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Déconfinement : hypothèses et certitudes

Ziad TOUAT, docteur en biologie et biotechnologie, chef de projet chez Crisotech
22/04/2020



La décision de confiner la France fut prise le dimanche 15 mars pour faire face à l’évolution exponentielle du nombre de cas sur le territoire. Du 15 au 29 mars, les effets du confinement n’ont logiquement pas pu se faire sentir puisque cela correspond au temps d’incubation de la maladie (14 jours maximum). La seconde période, du 29 mars au 12 avril a paradoxalement vu le nombre de cas fortement augmenter puisqu’une personne malade, qu’elle soit symptomatique ou non, a très probablement transmis la maladie aux personnes avec lesquelles elle est confinée (on parle de cellule familiale). Ce n’est donc qu’à partir du 13 avril, troisième phase du confinement, que la courbe a commencé à s’aplanir, de même que la dynamique exponentielle de la pandémie.



Pour autant, nous sommes encore dans la vague épidémique et tout relâchement dans l’application du confinement et des gestes barrières induirait un rebond. Les chiffres les plus optimistes montrent que nous sommes très loin de l’immunité de groupe (qui correspond à 60 à 70 % d’immunisés parmi la population). Sans cette immunité de groupe ni de thérapie efficace, un déconfinement sans maintien des gestes barrières mènerait directement à une nouvelle saturation de notre système de santé. Notons que nos hôpitaux ne peuvent faire face, avec leurs capacités actuelles, qu’à un doublement des cas tous les quatorze jours alors que lors de la première vague, la France dénombrait un doublement des cas tous les 4 jours.  
 
Le Premier ministre et le ministre des Solidarités et de la Santé l’ont martelé lors de la conférence de presse de dimanche : la levée du confinement ne sera donc, en aucun cas, un retour à la normale. L’une des certitudes est que les gestes barrières (port du masque, lavage de main, maintien de la distanciation, etc.) devront continuer à être appliqués afin que le R0 ne dépasse pas 1,5. Et deux grandes variables détermineront l’évolution de la situation à partir du 11 mai :
  • L’arrivée d’un traitement et la date de sa mise sur le marché ;
  • L’immunité, son efficacité, sa durée et son acquisition (par la maladie ou par un éventuel vaccin).
Au vu des moyens mis en œuvre et de la mobilisation de l’ensemble de la communauté scientifique sur le sujet, nous considérons comme extrêmement peu probable qu’il ne puisse y avoir ni l’un ni l’autre. La véritable question est donc : quand ?
 
Hypothèse 1 : arrivée d’un traitement efficace
 
Si un traitement :
  • À son efficacité démontrée par des études scientifiques sérieuses ;
  • Ne s’accompagne pas d’effets indésirables trop importants ;
  • À une fenêtre thérapeutique qui permet de soigner le plus grand nombre malgré les comorbidités ;
  • Est disponible en quantité suffisante pour nos hôpitaux ;
alors un retour à la normale est envisageable rapidement et sans mesures barrières particulières. En effet, à l’instar des antibiotiques pour certaines maladies bactériennes, toute infection pourra être traitée efficacement sans nécessité d’une hospitalisation. C’est l’hypothèse la plus optimiste, mais malheureusement la moins probable à court terme.
 
Hypothèse 2 : immunité pérenne et efficace
 
Une question occupe aujourd’hui une place prédominante : peut-on contracter le COVID-19 plusieurs fois ? Autrement dit, l’immunité acquise (humorale adaptative) lorsqu’on est tombé malade est-elle protectrice et si oui combien de temps ? Même si la probabilité pour que cette immunité existe est grande, nous n’avons pas encore le recul nécessaire sur la durée de vie de cette mémoire immunitaire.
 
Si cette immunité existe, les personnes malades seraient considérées comme immunisées et pourraient donc reprendre une vie normale lors du déconfinement. Cela repose toutefois sur la nécessité de tester largement. Ces tests sérologiques, couplés au PCR en cas de doute permettront de mieux comprendre la propagation du virus pour mieux la contenir. Les gens continueront à tomber malades (mais plus lentement grâce aux mesures barrières) et dès qu’elles le seront, elles s’isoleront. De même, nous reviendrons à une phase d’identification des sujets contacts, comme en phase 2 de l’épidémie, qui seront également placés en quatorzaine. Cette situation poussera les gouvernements à recourir à des applications mobiles pour identifier qui a été en contact avec une personne malade même sans le savoir.
 
C’est la seule condition pour que le système sanitaire soit préservé d’une deuxième vague trop massive.
 
Nous voyons toutefois deux limites à ce scénario :
  • Les personnes âgées et les personnes souffrant de comorbidités demeureront plus exposées au risque, d’où la volonté avortée du gouvernement de prolonger le confinement de ces personnes.
  • Les malades asymptomatiques pourront continuer à transmettre le virus sans avoir été testés, le Président de la République ayant annoncé que seuls les porteurs symptomatiques seraient testés.
 
Nous serions donc dans une situation de contamination progressive de la population avec un nombre croissant de malades, mais sans évolution exponentielle, puis une décroissance proportionnelle à l’acquisition de l’immunité de groupe. Du temps pourrait être gagné dans l’acquisition d’une immunité de groupe grâce à l’arrivée d’un vaccin, mais celui-ci semble très peu probable avant 2021.
 
Hypothèse 3 : pas d’immunité acquise ou immunité extrêmement courte
 
C’est le scénario le plus pessimiste et les études récentes rendent ce scénario de plus en plus envisageable. Si l’immunité ne protège pas ou sur un temps très court (quelques jours ou quelques semaines seulement), nous serions constamment « naïfs » face au virus, notre système immunitaire ne serait pas protégé.
 
Dans cette hypothèse, le déconfinement mènerait nécessairement à une nouvelle vague épidémique qui serait finalement sans fin, chaque personne contaminée pouvant contracter une nouvelle fois la maladie.
 
Les tests sérologiques seraient alors inutiles. En effet, ils permettent de savoir si une personne a été malade ou non ce qui ne sert pas, puisque même une personne qui a déjà eu le virus peut tomber à nouveau malade. Seuls les tests en PCR qui détectent directement le virus aideront à canaliser la pathologie en détectant les personnes contagieuses, qu’elles soient symptomatiques ou pas.
 
Il demeure donc encore de nombreuses inconnues autour du déconfinement. La seule certitude que nous ayons à l’heure actuelle est que le 11 mai ne sonnera pas un retour à la normale pour la population et que les gestes barrières devront continuer à être appliqués. Les entreprises qui reprendront leurs activités doivent donc commencer dès maintenant, si ce n’est déjà fait, à adapter leur mode de travail à cette nouvelle période qui s’ouvre et dont on ne connaît pas la durée.