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« Le tic-tac de l'horloge climatique »

Christian de Perthuis
04/11/2019



Le nouvel ouvrage de Christian de Perthuis, « Le tic-tac de l'horloge climatique », revient sur le sujet qui préoccupe le plus les français : le changement climatique.



Alors que les mauvaises nouvelles s’accumulent, peut-on espérer voir évoluer le débat et les idées reçues sur ce sujet ?

Comme vous le rappelez les nouvelles ne sont pas « bonnes ». Les aiguilles de l’horloge climatique tournent irrémédiablement tant que le stock de CO2 accumulé dans l’atmosphère n’est pas stabilisé. Il reste peu de temps pour y parvenir. Si on reste sur le même tempo, on ne sera pas dans les clous et le réchauffement global dépassera 3° C, voire plus.

Face à cette situation d’urgence, la tentation est de sombrer dans le catastrophisme, voire la « collapsologie ». Ce n’est pas la bonne réaction. Je vois deux ruptures qui modifient radicalement les termes du débat. La première est socio-politique : partout, le climat s’impose au centre de la scène politique. Hier affaire d’experts débattant dans leur microcosme, il concerne désormais les citoyens qui demandent des comptes au politique et réclament des solutions.

La seconde rupture est économique : depuis un siècle et demi, le monde empile les énergies fossiles - charbon, pétrole, gaz - qui ont rejeté à la périphérie du système énergétique les sources décarbonées. L’effondrement des coûts des renouvelables, du stockage de l’électricité et de la gestion des réseaux intelligents redistribue les cartes. Les sources fossiles vont à leur tour être rejetées à la périphérie du système, et avec elles les émissions de CO2. La question clef pour le climat est de savoir à quel rythme cela va s’opérer. L’accélération de la transition énergétique est nécessaire pour reprendre la main face au mouvement des aiguilles de l’horloge climatique.   

Vous abordez la question de la justice sociale dans l’évolution de nos modèles.  Pouvez-vous nous faire part de votre analyse en synthèse ?

Quand j’ai démarré mes recherches sur le climat, je pensais que la tarification du CO2, par des taxes ou des marchés de quotas, serait le principal levier d’accélération. Aujourd’hui, cette tarification reste nécessaire pour engager une cure massive de désintoxication en désinvestissant des énergies fossiles. Mais je considère que le véritable levier d’accélération consiste à coupler cette tarification avec des critères rigoureux de justice climatique.

Le réchauffement global frappe en premier lieu les plus démunis qui ont le moins contribué aux émissions de gaz à effet de serre. Il aggrave les inégalités préexistantes. Pour être mobilisatrice, toute politique climatique, tout accord climatique international, doit en premier lieu comporter un volet pour accroître la résilience des plus vulnérables face aux impacts du réchauffement.

C’est le premier critère de justice climatique que je propose dans le livre. J’en ajoute trois autres : se soumettre à un système indépendant de mesures et vérifications sous contrôle des scientifiques du GIEC ; appliquer le principe du pollueur-payeur en imputant les coûts du changement climatique aux émetteurs de gaz à effet de serre ; corriger les effets anti-distributifs des actions de réduction des émissions, tant au plan local qu’international.

Les mécontentements qui s’expriment aujourd’hui à travers le monde sont-ils liés, selon vous à cette question de la justice ?

Bien entendu. Nous sommes bien placés pour le constater en France. La fronde des « gilets jaunes » a été déclenchée par les relèvements conjugués de la taxe carbone et de celle sur le diesel. Au départ indolores, ces hausses se sont ajoutées à partir de 2017 au redressement des cours du pétrole et du gaz. En l’absence de toute communication gouvernementale, c’est d’abord l’incompréhension qui a prévalu.

Notamment pour le renchérissement du diesel que les gouvernements successifs ont longtemps soutenu, y-compris au nom de climat ! Mais ce qui a fait déborder le vase c’est le sentiment d’injustice très largement due à l’indigence des mesures d’accompagnement : pour le relèvement du coût des énergies de chauffage, un « chèque énergie » en réalité un bon d’achat aidant les bénéficiaires à régler leurs factures d’électricité, de gaz ou de fioul domestique. Aucun accompagnement à court terme pour les carburants, la prime à la reconversion des vieux véhicules diesel, en dépit des affirmations gouvernementales, ne pouvant être considérées comme une mesure sociale : toutes les études sérieuses montrent que ce type de mesure bénéficie aux vendeurs et non aux acheteurs.

Dans le monde, nombre de révoltes sociales se déclenchent en réaction à des politiques visant à réduire les subventions qui maintiennent trop bas le prix des énergies fossiles.

Mais en même temps, on assiste à des mouvements de citoyens qui assignent en justice leurs gouvernements qui n’en font pas assez face au climat.

C’est ce même sentiment d’injustice qui explique le succès de la pétition « l’affaire du siècle » qui a abouti à une assignation du gouvernement français pour carence des politiques climatiques. Aux Pays-Bas, les citoyens néerlandais ont obtenu gain de cause auprès de la Cours suprême. Le recours conduit en France dans le cadre de « l’affaire du siècle » finira sans doute devant le Conseil d’Etat qui devra trancher. Si de telles jurisprudences se multiplient, ce seront autant d’aiguillons pour mettre en place des politiques climatiques plus justes.   
 
Vous prônez des mesures contraignantes, pensez-vous que nos sociétés puissent réformer leur modèle sans violence ?
 
Je ne crois pas aux scénarios de transitions linéaires vers une société bas carbone, s’opérant miraculeusement, sans contradictions ni tensions. Nous assistons en réalité à une bataille entre deux modèles de capitalisme. Le modèle « thermo-industriel » basé sur les fossiles qui a vécu, et le modèle « post-carbone » basé sur les énergies renouvelables et la gestion intelligente des réseaux qui va s’imposer.

L’issue de la bataille ne fait aucun doute, mais son impact sur le climat dépendra en premier lieu de la rapidité de la transition. Revenons à la violence : le capitalisme thermo-industriel a connu sa cohorte de violences, y-compris guerrières. Le capitalisme post-carbone reste basé sur les ressorts classiques de l’accumulation. Voyez les conditions d’extraction de nombreux métaux utilisés pour la production de masse des cellules photovoltaïques, des batteries, des réseaux énergétiques intelligents. Voyez ses valeurs consuméristes et individualistes qui sont d’une grande violence pour les exclus. Mais le capitalisme post-carbone porte en germes les conditions de son propre dépassement. C’est pourquoi j’ai intitulé la conclusion de mon livre : la « promesse d’un monde meilleur ».