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Entretien avec Gilles Ramzeyer

« L’off Grid, c’est l’indépendance par rapport au réseau »

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08/11/2013



L’architecture et l’organisation des réseaux de production et de distribution électriques subissent de profondes mutations, dans le contexte de la transition énergétique en cours. Révolution silencieuse, le principe du "off Grid" pourrait bouleverser notre rapport à l’énergie. Gilles Ramzeyer, directeur de la division stockage d’énergie pour Forsee Power Solutions, nous explique comment.



Gille Ramzeyer (crédit Forsee Power Solutions)
Gille Ramzeyer (crédit Forsee Power Solutions)

Pouvez-vous commencer par nous expliquer en quoi consiste le concept de « off Grid » et ce qu’il changera dans l’organisation énergétique de nos sociétés ?

L’off Grid, c’est l’indépendance (totale ou partielle) par rapport à un réseau physique de distribution d’énergie : je produis tout ou partie de ce que je consomme. L’off Grid est le résultat technique et pratique de l’observation des tendances telles qu’on les perçoit dans le monde de l’énergie.

La première tendance que l’on observe est celle d’une augmentation généralisée de l’utilisation d’énergie au sens général. Cette pression sur la demande engendre une augmentation des prix de l’énergie : l'augmentation des prix d'EDF au 1er Août 2013 et 2014 prévue en France correspond à +5% sur le tarif régulé, même si en France, l’électricité est à considérer comme bon marché. La deuxième tendance concerne les énergies renouvelables : on constate une diminution, voire une disparition des tarifs de rachat de l'énergie renouvelable.

En France et en Allemagne ces tarifs de rachat ont diminué, mais ils ont quasiment disparu en Espagne et en Italie. L’électricité du réseau coûte de plus en plus cher alors que celle produite grâce aux énergies renouvelables est revendue elle à un prix de plus en plus faible ou elle n’est pas rachetée du tout. Cette évolution concernant les énergies renouvelables s’accompagne d’une baisse significative des prix du photovoltaïque (PV) qui a baissé de 50 à 70% en quelques années.

L’ensemble de ces tendances nécessite des arbitrages mais crée donc aussi des opportunités, du fait du développement de système de stockage de plus grande capacité. Sont désormais disponibles des systèmes de batteries au lithium "grand format", avec des puissances de l’ordre du kWatt (voire même du MWatt pour la régulation de fréquence). Elles sont désormais plus abordables, avec des durées de vie plus longues, et un bilan environnemental bien meilleur que les anciennes batteries au plomb. Dans ces conditions, l’intérêt des particuliers ou des entreprises n’est plus de produire pour revendre, mais de produire pour consommer, d’où l’émergence du concept d’off Grid.

Dans les pays développés, les consommateurs essaient de se prémunir contre l’augmentation des prix de l’électricité en auto-consommant. A tout cela s’ajoute un phénomène socio-économique de plus en plus prégnant dans l’ensemble des pays qui est la volonté d’indépendance, l’envie de s’affranchir des réseaux et de produire sa propre consommation. À l'horizon 2030 ou 2050, nous allons clairement vers une autonomisation croissante des styles de vie dans les pays développés mais aussi dans les PVD.

Comment organiser la transition entre notre modèle actuel, centralisé et hiérarchisé, et cette nouvelle approche fondée sur la décentralisation et l’autonomie ?

Dans un premier temps, on peut imaginer un système d’autoconsommation de la production PV, sans système de stockage sur batteries, en faisant disparaitre progressivement les tarifs de rachat. De la sorte, on peut en moyenne auto-consommer 30% de l'énergie produite par le PV. L’étape suivante pourrait être celle passant par l’acquisition d’un système de stockage, qui permet pour un client résidentiel type (soit entre 5 et 8 kWatt/) d’envisager 70 d’autoconsommation d’électricité d’origine PV générée par le système.

Pour envisager une autoconsommation de 100%, il faut déjà distinguer plusieurs choses, car consommer 70% de mon électricité d’origine PV et couvrir 70% de mes besoins en électricité sont deux choses très différentes. Le véritable off-Grid, consistant à couvrir 100% de mes besoins en électricité, en énergie PV ou autres énergies renouvelables, est extrêmement difficile. Pour y parvenir, il faudrait des mesures très fortes d’encouragement, en commençant par d’importantes mesures d’économies d’énergies.

Ensuite il faudrait améliorer encore substantiellement le rendement surfacique des panneaux solaires, le but étant de produire plus d’électricité à partir de la même surface de panneaux et du même ensoleillement. Il y a encore des progrès possibles de ce côté. La diminution continue du prix des batteries permettra également, à prix égal, d’installer des systèmes plus gros et plus performant, permettant de stocker et de restituer plus d’énergie.

En tant qu’intégrateur de systèmes de batteries, quelle est précisément votre valeur ajoutée dans le domaine du stockage d’énergie ?

La grande force de Forsee Power Solutions, c’est une expérience significative dans le domaine de la batterie. Forsee Power Solutions a été constitué officiellement en juin 2011 via le rassemblement de trois sociétés qui cumulent chacune entre 20 et 25 années d’expérience dans le domaine du stockage d’énergie. Nous avons du coup une très forte légitimité sur ce secteur du fait d’une excellente compréhension technique et économique des systèmes de stockage. Nous concevons, produisons et intégrons des modules, c’est-à-dire les cellules intégrées autour d’un système BMS.

Progressivement nous développons et fiabilisons des systèmes intégrés qui comprennent onduleur, EMS et toute l’interface software constituant un système complet de stockage d’énergie. A cet ensemble vient s’ajouter en amont une source de génération électrique (PV, éolien, cogénération…). Forsee Power Solutions est en mesure d’assurer aussi bien le design que la fabrication de systèmes répondant précisément aux besoins spécifiques d’un marché ou d’un client. Nous travaillons avec des partenaires technologiques majeurs (japonais, coréens ou américains) qui nous fournissent des produits répondant à des critères précis de coûts et d’efficacité (nombre de cycles, températures de fonctionnement…). Par exemple, en milieu tropical, les températures de fonctionnement sont très élevées, à notre niveau nous allons concevoir un produit capable de fonctionner de manière optimale (contraintes de prix et de fonctionnement) dans un environnement de ce type en toute sécurité.

Concernant les systèmes d’autoconsommation résidentielle, il existe au niveau mondial un certain nombre d’acteurs qui proposent des solutions techniques. Mais à titre commercial, il y a peu d’offres véritables. Forsee Power Solutions propose commercialement des solutions d’autoconsommation, des modules et des batteries d’un niveau de fiabilité sans commune mesure avec la norme du marché. C’est la différence entre ceux qui proposent des systèmes préconçus et ceux qui déploient des systèmes sur mesure. Ce marché est un marché pilote, qui trouve ses marques doucement et sur lequel nous apprenons, testons et optimisons encore la forme que doit avoir le produit final. Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur EDF et de bénéficier ainsi d’une R&D d’excellent niveau. Mais nous avons également pour partenaires le Commissariat à l’Energie Atomique et l’Institut Nationale de l’Energie Solaire. Ce sont des partenaires technologiques majeurs avec lesquels nous développons des solutions d’une grande fiabilité.

Un particulier pourrait-il réellement être auto-suffisant en énergie électrique et de chauffage à l’aide d’énergies renouvelables ?

La réponse peut être différente selon le type de client. Si nous considérons tout d’abord le cas d’un particulier rural, qui dispose d’importantes surfaces aménageables, l’autonomie à 100% est d’ores et déjà techniquement possible, mais à un coût élevé. Mais la baisse continue des coûts et l’augmentation des performances pourraient rendre cette solution envisageable à moyen terme à un coût abordable.

Pour un citadin par contre, l’équation risque de rester encore longtemps techniquement insoluble. La surface disponible par citadin est extrêmement réduite. Sur le court et moyen terme, l’autonomie n’est pas envisageable techniquement, sans même aborder la question du coût. Au-delà du coût, le problème de fond reste surtout la quantité d’espace dont on dispose pour déployer des systèmes de production et de stockage d’énergie.

Comment les caractéristiques des batteries évoluent-elles ?

Pour comprendre il n’y a qu’à observer les applications mobiles des batteries (ordinateurs portables, smartphones…). Ce marché est de loin le premier pour les batteries lithium. Sur ce marché, les améliorations portent essentiellement sur la densité massique d’énergie, c’est-à-dire la quantité d’énergie disponible pour une certaine masse de composants actifs. Or, cette densité pourrait être doublée d’ici moins d’une décennie, grâce à l'apparition des anodes aux nanotubes de silicium. Au-delà de la masse, nous travaillons également sur l’optimisation du volume et donc de l’encombrement.

Quoiqu’il en soit, poids et volume sont deux données en constante diminution pour une même quantité d’énergie au final. Les autres évolutions en cours concernent la sécurisation maximale des batteries, pour contrôler tous les risques inhérents à l’utilisation de nouvelles technologies, notamment les risques d’incendie. Par exemple aujourd’hui nous remplaçons des électrolytes liquides inflammables par des électrolytes solides. 

Quel est l’avenir des technologies en la matière ? Quels sont les défis technologiques qu’il reste à affronter ?

Compte des évolutions et des exigences du marché, l’enjeu principal me semble être celui de la diminution des prix. On sait qu’aujourd’hui, une grande partie des solutions de stockage stationnaire sont constituées de systèmes au plomb : voitures, tours télécoms, solutions de back-up… Mais les performances de ces systèmes plafonnent à 15Watt/h/kg. Le lithium permet des performances dix fois supérieures. Mais l’enjeu à court terme, reste la diminution des coûts, et donc des prix, par économies d’échelle. A moyen terme, les changements radicaux vont probablement impliquer la maitrise opérationnelle de batteries à circulation, aussi appelée batteries redox, qui utilisent des électrolytes bon marché (mélanges Fer/Fer ou Fer / Chrome à la place du vanadium par exemple).

Une autre évolution à long terme concernera la maitrise des technologies de cathodes à air, par exemple pour les batteries rechargeables au Zinc-Air, et plus tard, du Lithium- Air. Il s’agira là de ruptures technologiques radicales, mais avec toujours le même souci d’une sécurisation maximale de ces nouvelles technologies, pour rassurer le consommateur et assurer un futur déploiement dans de bonnes conditions.






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