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Industrialisation de l’Afrique : les conditions d’une croissance durable

Jérémy Girard
19/11/2019



Les chiffres de la croissance à l’échelle du continent africain masquent d’importantes disparités. Malgré une décennie de changements économiques de grande importance, les fruits de la croissance ne profitent qu’à un petit nombre. Nourriture, eau potable, logement, santé, éducation… beaucoup reste à faire pour la majorité des populations.



« La croissance ne se mange pas », dixit Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD). Autrement dit, malgré une croissance économique forte à l’échelle du continent, la deuxième plus rapide au monde, des disparités profondes freinent en effet le développement dans la plupart des pays. La croissance est en réalité très fragile : la BAD compte 29 pays dits fragiles, soit 53 % du continent.
 
Un besoin de « croissance inclusive »
 
Le rapport annuel de la BAD de janvier 2018 souligne l’urgence qu’il y a à promouvoir « une croissance qualitative et inclusive ». Comme le rappelle ce rapport sur les perspectives économiques en Afrique, « l’énorme richesse en ressources de l’Afrique (ainsi que les avantages qu’elle draine) reste entre les mains de quelques élites et des investisseurs étrangers. Les populations rurales restent piégées dans la pauvreté, la précarité et l’isolement, et dans les villes la “fracture urbaine” croissante laisse de nombreux citadins exclus des avantages de la modernisation et de la vie en ville, sans emploi et sans revenu ». De plus, « l’extraction des ressources agricoles et minérales sans valeur ajoutée nationale ainsi que le manque de bonne gouvernance et de responsabilité pourraient bloquer la voie à la transformation économique significative et suffisante pour stimuler une croissance durable. Celle-ci n’a généralement pas été soutenue par une stratégie d’industrialisation à long terme et la base manufacturière est très faible en Afrique, à l’exception d’un petit groupe de pays tels que l’Afrique du Sud, la Tunisie, le Maroc et l’Égypte » (1).
 
Diversification, investissement, gouvernance
 
Face à ce constat, la conférence Africa Convergence qui s’est tenue en juin 2018 à Dakar a posé le problème dans les termes suivants : « Attractivité : comment lever les barrières pour libérer la croissance ». Et Alioune Sarr, ministre sénégalais du Commerce, du secteur informel, de la consommation et des PME, d’expliquer : « Le développement est une histoire de talents, de mise en œuvre de stratégies et de capitaux. L’Afrique a clairement démontré qu’elle regorge de talents. Les défis qui se posent à elle relèvent de l’exécution stratégique et de la mobilisation des capitaux » (2). Les panelistes réunis lors de cette conférence ont insisté sur la nécessité pour les pays d’Afrique de diversifier leurs économies, de favoriser les investissements intra-africains et de créer un environnement favorable pour mieux capter les investissements directs étrangers (IDE).
 
L’obstacle principal à la diversification réside dans la trop grande dépendance à l’égard des énergies fossiles et des minerais. Selon le rapport 2018 de la CNUCED (3), l’Éthiopie, l’Égypte et le Maroc font partie des pays qui diversifient leur économie grâce aux industries et aux nouvelles technologies.

Selon le même rapport, les investissements intra-africains ont triplé durant la dernière décennie, signe que l’Afrique est en plein éveil économique. La traduction positive sur le plan de l’emploi et de la réduction des inégalités se fait néanmoins attendre.

Pour sortir de ce marasme, l’Afrique a besoin d’accueillir des investissements étrangers massifs. Pour y parvenir, l’enjeu essentiel consiste à améliorer la gouvernance et l’environnement des affaires, le pire ennemi de la confiance étant la corruption.
 
L’eau, source de développement
 
Les experts d’Africa Convergence ont mis l’accent sur les principaux « accélérateurs de croissance » à savoir l’autonomisation de la femme, l’intégration africaine, l’éducation et la formation, l’enjeu étant de donner accès à des services de base infrastructures sanitaires, moyens de transport, eau potable (4). La question de l’eau, en particulier, a cristallisé les débats. « 4,5 milliards de personnes dans le monde, soit 60 % de la population mondiale, ne disposent pas de services d’assainissement gérés en toute sécurité, chaque année. Le chiffre est effrayant : 1,8 million d’enfants meurent dans le monde parce qu’ils boivent une eau insalubre », s’est indigné Fathallah Sijelmassi, ancien secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée qui a rappelé que la plupart des victimes sont africaines.
 
Un meilleur traitement de l’eau réinjectée dans l’environnement, en sortie des stations d’épuration, fait désormais partie des priorités de nombreux pays. Un traitement approprié ouvre la voie à une réutilisation de ces eaux pour satisfaire la demande en eau supplémentaire, sans puiser dans la ressource d’eau douce. De plus en plus d’États ont pris conscience de l’enjeu et décidé de satisfaire une part croissante de leur demande par de l’eau recyclée.

Dans ce paysage, les grands groupes mondiaux spécialisés dans la gestion et le traitement des eaux ont un rôle décisif à jouer en promouvant des approches permettant un accès à l’eau pour le plus grand nombre, notamment à travers des solutions dites off-grid ou hors réseau. Car les questions d’accès à l’eau doivent être traitées du point de vue local. Le but : générer un développement durable dans les écosystèmes locaux des petites villes, voire de groupements de villages. En effet, une eau usée est aussi une ressource, à partir de laquelle peut voir le jour une forme d’économie circulaire, au bénéfice de toutes les populations. « C’est dans cet esprit que nous avons développé ces dernières années des unités de traitement en conteneurs s’inspirant des solutions off-grid. Ces solutions sont spécifiquement destinées à l’Afrique en tenant compte à la fois des besoins locaux mais aussi et surtout des infrastructures existantes », commente Patrick Couzinet, CEO de Veolia Water Technologies Afrique. 
 
Le marché est en effet prometteur pour tous les acteurs en concurrence, y compris pour les systèmes classiques à caractère centralisé. « Nous sommes pleinement mobilisés pour continuer à accompagner le dynamisme de l’Afrique en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement, mais aussi dans le recyclage et la valorisation des déchets, un enjeu croissant pour le continent », confie Bertrand Camus, DGA Afrique, Moyen-Orient, Inde, Asie, Australie chez Suez (5).

Bien entendu, ces initiatives privées ont besoin d’être accompagnées par les autorités publiques, les acteurs locaux et les ONG de l’aide au développement, chacun ayant une partition particulière à déchiffrer. Mais les besoins restent immenses : début juillet 2018, une étude du Global Infrastructure Hub (GIH), une initiative du G20, a révélé que dix économies africaines parmi les plus prometteuses (le Maroc, la Tunisie, l’Égypte, l’Éthiopie, le Sénégal, la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Bénin, le Rwanda) ont besoin de 2 400 milliards de dollars d’investissements pour couvrir leurs besoins d’ici 2040, ne serait-ce qu’en infrastructures. Des montants considérables qui iront vers les pays qui se distinguent par des réformes ambitieuses, des projets de développement gigantesques, et des programmes de formation pour leur jeunesse.

Une jeunesse africaine à laquelle s’est adressée Candace Nkoth Bissek, Fondatrice de Black Rose Network, lors de la conférence d’Africa Convergence 2018, pour l’exhorter à « être concentrée, à s’armer de courage, à rester positif et à garder en permanence une part de rêve ».
 
(1) https://afrimag.net/investissement-et-croissance-inclusive-quels-enjeux-pour-lafrique/
(2) https://afrique.latribune.fr/think-tank/la-fabrique-a-idees/2018-06-22/africa-convergence-dakar-quelles-cles-pour-liberer-le-potentiel-de-l-attractivite-africaine-782837.html
(3) http://unctad.org/fr/pages/PublicationWebflyer.aspx?publicationid=2118
(4) https://afrique.latribune.fr/afrique-de-l-ouest/2018-08-01/africa-convergence-2018-quatre-recommandations-acceleratrices-de-la-course-vers-l-emergence-786714.html
(5) https://www.capital.fr/entreprises-marches/suez-remporte-95-millions-deuros-de-contrats-en-afrique-1299671
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