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Réinsertion sociale et professionnelle, l’association Aurore se mobilise depuis 150 ans. Interview de son président Pierre Coppey

La Rédaction
22/02/2021



L’association Aurore est présente dans le paysage social français depuis un siècle et demi. Une mobilisation historique qui se perpétue avec une énergie particulière sous la houlette de son président Pierre Coppey. Entretien avec un homme pour qui la responsabilité sociale n’est pas un vain mot.



Quelle est l’origine de votre engagement en faveur de l’association Aurore que vous présidez depuis 2000 ? 
 
Lorsque j’étais étudiant, j’ai travaillé comme bénévole à l’accueil des sortants de prison libérés par l’amnistie présidentielle de 1988. L’Association Aurore m’avait aidé à monter un stage de réinsertion en alternance adapté aux besoins de formation des détenus.
Nous sommes restés en relation. Puis je suis entré au Conseil d’Administration d’Aurore et quelques années plus tard, le Conseil m’a demandé de prendre sa Présidence.
J’ai alors recruté Eric Pliez avec lequel nous avons fait équipe pendant près de 20 ans. Durant cette période, l’association a connu un essor important, sous l’effet de plusieurs fusions avec d’autres acteurs du secteur et parce que nous avons gagné de nombreux appels à projets…dans un contexte où les politiques sociales se sont adaptées à de nouvelles formes de précarité.
 
Quelles sont les missions dévolues à Aurore, une association à la longue histoire reconnue d’utilité publique depuis 1871 ? 
 
Aurore célèbre cette année ses 150 ans. Nous sommes issus d’un patronage (la Société Générale pour le Patronage des Libérés) implanté dans le 15ème arrondissement de Paris, où se trouve notre premier Centre d’hébergement : Etoile du matin, rue des Cévennes. Notre nom et notre enracinement laïc datent de 1967.
Notre raison d’être est La réadaptation sociale et professionnelle des personnes que la maladie, l’isolement, les détresses morales ou matérielles, un séjour en prison ou à l’hôpital ont privées d’une vie normale
Notre première activité est l’hébergement (Centres d’hébergement et de réadaptation sociale, Centres d’hébergement d’urgence, maisons relais, structures d’accueil pour migrants, etc…).
Notre deuxième activité est médicale. Aurore s’est développée dans le domaine médical avec la réforme de la psychiatrie dans les années 70, (nous gérons aujourd’hui des hôpitaux de jours et des Foyers d’accueil médicalisés pour enfants psychotiques, adultes et enfants autistes) puis avec le SIDA dans les années 80 (nous gérons des dispositifs de Lits Haltes Soins Santé), puis avec la lutte contre les addictions (Communautés thérapeutiques, CSAPA, etc…)
Notre troisième activité est l’insertion par l’activité économique qui comprend structures de formation, entreprises et chantiers d’insertion, espaces dynamique insertion qui amènent vers l’emploi des personnes exclues du système scolaire et du marché du travail. Au total, nous avons accueilli plus de 80 000 personnes en 2019 au travers de ces trois activités.
 
Pouvez-vous nous parler de votre organisation et de votre implantation territoriale ? 
 
Aurore est devenue une grande association ! Nous gérons plus de 200 structures et employons 2000 salariés. Cela nécessite une organisation géographique territoriale et décentralisée avec des supports métiers. Nous croyons à la décentralisation et à la responsabilité des acteurs de terrains pour le management des structures et la prise en charge des personnes, c’est pourquoi nous veillons à ce que notre organisation colle le plus possible au terrain, à ses réalités humaines variées et à des parties prenantes très multiples.
La relation avec l’environnement de proximité est notre point fort. Elle est un peu notre marque de fabrique.
L’implantation d’une structure sociale est généralement accueillie avec circonspection par ses riverains. Je n’ai pas d’exemple d’échec pour Aurore car nous sommes très attentifs à notre environnement et veillons à l’adhésion de tous, ce qui nécessite d’être organisé de façon décentralisée. 
 
Comment l’association fait-elle pour répondre à une situation toujours plus exigeante (migrants, précarité, exclusion, etc.) ? 
 
Notre organisation décentralisée nous confère des positions d’observation particulièrement précise des situations sociales. Nous sommes au contact des pouvoirs publics avec lesquels le dialogue conduit à adapter les dispositifs d’accueil, d’hébergement ou de prévention. Je dirais que nous sommes à la fois des vigies et des lanceurs d’alertes pour nos tutelles. Nos 850 bénévoles constituent aussi un soutien irremplaçable pour le développement de nos actions.
 
L’association fait-elle face à de nouveaux défis liés à la situation sanitaire et économique ? 
 
La situation des migrants est clairement celle qui me préoccupe le plus. La politique migratoire de l’État est restrictive. Dans ce contexte, notre ambition est de faire vivre le principe d’inconditionnalité de l’hébergement -qui est inscrit dans la loi- et de faire en sorte que personne ne soit à la rue. On n’y est pas !
Ce que je regrette, c’est que les migrants doivent passer inévitablement par un parcours du combattant administratif qui se veut clairement dissuasif et conduit les demandeurs d’asile à purger des délais dont ils attendent leur régularisation en situation précaire, sans possibilité de travailler, sans logement et sans statut digne.
C’est un sujet très compliqué par des procédures souvent dévoyées ou mal appliquées, mais les moyens consacrés par l’État à cette politique et les capacités de mobilisation des associations devraient permettre de faire mieux ; mieux, en instruisant plus rapidement les dossiers des migrants, mieux, en faisant respecter le droit d’asile, mieux, en logeant chacun dignement.
 
En cette période de froid hivernal particulièrement rude, quels sont les dispositifs mis en place par l’association ? 
 
Aurore est très habituée à faire face aux grands froids et nous sommes aux premiers rangs du plan grand froid activé par les pouvoirs publics pour ouvrir des lits en urgence, mais c’est surtout l’épidémie de Covid qui nous a mobilisés depuis un an pour offrir des réponses à des situations de détresse inédites générées par le confinement, l’isolement et la crise économique qui a vu détruire 700 000 emplois en France à grande vitesse. Le Covid a aggravé et multiplié les situations de pauvreté. Beaucoup de travailleurs précaires, mais aussi des étudiants ou des autoentrepreneurs se sont trouvés sans ressources et nous avons ouvert avec le soutien de l’État et de la ville de Paris des distributions alimentaires au Carreau du Temple ou sur le site de Saint Vincent de Paul.
 
Quels sont les ressources financières dont dispose l’association ? Sont-elles selon vous à la hauteur des enjeux ?
 
En France, le financement de l’action sociale et médico-sociale est public. La formation et l’insertion aussi. Ca n’a pas toujours été le cas, mais aujourd’hui, 99% de nos financements sont publics. Schématiquement, ils viennent de l’État pour l’hébergement et l’hébergement d’urgence dont les crédits ont énormément augmenté depuis 10 ans, des Agences Régionales de Santé pour le Médical, des départements pour le social, des régions pour la formation et l’insertion.
Nous bénéficions de financements complémentaires de Fondations d’entreprise, de dons de particuliers (au titre des déductions IS ou IFI) qui nous sont très utiles pour amorcer de nouveaux projets ou financer nos innovations. On ne remercie jamais assez les donateurs de leur générosité. Comme je ne peux citer tout le monde, je remercie JP Morgan qui nous a donné 400 000 € très utiles pour le démarrage d’une entreprise d’insertion dans laquelle nous croyons beaucoup.
 
Travaillez-vous de concert avec les pouvoirs publics ? Si oui, de quelles façons vous soutiennent-ils ? 
 
Nous sommes le plus souvent placés en position de délégataire de service public qui applique des dispositifs organisés, dimensionnés, tarifés et financés par l’État ou par les collectivités locales. Notre projet associatif s’exprime dans la manière dont nous exerçons nos missions, dans nos valeurs humanistes et laïques et dans nos capacités d’innovation.
Nous sommes par exemple très fiers d’avoir pu développer autour de grands centres d’hébergement parisiens comme Les grands Voisins (sur le site de Saint Vincent de Paul ou comme les Cinq toits (sur le site d’une caserne de gendarmerie boulevard Exelmans) des projets qui combinent en un même lieu hébergement, activités culturelles, start-up, commerces de proximité (boulangerie, réparateur de vélo, bar, restaurant...).
Cela n’est possible que lorsque nos projets sont assez grands et que les pouvoirs publics nous laissent suffisamment d’autonomie. Je milite inlassablement pour la contractualisation des relations avec nos financeurs et le respect de l’autonomie des associations qui est d’autant plus souhaitable que les associations de notre secteur ont des tailles significatives et les moyens d’une gestion autonome et responsable. Concrètement, cela veut dire que nous pourrions nous accorder sur un financement pluriannuel de nos projets avec des objectifs mesurables. A la fin, l’évaluation ex-post des résultats est le juge de paix pour savoir si nous avons correctement répondu au cahier des charges.
 
Il n’est pas sain que les financeurs publics reprennent les excédents et comblent les déficits. Je crois au contraire vertueux que l’autonomie associative encourage la bonne gestion et l’innovation. Il serait bien que les administrations qui nous financent préfèrent la contractualisation aux contrôles. Je pense qu’il en va, à terme du sens du travail social et de la valorisation des métiers de nos collaborateurs. Ils sont plus de 2000 à Aurore.
 
Vous êtes par ailleurs Directeur général adjoint de VINCI, ces fonctions et votre engagement associatif s’enrichissent-ils mutuellement ?  
 
La première fonction d’un Président est d’assurer la stabilité et la sérénité de la gouvernance pour faciliter la vie des travailleurs sociaux et des bénévoles qui font un travail difficile. L’important est de construire un consensus autour des principes fondateurs, des valeurs et des grands sujets de la vie d’une association.
De la même façon, est primordiale la qualité de la relation avec le DG que j’ai la responsabilité de choisir et de nommer et à qui je sers de sparring partner, de soutien ou d’aiguillon dans la mission très difficile qui est la sienne. J’ai une très grande confiance dans le travail fait par Florian Guyot avec Armelle de Guibert et l’équipe de direction d’Aurore.
La deuxième grande fonction a trait aux missions de relations institutionnelles et à ma capacité à mettre en relation les uns et les autres.
Il faut des qualités de conviction et d’engagement pour réussir dans toutes les missions, dans l’entreprise comme dans une association, chez VINCI, comme à la Présidence d’Aurore.
Plus personnellement, j’ai besoin de résister à l’enfermement social que constitue l’appartenance à un milieu professionnel. Sans doute parce que mes parents étaient enseignants ! Passer du monde de l’entreprise à celui de l’association est très stimulant et très enrichissant personnellement. Et c’est une façon de lutter contre le cloisonnement social qui est une des plaies de la société française. Ma vie personnelle et mes différents engagements se nourrissent de la diversité de mes centres d’intérêts. Et si je peux servir de trait d’union, c’est, je crois, utile à mes différents engagements.






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