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Jérôme Auriac : « une entreprise incapable de faire sa révolution sociétale est une entreprise qui meurt »

06/07/2012



Fondateur et Directeur du cabinet Be-linked, Jérôme Auriac a fait de la question de la relation entre les ONG et les entreprises sa spécialité. Fort de son expérience de manager au sein de structures comme Novethic ou l’agence Manifeste, il enseigne l’innovation sociale et l’entrepreneuriat social dans les pays en développement au sein de la chaire social business de HEC Paris. Par ailleurs président de l’ONG Abaquar, impliquée dans le développement local au Brésil, Jérôme Auriac œuvre en faveur de la création d’interfaces entre les entreprises et les acteurs de la société civile.



Jérôme Auriac : « une entreprise incapable de faire sa révolution sociétale est une entreprise qui meurt »

RSE Mag : Quelles sont les principales difficultés dont pâtissent les relations ONG/entreprises ?

 Deux points essentiels me semblent être à l’origine de ces difficultés. Le premier est le manque de professionnalisme de ces relations. Il est rare en effet, et notamment chez les entreprises, que ces relations fassent l’objet d’une stratégie claire, bien définie et systématiquement pilotée. Tous les types d’entreprises sont concernés par cette carence. Les grandes entreprises françaises n’échappent pas à ce phénomène et réalisent à cet égard des performances très moyennes. C’est d’ailleurs ce que nous avons récemment mis en lumière dans une étude réalisée sur le sujet en partenariat avec Novethic.

Par ailleurs, on observe que ces relations sont souvent organisées de façon fragmentée au sein de l’entreprise. Il est par exemple rare que l’on trouve une fonction dédiée disposant des ressources nécessaires pour agir de façon transversale dans les entreprises. Ces dernières pâtissent de cette absence de vision globale de leur relation avec ces organisations de représentation de la société civile ; les aider à dépasser cette situation est donc ce qui fait le cœur de notre activité.

RSE Mag : Selon vous, dans quel sens les relations entre la société civile et les entreprises ont-elles évolué depuis votre entrée dans le métier ?

De mon point de vue, une tendance à la multiplication des interactions entre les entreprises et la société civile se distingue nettement. Elle est due à plusieurs facteurs. Le premier est mathématique : dans le monde entier et plus spécifiquement dans les pays du Sud qui ont récemment effectué leur transition démocratique, la multiplication des organisations de représentation des intérêts de la société civile et l’évolution de leurs niveaux d’expertise résulte en une sollicitation accrue des entreprises.

Le second facteur est d’ordre technique et technologique. L’appropriation par tous des nouveaux outils de communication a en effet donné une véritable force à la constitution de réseaux associatifs et à la transmission d’informations. L’augmentation du nombre de relais d’idées participe évidemment à l’accroissement de la fréquence des rencontres entre les entreprises et la société civile.

Le troisième facteur est lié à l’évolution de la norme. Depuis les 15 dernières années en effet, des contraintes inédites s’imposent aux entreprises. Pour poursuivre leurs activités, celles-ci doivent se plier à de nouvelles exigences de gouvernance qui se traduisent notamment par une demande de transparence accrue en matière environnementale et sociale. C’est dans cette dynamique que s’inscrit l’émergence du concept de RSE, par ailleurs largement portée par l’action des ONG.

RSE Mag : Identifiez-vous des bénéfices mutuels récurrents dans le cadre d’échanges entre entreprises et ONG ?

En réalité, ces bénéfices dépendent intimement du type d’échange envisagé. On pourrait en citer une cinquantaine. Les rencontres à l’occasion de tables rondes multipartites, le mécénat, le transfert de compétence, les produits-partages, le conflit, le lobbying sont autant de types d’échanges susceptibles de bénéficier de différentes façons et à des degrés divers aux entreprises et aux ONG de façon réciproques.

Ces bénéfices sont aussi susceptibles de varier en fonction de la nature des entreprises et des ONG considérées. On peut toutefois en dresser une liste de bénéfices récurrents pour chacune de ces deux parties prenantes dans le cadre d’une collaboration par exemple. Du côté des ONG, ce type d’échanges permet bien sûr l’accès à une source de financement supplémentaire. Mais cela leur confère aussi bien souvent une capacité accrue à influencer certaines pratiques de l’entreprise ainsi qu’une meilleure visibilité, car cette dernière est un vecteur médiatique qui se déploie en direction des salariés et des clients. Enfin, la collaboration permet aussi très souvent aux ONG d’accéder à des expertises dont elles sont dépourvues. De leur côté, les entreprises retirent fréquemment de nouvelles capacités d’innovation de leur collaboration avec les ONG qui les sensibilisent à des enjeux qu’elles ignorent parfois. Les échanges de type collaboratif sont aussi très créateurs de sens pour les salariés et constituent un levier de mobilisation. Enfin, cela favorise l’intégration territoriale des entreprises et valorise également leur réputation.

RSE Mag : Quels types d’indicateurs privilégiez-vous en matière de reporting de RSE lorsque vous conseillez une entreprise avec Be-linked par exemple ?

Nous procédons véritablement au cas par cas. Pour nous, le recours à des indicateurs standardisés et transposables est nécessairement réducteur et inadapté. Il y a toutefois des critères d’appréciation qui sont effectivement les mêmes pour tous les secteurs et tous les types d’entreprises : y a-t-il un projet de RSE ? Se traduit-il par l’élaboration d’une stratégie ? Cette stratégie se voit-elle effectivement dotée en moyens ? Peut-elle se décliner clairement en pratiques ? Ce sont là des questions de bon sens, mais elles constituent l’occasion de remettre à plat la cohérence de l’entreprise et de constater si elle fait ce qu’elle dit et dit ce qu’elle pense, de façon professionnelle. À partir de cette réflexion, on peut alors travailler à l’élaboration de tableaux de bord permettant de voir comment l’entreprise maitrise ses impacts et quel rôle joue la relation avec les ONG dans cette maitrise.

RSE Mag : En tant que professionnel, pensez-vous que l’absence de certification soit un obstacle à la généralisation de l’effort de responsabilité sociale et environnementale au sein des entreprises ?

Il s’agit d’une question difficile à trancher. Pour les ONG, la vocation de l’ISO 26 000 à ne pas délivrer de certification est certainement perçue comme un obstacle. L’objectif des ONG est de faire bouger les lignes, de faire changer les pratiques des entreprises et de leur faire passer des caps. Pour cela, il leur est donc nécessaire de se référer à des normes et la popularisation d’une certification internationale et harmonisée leur donnerait assurément un outil puissant.

De mon point de vue de consultant néanmoins, il me semble que l’implication significative des entreprises dans la RSE prend toujours pour point de départ un intérêt propre. À ce sujet, comme dans tous les sujets qui touchent au management d’une organisation, aucune forme de certification ne saurait se substituer à la force du volontarisme qui se trouve d’ailleurs bien souvent à l’origine des initiatives de RSE les plus remarquables. Par exemple, l’intégration d’ONG dans des systèmes de gouvernance d’entreprise parallèle aux systèmes traditionnels est à mon sens une excellente chose.

Aujourd’hui, une entreprise incapable de faire sa révolution sociétale est une entreprise qui meurt. Une entreprise qui ne prend pas en compte la problématique de l’intégration territoriale, qu’elle soit économique, culturelle ou dans ses interactions avec les différents acteurs de la société civile en partant s’installer à l’étranger ne sera pas compétitive. Dans ce contexte, une certification en matière de RSE est une force incitative additionnelle. Mais les pratiques et la norme n’ont pas attendu une telle certification pour amorcer leur évolution ; certaines entreprises s’y conforment avec plus ou moins de succès, mais toutes changent d’ores et déjà, selon des modalités et des degrés différents, leurs façons de faire.






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