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James G. March : entre exploitation et exploration

08/10/2019



James Gardner March est un économiste, sociologue et universitaire américain (Université de Stanford). Il est un des principaux pionniers de la théorie des organisations. Il s’intéresse notamment à la façon dont une organisation s'adapte à son environnement. Il a également porté une attention à la manière dont les organisations apprennent de leur expérience et comment les règles organisationnelles évoluent.



© IngImage
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Le dilemme Exploitation /Exploration

L’article de James G. March (1991), intitulé « Exploration and Exploration in organizational learning » est considéré par de nombreux spécialistes, comme un tournant dans la manière d’aborder les processus de décisions et de changement. En introduisant le dilemme exploitation/exploration dans la réflexion, James March ouvre une voie nouvelle, en donnant une vision plus réaliste du fonctionnement des organisations.

Selon cet auteur, L’exploitation « inclut des choses telles que perfectionnement, choix, production, efficience, sélection, implémentation, exécution. » (p. 71). L’essence de l’exploitation est le « perfectionnement et l’extension des compétences, technologies et paradigmes existants. Ces effets sont positifs, rapides et prévisibles » (p. 85). A l’inverse, l’exploration « inclut des choses comprises dans les termes tels que recherche, variation, prise de risques, expérimentation, jeu, flexibilité, découverte, innovation » (p. 71). « L’essence de l’exploration est l’expérimentation de nouvelles alternatives. Ces effets sont incertains, à long terme et souvent négatifs. » (March, 1991, p. 85).

L’exploration vise donc à dépasser le paradigme stratégique de la firme, en misant sur l’expérimentation, l’innovation et l’agilité organisationnelle, en vue de susciter des situations inédites créatrices de valeur (redéfinition des activités). A l’inverse, l’exploitation consiste à renforcer l’existant (adaptation progressive et incrémentale), en cherchant à optimiser les ressources à disposition, dans un souci d'efficacité via une amélioration continue des façons de procéder, en vue d’obtenir des résultats clairs et précis.
 
Pour J. March, l’exploitation et l’exploration ne doivent pas simplement être analysées sous l'angle de la stratégie, mais également à travers celui des connaissances détenues ou acquises par l’organisation. L’originalité de ce que propose March (1991) consiste donc à aborder la question des connaissances du point de vue de l'organisation. L’enjeu de l'exploitation - exploration n'est plus ici centré sur l’individu mais sur l’organisation et ses connaissances (cf. apprentissage organisationnel).

Exploitation ou exploration ?

De façon générale, James March (1991) considère que tout système a besoin de la combinaison de « l’exploration » et de « l’exploitation ». Il s’agit ici de concilier l’existant avec le nouveau, le déjà-connu avec le non encore connu. Une organisation qui n’innove pas est appelée à disparaître. A l’inverse, l’excès de créations peut déstabiliser le système en place. Les systèmes adaptatifs qui s’engagent exclusivement dans l’exploration risquent de subir le coût de l’expérimentation.

James March insiste sur l’importance de préserver une partie de l’existant. L’exploitation fournit des certitudes, un retour instantané, de la visibilité (gestion des risques).  Elle est d'ailleurs perçue positivement par les organisations qui peuvent apprendre de leurs décisions et actions. Comme le souligne James March (1981), les changements organisationnels sont rarement le fruit de mouvements disruptifs. Ils proviennent souvent de la capacité à maîtriser des processus stabilisés et routiniers.
 
Néanmoins, les organisations engagées dans l'exploitation se trouvent souvent enfermées dans des trajectoires inflexibles, trop bien définies (activités répétitives et contrôlables). Or si les logiques de réplication et de spécialisation favorisent la stabilité, elles conduisent également à réduire la capacité des organisations à progresser.

De ce fait, l’exploitation, en valorisant l’expérience et le temps long (accumulation d’un savoir dans un domaine précis), peut être mise à mal par les variations de l’environnement. Des perturbations peuvent survenir, des incidents peuvent se produire. L'exploration est donc nécessaire. Elle évite les risques d'inertie et une trop forte inadéquation avec les caractéristiques de l'environnement.

Le besoin de concilier "exploitation" et "exploration"

L’exploration et l’exploitation se révèlent donc essentielles. Pourtant, les organisations préfèrent les dissocier, en  privilégiant selon les cas une des deux options  (sécurité versus risque ; optimisation versus innovation ; immédiateté versus projection; évolution versus révolution…). Cette vision binaire du changement, en réduisant les options à une simple alternative, limite de facto le processus d’apprentissage.

Ainsi, les systèmes organisationnels sont perpétuellement tiraillés entre des choix contraires, hésitant entre deux pôles aux effets diamétralement opposés.  L'erreur consiste ici à faire un choix entre des options qui obéissent à des rationalités différentes. Les logiques d'exploitation et d'exploration doivent se voir comme des forces complémentaires et en aucun cas antagoniques.  Une entreprise innovante ne doit pas seulement produire des offres inédites et originales (démarche créative et désordonnée), elle doit être aussi capable de les mettre en oeuvre, en préservant l'existant (démarche précise et ordonnée). D'ailleurs, le recours à une seule de ces dimensions est associé à une performance sous-optimale et tend à augmenter les risques d'échecs. Le succès des entreprises repose par conséquent sur la capacité  à pouvoir simultanément améliorer l'efficience interne de l'organisation (exploitation) et  expérimenter de nouvelles voies (exploration).
 
A l’instar de la notion d’ambidextrie organisationnelle (Reilly, Tuhsman, 2004), l’entreprise se doit de répondre à ces tensions paradoxales (Lewis, 2000), en permettant au système de gérer l’immédiateté (gestion courante, processus de rationalisation, situation de crise), tout en préparant l’avenir (découverte, innovation, diversification). Au vu de la recherche actuelle, il semble en effet nécessaire que les organisations apprennent à surmonter cette ambivalence structurelle, en réussissant à concilier ces deux voies alternatives.

Conclusion

Optimiser l’utilisation des ressources existantes et trouver le moyen d’en créer de nouvelles (capacités dynamiques) est un dilemme récurrent des organisations dont la résolution devient aujourd’hui vitale pour continuer à se développer au sein de l’environnement. L’accélération des cycles de vie des produits et des technologies ainsi que la concurrence exacerbée dans de nombreux secteurs placent cette problématique au cœur de la réflexion stratégique des organisations, tant au niveau des choix que des modes d’apprentissage. La nécessité de concilier ces deux impératifs est d’ailleurs à l’origine du concept d’ambidextrie organisationnelle qui a profondément changé la perception des chercheurs sur les systèmes d’organisation et leur rapport à l’environnement. Des travaux récents confirment ainsi l’analyse scientifique de J. March qui ressentait l’impérieuse nécessité de combiner exploration et exploitation en initiant des logiques organisationnelles différenciées mais étroitement liées, pour assurer la viabilité actuelle et future des organisations.

Pour aller plus loin

March J., "Exploration and Exploitation in Organizational Learning", Organization Science, 2, 1991, p.71-87.
March J., "Footnotes to Organizational Change", Administrative Science Quarterly, 26, 1981, p. 563-577.
March J., The Pursuit of Organizational Intelligence, Oxford, Blackwell, 1999.
Meier O., Facteurs de réussite de la réalisation d'objectifs de symbiose en phase de post-acquisition, Thèse de doctorat, Université Paris Est, 1998.
Meier O., Koenig G., "Acquisitions de symbiose: les inconvénients d'une approche rationaliste", M@n@gement, 4(1), 2001, p.23-45.
Meier O., Schier G., "Achieving radical innovation through symbiotic acquisitions", Organizational Dynamics, 45, 2016, p.11-17.

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