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La propriété intellectuelle peut-elle garantir un avenir durable?

22/08/2013





Des brevets d’ « exploration »
La propriété sur le vivant se traduit de façon plus élargie par l’instauration d’une « économie de la connaissance » et la modification de la nature des brevets elle-même. Le concept d’appropriation se base sur la considération de la connaissance, et non uniquement sur les produits issus des études, comme élément appropriable. Les inventions, découvertes et connaissances sont ainsi regroupées dans un même champ de propriété. Il s’agit surtout d’établir un « marché de la connaissance », dans lequel les droits de propriété constituent les clés d’accès. Une plateforme unique, rare, qui s’éloigne largement du concept de biens communs. Les droits d’entrée sont privatisés, tout comme les droits d’utilisation, afin que l’intellectuel ne soit pas vulgarisé. Le champ de la connaissance se retrouve alors clôturé, éliminant ainsi la définition de K. Arrow (1962) sur les droits de propriété intellectuelle, indiquant qu’il s’agit de barrière entre les résultats des recherches inventives et les activités ne pouvant être brevetées.
 
Jusque-là défini comme « droit d’exploitation », le brevet se retrouve ainsi plus orienté vers « l’exploration ». Les années 80 marquent un tournant important vers ce nouveau contexte. Le Bayh-Dole Act, issu de la législation américaine, signe le premier pas de transformation en 1980. Un acte qui permet désormais aux institutions de recherches publiques de transférer directement leurs découvertes vers des usages commerciaux ou industriels. Les laboratoires publics et universités peuvent, de par le Bayh-Dole Act, vendre le droit d’exploitation de leurs inventions à des instituts privés. Ils peuvent également opérer dans le cadre d’un « joint-venture ». Dans tous les cas, il s’agit de faire profiter aux entreprises privées, et automatiquement au marché de masse, des résultats obtenus dans les recherches.
 
Le Bayh-Dole Act constitue une ouverture essentielle au partage des informations, en adoptant un système de brevet plus souple. Ce dernier, ainsi que sa fonction, sont pratiquement redéfinis, ne se limitant plus désormais à un usage exclusif attribué uniquement à l’inventeur. Jusque-là, il s’agit en effet d’un accès au monopole, délivré directement par l’État, et permettant au seul inventeur de concevoir et de commercialiser le produit pendant une durée déterminée, sur un long terme. Ledit inventeur se doit alors de fournir des produits répondant aux besoins collectifs. Avec l’arrivée du Bayh-Dole Act, tout concept se retrouve transformé. Le simple partage des licences a conduit à des droits d’« exploration », plutôt que d’« exploitation ».
 
« Exploration », parce qu’il s’agit désormais de disposer d’informations, de connaissances, et pas uniquement du produit. Les détenteurs des brevets se retrouvent désormais dans la possibilité de réaliser d’autres recherches en se basant sur les données déjà fournies. Tout en ayant l’autorisation de reproduire les réalisations déjà abouties. Les licences ne se limitent plus au niveau invention, mais portent tant sur les outils d’exploitation, les différents instruments que sur les bases de données. Le champ de la connaissance devient alors accessible à tous les acteurs, et peut être exploré dans tous ses états, que ce soit au profit de sociétés commerciales ou industrielles, institutions publiques ou privées.
 
Cas du vivant : au fil de la législation
Si le vivant était encore considéré comme « tabou » au XIXème siècle, les premières spécifications en termes de droits de propriété ont fait leur apparition dans les années 30, aux États-Unis. Le Plant Patent Act en constitue le premier exemple. Établi en 1930, il s’agit d’un acte de transformation, ayant remplacé le terme d’« inanimé » et de « vivant » en « artificiel » et « naturel ». Il est ainsi possible de s’approprier des plantes issues d’expériences, dites artificielles.
 
La révolution en matière de propriété du vivant est officiellement signée aux États-Unis en 1980, par l’arrêt Chakrabarty. Déjà déposée en 1972, la demande de brevet d’Ananda Chakrabarty pour une bactérie a été refusée par l’USPTO (office américain des brevets) pour la bactérie elle-même, mais accordée uniquement pour la production de bactérie manipulée. Ce n’est qu’en 1980 que la Cour Suprême accepte la requête, réalisée pour le compte de General Electric. Ce premier pas déclenche automatiquement diverses modifications dans les systèmes de brevets de plusieurs pays. En 1981, l’Office Européen décide notamment d’apporter certains changements au niveau de son régime, et autorise désormais l’appropriation de micro-organismes. Au cours de l’année 1983, de nombreux pays suivent également l’exemple. Selon les chiffres de l’OCDE, plus de 20 nations autorisent désormais le brevetage des micro-organismes en tant que tels.
 
Depuis l’instauration de ce nouveau système de propriété, le vivant peut être breveté dès lors qu’il y a intervention humaine. Les concepts de découverte et d’invention se retrouvent alors distingués. Désormais, l’invention porte exclusivement sur des productions purement humaines, et la découverte est définie par la  « mise à jour » d’un élément déjà existant. Dans les deux cas, il est possible d’obtenir un brevet et de jouir d’un droit d’exploitation sur le marché, sur un long terme. Il s’agit d’un droit de propriété incorporelle, incluant l’usage de l’objet lui-même, ainsi que les diverses applications qui en découlent.
 
Le brevetage du vivant suit une évolution permanente. Si les plantes ont ouvert la première porte, suivies par les micro-organismes, les animaux n’ont pas tardé à entrer dans le circuit. En 1988, l’université de Harvard dépose la première demande de brevet pour un animal, une souris-chimère, et signe ce qui est une révolution dans le domaine du vivant. L’écologique fusionne désormais avec la technologie, et le végétal, l’animal et l’humain sont regroupés en tant que « matière vivante ». Le remplacement des méthodes de reproduction naturelles par des processus technologiques témoigne largement de l’appropriation du vivant, ainsi que de la maîtrise de ses fonctionnements. Les spermes et ovules sont désormais considérés comme des pièces détachées, utilisées à des fins industrielles et commerciales. La génétique fait partie intégrante de cette évolution, de par ses capacités de transmettre des maladies par exemple. Les gènes deviennent des instruments, traités par la biogénétique, au profit d’un marché bel et bien concret : celui du vivant.
 
Avec l’envergure que prend le brevetage du vivant dans plusieurs pays, dont principalement aux États-Unis, des dispositions de niveau internationales débarquent automatiquement. Les droits de propriété se retrouvent désormais sur la plateforme mondiale, et sont intégrés dans diverses négociations commerciales. L’accord ADPIC de l’OMC, ou Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce mentionne notamment qu’« un brevet pourra être obtenu pour toute invention… dans tous les domaines technologiques ». Le brevetage du vivant entre automatiquement dans ce contexte, et il est désormais possible de commercialiser l’élément breveté sur le marché international.
 
Les limites aux trafics de droits de propriété restent essentiellement la protection de la moralité et/ou de l’ordre public, la préservation de l’environnement, ainsi que la protection des animaux. Les textes indiquent également d’autres exclusions, notamment en ce qui concerne « les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales ».
 
Après plusieurs années de débats, l’Union européenne est désormais en accord avec ce nouveau régime de propriété. La directive 98/44 de 1998, portant sur l’appropriation du vivant, confirme l’internationalisation du système.