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Entretien avec Stefano Costa, Directeur General - Division Environnement CNIM

« Toutes les énergies renouvelables ont leur place sur les marchés énergétiques de demain »

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08/01/2014



A l'occasion de notre rencontre avec Stefano Costa, nous l'avons interrogé sur le regard qu'il porte, en tant qu'industriel, sur le potentiel et la maturité des nouvelles technologies environnementales et énergétiques.



Stefano Costa, groupe CNIM (Crédit: CNIM)
Stefano Costa, groupe CNIM (Crédit: CNIM)

On dit souvent des nouvelles technologies énergétiques et environnementales qu’elles n’ont pas encore atteint le seuil de la rentabilité économique. Comment appréciez-vous cette idée largement répandue ?

Il y a plusieurs types de « nouvelles technologies énergétiques ». Mais la majorité n’est pas encore à niveau pour notre économie, encore largement assise sur l’électricité nucléaire. Le nucléaire restera encore longtemps la source d’énergie la plus économique, avec ensuite le charbon et les combustibles traditionnels (gaz et pétrole). Les énergies renouvelables arrivent seulement ensuite. Ces dernières nécessitent de plus des aménagements très imposants pour des puissances électriques encore modestes malgré des progrès constants. Dans le domaine de l’énergie éolienne par exemple, nous sommes passés en quelques années de 500 kWatt par éolienne à 2MWatt, voire jusqu’à 6 ou 7 MWatt sur les derniers modèles. Un parc éolien avec des éoliennes possédant ces caractéristiques permettra de réelles économies d’échelle. Mais cela restera pour l’instant toujours plus cher que les énergies traditionnelles.

Le solaire nécessite de la même façon l’installation de vastes parcs de panneaux. En termes de capacités électriques, la technologie actuelle permet d’obtenir des puissances de l’ordre de 20 MWatt pour un parc de taille standard et jusqu’à 280 MWatt pour la centrale solaire à concentration de Phœnix aux Etats-Unis. Mais même dans ce cas de figure, aux Etats-Unis, l’électricité d’origine solaire est toujours 25% plus chère que les prix du marché. En France, compte tenu de notre ensoleillement moyen et de la place disponible pour un projet de cette importance, ce serait vraisemblablement le double.

Par contre, dans le cas de la biomasse, c’est-à-dire, entre autres, la combustion du bois considéré comme une énergie renouvelable, l’électricité produite n’est « que » 40% plus cher que l’électricité nucléaire (particulièrement bon marché en France). Naturellement cela dépend des centrales et du niveau d’optimisation des chaudières.

Certains projets, comme la centrale de cogénération biomasse Kogeban, commence à faire parler d’eux auprès de collectivités territoriales du monde entier. Quels sont l’intérêt et les perspectives de cette technologie ?

La centrale Kogeban fonctionne selon le principe de la cogénération : elle utilise la chaleur résiduelle du cycle vapeur pour fournir de l’énergie de chauffage et de la vapeur sous pression (pour utilisation industrielle) en plus de l’électricité produite par l’alternateur. L’autre intérêt de cette technologie est d’utiliser un combustible au coût abordable et renouvelable. Enfin la biomasse est technologiquement peu intensive et ne nécessite pas de ruptures technologiques majeures ou d’investissements démesurés.

La centrale Kogeban a une puissance unitaire (par chaudière) de 16 MWatt, mais nous avons un projet en cours de finalisation en Angleterre d’une puissance unitaire de 29 MWatt. Naturellement un site peut regrouper plusieurs chaudières pour un seul alternateur, un seul circuit vapeur et un seul circuit d’approvisionnement en combustible. Chaque segment peut être optimisé séparément. Mais d’ici 2020, nous n’attendons pas de développements technologiques suffisamment significatifs pour changer de modèle énergétique.

Le bois représente par contre une véritable énergie alternative qui prend une place de plus en plus importante dans les mix énergétiques des pays européens, en particulier en Angleterre, en Allemagne, mais également en France où une autre usine de type Kogeban est en cours de construction. L’Italie connait aussi des développements importants dans le domaine de la biomasse. Mais il faut être lucide sur la réalité de la place économique de ces énergies pour l’instant. L’Allemagne par exemple fait énormément de publicité autour de son utilisation d’énergies renouvelables, alors que 50% de son électricité est produite à partir du charbon ou des centrales nucléaires françaises. La biomasse y occupe une place minoritaire.

Avec LAB Gmbh, votre groupe dispose d’une certaine expertise dans le domaine du retraitement des fumées. Jusqu’où peut-on aujourd’hui « épurer » les émissions industrielles ?

Nous disposons en réalité de deux filiales LAB : la plus importante, LAB SA, est à Lyon, et LAB Gmbh, destinée à intervenir principalement sur le marché allemand, est située à Stuttgart. Dans les deux cas, nous avons deux axes majeurs de développement : une filtration la plus poussée possible et un coût d’utilisation le moins élevé possible (en consommation de réactifs de filtration notamment). Les développements technologiques actuels n’ont pas seulement pour but de filtrer les fumées des centrales à cogénération de biomasse que nous développons, mais aussi d’épurer les fumées des centrales traditionnelles, au pétrole ou au charbon, et les centrales d’incinérations de déchets. Ces dernières constituent notre marché le plus important pour ce qui est de l’épuration des fumées.

Notre entreprise met ainsi en œuvre des produits à la pointe des développements technologiques, ce qui nous a permis de pénétrer les très contraignants marchés d’Europe du Nord, en particulier la Scandinavie. Ces pays ont des normes et des exigences en matière de filtration parmi les plus sévères au monde, raison pour laquelle nous nous démarquons de nos concurrents sur ces contrats. Pour illustrer cela nous pouvons prendre l’exemple de la filtration des oxydes d’azote (NOx). La législation européenne fixe la limite à 200 mg/m3 de fumées rejetées dans l’atmosphère. Mais les législations nationales sont souvent plus contraignantes : 100 mg/m3 en France ou 70 au Pays-Bas par exemple. CNIM s’est engagé à réaliser la filtration d’une usine à Dortmund en Suède ne dépassant pas 15 mg/m3 de rejets. Au final nous sommes parvenus à un résultat de 8 mg/m3. Naturellement ce type de performance nécessite des investissements plus conséquents dans les systèmes de filtration. C’est la raison pour laquelle, entre deux usines d’incinération de déchets de capacité équivalente, par exemple 200 000 tonnes de déchets par an, le système de filtration coûtera environ 15 millions d’euros aux Pays-Bas et le double en Suède. Les systèmes que nous réalisons dépendent des spécifications exigées par le client, et sont donc adaptés au cas par cas à la règlementation et aux besoins.

La France est théoriquement en pleine « transition énergétique ». Que pensez-vous des progrès réalisés dans ce domaine ? Pensez-vous notamment que le potentiel de la biomasse est exploité à sa juste valeur ?

A titre tout à fait personnel, je ne pense pas que nous ayons entamé une quelconque transition énergétique. Notre système de production énergétique repose aujourd’hui sur le nucléaire et cette situation va sans aucun doute encore perdurer longtemps. Certes la part des énergies renouvelables, et de la biomasse en particulier, dans le mix énergétique va augmenter dans les années à venir, mais très probablement sans remettre en cause les grands équilibres actuels.

La progression générale de la transition énergétique me semble très lente, mais d’un point de vue économique, je ne pense pas qu’il faille aller plus vite. De manière globale, il est intéressant et utile d’avoir des sources d’énergies alternatives et il faudra faire de la place pour la biomasse ou l’éolien. Mais forcer une transition à marche forcée serait surtout le meilleur moyen d’obtenir une énergie simplement plus chère. De plus il existe d’autres pistes possibles qui pourraient supplanter les énergies renouvelables dans l’avenir, comme la fusion nucléaire, même si cette énergie ne sera probablement pas utilisable avant des décennies.

Bâtir un modèle économique viable et pérenne dans les « greentechs » relève, manifestement, du parcours du combattant pour les nouveaux entrants. Comment l’expliquez-vous ?

Les nouveaux entrants sont la plupart du temps des PME ultra-spécialisées qui proposent des produits reposant sur un seul type d’énergie : éolien, biomasse, solaire ou géothermie. Or, pour les entreprises, l’une des clés de la survie réside dans la diversification. Cette diversification n’est pas toujours possible pour des entreprises jeunes de petite taille, très dépendantes des fluctuations d’un marché par nature aléatoire. CNIM ne s’est pas construite sur le secteur de l’énergie, mais nous avons investi avec succès des créneaux industriels potentiellement prometteurs. C’est en raison de nos capacités industrielles et de notre potentiel d’ingénierie que nous avons abordé le marché de l’énergie sous plusieurs angles : énergies nucléaires (ITER et fusion nucléaire), combustion de biomasse, solaire thermique à concentration et incinération de déchets. Ce n’est qu’après cette phase de diversification que nous avons pu mettre en avant une véritable expertise dans le domaine dans lequel nous sommes devenus très performant, la cogénération de biomasse. Avec trois usines actuellement en construction, nous pouvons considérer cette stratégie comme un succès.

La ville autonome en électricité et en chaleur, c’est déjà pour demain ?

L’autonomie est une question centrale de nombre de politiques nationales. La production énergétique nationale doit reposer sur plusieurs sources, de façon à ne pas être dépendant d’une unique ressource ou d’un seul fournisseur, que ce soit pour des raisons industrielles ou politiques. Nombre de pays essaient de donner une place plus importante au solaire et à l’éolien, mais principalement pour des raisons stratégiques de diversification des sources d’approvisionnement et, à terme et dans l’idéal, d’autonomie énergétique.

Pour une ville, l’autonomie va reposer en premier lieu sur son emplacement géographique et sur ses accès à un « bassin énergétique », c’est–à-dire un lieu permettant la production d’énergie renouvelable.  Au Danemark par exemple, l'île de Samsø ou une ville comme Thisted sont très proches de l’autonomie énergétique totale. Mais elles ont bénéficié pour cela d’emplacements favorables : des zones agricoles, avec une disponibilité en matière de biomasse importante. Dans une des centrales à combustion de biomasse, trois chaudières brûlent respectivement du bois, de la paille et les déchets de la ville. Du coup la ville produit 100% de son électricité et de sa chaleur à partir de combustibles présents sur place. La ville autonome existe donc déjà. Mais dans le cas de villes comme Lyon ou Paris, l’autonomie énergétique n’est pas encore techniquement envisageable, car les déchets représentent bien souvent le seul combustible disponible sur place.

La situation est encore différente aux Etats-Unis, où certaines zones disposent de réserves de pétrole sur place, et d’un ensoleillement très favorable. L’autonomie énergétique se heurte à des questions techniques mais aussi à des questions économiques. De manière générale, on constate que plus la production d’énergie est concentrée, au moins géographiquement parlant, plus elle est économique. L’énergie nucléaire est ainsi la plus concentrée des énergies, et c’est aussi la moins chère. Si l’utilisation d’énergies renouvelables est souhaitable, elle nécessite néanmoins de recourir à plusieurs types d’énergies complémentaires, dont les infrastructures ne sont pas superposables. Tout cela a un coût, et l’autonomie risque d’être un pari au final très coûteux pour des régions qui ne disposent pas des caractéristiques géographiques requises. La piste d’une intégration européenne en matière de production énergétique me parait beaucoup plus prometteuse et économiquement plus viable.





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