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Coronavirus, entre Histoire et reprise d'activité ... Histoire (I)

Eric BONNET Risk Manager
24/04/2020



En pleine pandémie, est-il raisonnable de reprendre des activités professionnelles ? Le 11 mai prochain, la France devrait se remettre partiellement au travail alors que le coronavirus continuera à circuler. La peur pourrait s'installer au sein même des organisations de travail, sapant la productivité et faisant courir des risques non acceptables pour tous ceux qui seraient exposés.



Nous semblons découvrir que la nature est toute puissante, incontrôlable et sans pitié envers les humains. Les grands pays sont désarmés pour protéger autant leur économie que leur population. En France, c'est le ciel qui tombe sur la tête des Gaulois !

Devant l'urgence, au milieu des services hospitaliers qui jonglent avec les places disponibles, une expertise de gestion de crise s'est inventée de toute pièce. Les déclarations et postures évoluent chaque jour, de quoi douter soi-même de ce qu'il faut faire ou ne pas faire pour ne pas être attrapé comme une proie par ce vicieux virus. 

Ce qui est certain, c’est que nous vivons un moment hors du commun, sans savoir réellement trouver les mesures de protection élémentaires, tant au niveau collectif qu'individuel. Il faut tout apprendre en se reposant sur les avis des experts. Il nous faudrait surtout replonger dans notre mémoire collective pour redécouvrir ce que nous avons en réalité oublié et nous apercevoir que nous avions prévu ce genre de catastrophe sanitaire. Après cette introspection, reprendre des activités professionnelles seraient alors à la portée de presque tous.
 
Retour dans notre histoire

Nous sommes tellement plongés dans notre vie présente que le passé ne nous apprend plus rien. Pourtant, les pandémies sont une habitude pour l'humanité, qui aussi su s’adapter à des menaces biologiques d’origine belliciste. 

La peste d’Athènes (-430 à -426 avant J.C) est la première pandémie de l'histoire, se manifestant par des fièvres intenses, des diarrhées, des rougeurs et des convulsions. Venue d'Éthiopie, elle passe en Égypte et en Libye, puis s’arrête à Athènes lors de la guerre du Péloponnèse. 200.000 habitants de la ville vont périr de la maladie. La peste Antonine (165-166) due à la variole aurait causé 10 millions de morts. La variole ne sera éradiquée qu'en 1980 ! Après avoir sévi en Chine, la pandémie de peste noire arrive en 1346 en Asie centrale, parmi les troupes mongoles. La maladie, se manifeste par d'horribles bubons et se propage ensuite à l'Afrique du Nord puis à l'Italie et à la France, où elle arrive par le port de Marseille. On estime que cette épidémie, surnommée « la grande peste », a fait entre 25 et 40 millions de morts en Europe, soit presque la moitié de sa population de l'époque.
Originaire de Kinshasa (République démocratique du Congo), le virus du sida tue chaque année deux millions de personnes au plus fort de l'épidémie. 36,9 millions de patients vivent aujourd'hui avec le VIH. La grippe espagnole (1918-1919) reste néanmoins le virus qui a infecté à lui seul un tiers de la population mondiale. D'origine asiatique, elle arrive aux Etats-Unis, puis traverse l'Atlantique avec les soldats venus combattre aux côtés des français. Le nombre total de victimes militaires américaines pour l'ensemble de la Première Guerre mondiale avoisine les 116 000. La pandémie a touché toutes les parties du monde. En France, 408 000 personnes sont mortes. Les États-Unis ont perdu en tout 675 000 personnes, le Japon 400 000, la Grande-Bretagne 228 000. Les chercheurs estiment que rien qu'en Inde, les décès sont compris entre 12 et 17 millions. Le point commun entre tous ces virus est l’humain par lequel ils ont pu voyager.   

Ces tragédies sanitaires sont d'origines naturelles mais l'homme a pour sa part, envisagé de faire de l’utilisation des virus une arme biologique de destruction massive. Ce projet a terrorisé la planète lors de la guerre froide de 1947 à 1991. L'Union des Républiques Socialistes Soviétique (URSS) faisait peser une telle menace sur les pays occidentaux qu'une posture de défense biologique s'est progressivement mise en œuvre. Tout a été pensé pour contenir une contamination volontaire des troupes et de la population. L’objectif de l’utilisation d’agents biologiques était double : celui de neutraliser des armées et en impactant un pays par sa population et son économie. Des experts scientifiques, militaires et tout ce que pouvait compter la Nation française de gens compétents ont travaillé sans relâche pour étudier toutes les atteintes possibles, même les plus improbables ou fantaisistes, et en trouver les parades. En cas de dissémination de virus, les Etats du « monde libre » pensent alors être en capacité de réagir pour protéger la population et limiter les effets d’une maladie contagieuse.  

Le risque de contamination des eaux potables a ainsi trouvé une réponse sécuritaire avec la mise en œuvre d’un processus de surveillance et de protection. L'apport de virus sur le sol national par des vecteurs humains sains fait l'objet de scénarios élaborés, ainsi que la mise en œuvre de plans d'urgence en cas de dissémination volontaires de nombreux virus connus et inconnus. Les bactéries facilement utilisables pour atteindre des cibles sont identifiées. L'expertise humaine se double d'une large panoplie de matériels à la pointe de la technologie. Chaque acteur de défense civile et militaire s’entraîne sans relâche pour prévenir, détecter, décontaminer à grande échelle. 

Lors des périodes de conscription, la population se forme aux gestes et postures de survie, pour répondre à quelque menace que ce soit, y compris biologique. Des générations se sont ainsi succédé pour participer à la protection de la Nation et de leur famille. Chaque citoyen a un rôle à jouer en cas de crise majeure. Il n’est pas utile d’invoquer une quelconque « responsabilité individuelle » car elle est une évidence. La France dispose alors de la plus grande école de Défense Nucléaire Biologique et Chimique d’Europe. Une vraie fierté nationale. De nombreux fonctionnaires, des médecins et des militaires européens, ainsi qu’étrangers viennent se former à la gestion des risques d’atteinte par virus et bactéries. Le spectre d’un conflit est pour l’Etat français un moteur d'auto-défense provoquant un maillage sécuritaire servant l'intérêt collectif.

Les plans PIRATOX, BIOTOX, PIRATOM, et tous ceux qui sont issus de l’expérience de la guerre froide ou qui ont évolué dans son prolongement étaient et sont toujours concrètement applicables sur le terrain. Il n'a jamais été question d'attendre l'avis d'un comité scientifique pour savoir si la population devait ou non porter des moyens de protection en fonction d'une menace identifiée. Ils étaient d'ailleurs stockés dans d'immenses hangars sous haute surveillance. Leur distribution était planifiée, jusqu'à la désignation des conducteurs qui devaient les livrer à des endroits prédéfinis.

Tout était déjà tranché, écrit noir sur blanc au sein de plans à appliquer. Il a fallu des décennies de réflexions sécuritaires pour y arriver.
Sauf que cette belle et efficace organisation de défense de la population a été mise à mal dès l'effondrement du mur de Berlin le 9 novembre 1989, et de la disparition subite de l'URSS. A partir de cet instant, sans ennemi déclaré, le monde pensait vivre en paix et faire l’économie de l’apprentissage d’un savoir-faire d’auto-protection devenu superflu. Les formations aux postures de sauvegarde, les matériels de détection et de décontamination, les équipements sanitaires spécialisés, les recherches des meilleurs experts, la grande école NBC ...tout ceci est passé à la trappe. La connaissance d’hier a disparu comme si l’on devait avoir mauvaise conscience de s’en rappeler. La France est devenue amnésique. 

Du jour au lendemain, les plans créés n'avaient plus leur utilité. A force de croire à l'utilisation de virus à des fins militaires, on en a oublié que les virus sont aussi vieux que la vie elle-même. Ils sont inscrits dans notre ADN, façonnant la saga humaine par la mutation et la résistance. Le coronavirus nous rappelle qu’un virus n’a pas besoin d’un vecteur autre que celui humain pour agresser la population mondiale.
Les jeunes générations de français ne connaissent donc pas l'enseignement apporté par le jeu de la guerre froide. Au contraire de faire preuve d'humilité, chacun pense tout réinventer en partant de rien alors que tout est déjà écrit et rangé dans de veilles armoires poussiéreuses. Avant même de tout réapprendre, il suffirait juste de faire preuve de bon sens pour reprendre une activité professionnelle dans des conditions acceptables de sécurité.

Eric BONNET
Risk Manager
Expert sûreté sécurité
Consultant en Défense Nucléaire Biologique et Chimique
Chargé des formations Risk Magement pour LEX SQUARED avocats