tête du groupe Hachette Livre, a entrepris de positionner le métier d'éditeur en tant que certificateur des connaissances qu'il véhicule. En 2011, il s'interrogeait en ces termes: "Quoi de plus simple que de monter un manuscrit sur internet, de partager un texte écrit à la va-vite, des notes de cours, ou encore le scan d’un livre ancien ? Partout dans le monde, nous assistons à l’émergence d’une profusion de site de partages de fichier". Le numérique a manifestement bouleversé notre rapport à l'information, et c'est en ceci que le travail de l'éditeur demeure un repère, voire un gage d'impartialité à l'ère du "tweet à-tout-va": "Notre métier de passeur, de pourvoyeur de repères, de donneur de sens, de créateurs d’objets est irremplaçable, particulièrement dans ce monde qui s’enivre de SMS, de tweets et d’instantanés", insiste Arnaud Nourry.
 
Autre débat induit par ce questionnement, enfin, en matière de transmission des savoirs: l’historien est-il capable de faire abstraction des influences du présent et de son point de vue afin qu’elles ne viennent pas orienter son interprétation du passé? Se référer à l’objectivité scientifique dans ce champ d’activité, impliquerait que l’on exige de l’historien qu’il demeure exact, impartial et objectif face aux événements dont il reconstitue l’enchaînement. Or cette exigence d’expliquer les phénomènes en sciences à partir de leurs causes ne trouve pas forcément son équivalent en histoire. en effet, l’histoire est complexe et ne se réduit pas à un catalogue d’événements constatés. Il s’agit plutôt d’une discipline qui analyse les processus de conduites humaines et les explique.
 
L’historien H . Marrou précise que la «vérité historique est élaborée». Paul Ricoeur quant à lui parle d’une «subjectivité de réflexion». Ainsi, face à des événements, l’historien se pose la question de l’intention qui les a motivés avant d’interpréter, en évitant de se soumettre aux caprices ou aux lubies de sa subjectivité. Pour cela, il se soumet à une méthode rigoureuse, par exemple authentifier les documents utilisés, multiplier et comparer les sources... Cela permet à l’historien d’organiser l’analyse et sa part interprétative tout en maintenant l’impartialité pour pouvoir tisser des liens entre le passé et le présent. L’objectivité porte donc sur les faits et les dates tandis que le but visé est d’en saisir le sens, et comme le précise Paul Ricoeur, l’histoire est donc une discipline qui contient une nécessaire «qualité de subjectivité».
 
Le devoir d’impartialité reste donc au coeur des préoccupations des métiers de la connaissance, investis et conscient de leur responsabilité sociale. Son application reste fragile car elle n’est pas conceptualisée par un cadre juridique mais s’apprécie en fonction des sensibilités de chacun des acteurs concernés. Cela nécessite une réflexion et un repositionnement permanents. 






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