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Entreprises coopératives, franchises, « un état d’esprit différent » pour Jean-Christophe Grall, avocat au barreau de Paris.

La Rédaction
02/04/2014



Objets de nombreuses confusions et autres amalgames, les modèles économiques et de gouvernance des entreprises franchisées et des coopératives représentent des cas particuliers dans le paysage entrepreneurial français. Explications et décryptage par Jean-Christophe Grall, avocat au barreau de Paris.



Pouvez-vous commencer par définir précisément ce que sont, au regard du droit, une coopérative et une franchise, et les différences essentielles que ces statuts juridiques recouvrent ?

La différence n’est pas d’ordre sémantique mais juridique. Les franchisés adhèrent à un réseau de franchise, via un contrat de franchise. Dans une franchise, le commerçant qui exploite un point de vente d’une enseigne, généralement connue, réitère le savoir-faire que lui transmet le franchiseur, que lui-même a acquis en exploitant à l’origine son propre fonds de commerce. Les franchisés vont bénéficier d’une assistance de l’ouverture à la fermeture du point de vente, en plus des signes distinctifs d’une marque ou d’une enseigne. Mais, de manière générale, ils n’ont aucune détention capitalistique dans la structure du franchiseur.

Dans une structure coopérative, les adhérents sont associés d’une société coopérative. Cela signifie qu’ils détiennent une participation capitalistique dans la société coopérative et ils exploitent ensuite un ou plusieurs fonds de commerce. Les adhérents coopérateurs sont actionnaires de la structure sociétaire coopérative. Aucun équivalent strict du contrat de franchise ne se retrouve pas dans le cadre des sociétés coopératives. Mais il y a entre la société coopérative et ses adhérents un contrat de licence d’enseigne, dans lequel la société coopérative va concéder un droit pour exploiter une marque, qui permettra au commerçant détaillant d’arborer l’enseigne. Dans ce contrat figure également une clause d’assistance.

Comment ces différences se manifestent-elles concrètement pour un commerçant fonctionnant sous l’un ou l’autre des régimes ?

Dans le cas des coopératives, l’exploitant du fonds de commerce est un associé. Donc à ce titre-là, il bénéficie de droits, mais il est aussi tenu par un certain nombre d’obligations découlant du droit des sociétés commerciales et du droit des sociétés coopératives, eux–mêmes tirés du droit du commerce. Dans une société coopérative existent trois types de documents : les statuts de la société coopérative, le règlement intérieur qui définit de manière plus précise les droits et obligation des coopérateurs, et le contrat de licence d’enseigne, qui porte sur l’exploitation du fonds de commerce.

La situation juridique des coopérateurs est donc plus complexe que celle du franchisé : lui n’est tenu que par les seules obligations contractuelles prévues par son contrat de franchise. Mais les devoirs et obligations de l’associé coopérateur sont contrebalancés par autant de droits dont il dispose vis-à-vis des autres membres de la coopérative.

Diriez-vous que ces modèles se prêtent mieux, l’un et l’autre, à certains secteurs d’activité précis ?

Je ne crois pas qu’il y ait de tendance générale à la coopérative ou à la franchise par secteur d’activité. Dans le secteur de la grande distribution alimentaire par exemple, il y a aussi bien des groupes franchisés comme Casino, que des groupes coopératifs, Leclerc, Système U. Dans ce même secteur, il y a également des groupes intégrés, comme Carrefour, qui ont franchisés leurs magasins sous enseigne dans les départements d’Outre-Mer. Dans le secteur de la santé et de l’optique en particulier, il y a de même à la fois des coopératives comme Optic 2000 et des franchises, tels Krys et Alain Afflelou.

Ce sont les valeurs fondamentales qui font la différence. En termes de gouvernance, les groupements coopératifs respectent par exemple le principe de « un homme égal une voix » dans les assemblées générales, sans équivalent dans les franchises Ces principes sont d’ailleurs très bien rappelés dans le cadre du projet de loi sur l’ESS. Le choix de la forme juridique que prendra la structure est avant tout issu de la volonté d’un homme ou d’une femme de fonder un groupe coopératif ou une franchise.

Quelles sont les principales différences en termes de relations avec la « maison-mère » ?

Sur un plan purement juridique, il existe une différence fondamentale. La maison-mère, au sens du droit des sociétés, c’est une société dont le capital est détenu par les exploitants d’un ou plusieurs points de vente. Dans un groupe coopératif, où la maison mère s’appelle la société coopérative, il existe une structure capitalistique avec des statuts qui relèvent à la fois du droit des sociétés, des règles propres aux sociétés coopératives et des dispositions propres à chaque société coopérative.

Rien de ceci n’existe pour une structure franchisée, où la notion de maison-mère ne s’applique pas réellement. Le franchiseur, aussi appelée « tête de réseau », n’est pas une maison-mère. Il ne fait que transmettre son savoir-faire à des commerçants franchisés, qui auparavant n’était peut-être pas plus commerçants dans ce secteur que commerçants tout court. La franchise permet justement à tout un chacun d’ouvrir un fonds de commerce, en bénéficiant de l’expérience du franchiseur. Dans les franchises, il n’y a pas de liens capitalistiques entre la tête de réseau et les magasins franchisés. Et en dehors de ce qui est définit contractuellement, il n’existe aucun lien entre les enseignes franchisées, même si elles ont la possibilité de se regrouper en association de franchisés pour peser d’un poids supplémentaire à l’égard du franchiseur.

Le modèle coopératif, que l’on imagine souvent à tort réservé à l’agroalimentaire local, se prête-t-il à d’autres types de distribution, d’activités industrielles ou de service ?

Une coopérative, ce sont plusieurs entreprises qui exploitent le même type de fonds de commerce ou offrent la même prestation de services, et qui décident de se réunir en constituant une société. De la sorte elles espèrent pouvoir mieux négocier les conditions d’achat ou modifier à leur avantage les rapports de force sur les marchés.

La franchise est généralement constituée au départ par une entreprise qui a réussi dans  son secteur d’activité et qui va ensuite proposer son savoir-faire à des partenaires indépendants. Ces derniers vont reproduire, contre contreparties, les savoir-faire du franchiseur, mais sans adhérer d’une quelconque façon au capital du franchiseur.

La décision de constitution d’une franchise ou d’un groupe coopératif repose avant tout sur une volonté et un état d’esprit différent. Ce sont deux modes différents et parallèles qui peuvent concerner n’importe quel secteur d’activité.

Quelles seraient les pistes d’amélioration de ces statuts, afin de leur conférer davantage de poids dans notre modèle économique ?

Les statuts des sociétés coopératives ont déjà été revus un certain nombre de fois depuis les premiers textes. Les pistes d’amélioration actuellement à l’étude sont malgré cela de bonnes idées. Tant que cela ne contrevient pas au principe d’exclusivisme, donner plus de souplesse aux sociétés coopératives pour qu’elles puissent se développer, en admettant par exemple la collaboration avec des tiers non-sociétaires, dans une certaine limite de leur chiffre d’affaires, est une bonne chose du point de vue du droit.

La loi sur l’ESS ne va-t-elle pas, d’une certaine manière, réformer les coopératives telles qu’on les voit évoluer aujourd’hui ?

Il existe déjà une nouveauté avec un règlement européen, n° 330-2010 d’avril 2010, sur les restrictions verticales de concurrence. Il s’applique à l’ensemble des relations commerciales, donc également aux coopératives, commerçants et détaillants et aux adhérents des franchises. Il contient par exemple une clause d’exclusivité territoriale, une clause d’exclusivité d’approvisionnement, des clauses d’interdiction d’affiliation à un réseau concurrent…

Concernant spécifiquement les coopératives, on peut s’attendre à des évolutions sensibles dans le cadre du projet de loi sur L’ESS. Un certain nombre de dispositions visent à soutenir, à développer et à renforcer l’attractivité du modèle coopératif, en insistant sur leur principe de gouvernance, leur principe de gestion (un homme = une voix). Cette loi vise à renforcer le modèle en permettant aux entreprises coopératives de faire bénéficier de leurs services des entreprises qui ne sont pas membres de la coopérative.

Cela revient à remettre partiellement en cause le principe d’exclusivisme : la coopérative doit normalement réserver ses services à ses membres, et ne pas en faire bénéficier des entreprises tierces. L’article 3 du Titre 3 du projet de loi relatif à l’ESS prévoit que les entreprises coopératives pourront, sans déroger au principe d’exclusivisme, faire profiter de leurs services des sociétés tierces dans une proportion qui ne devra pas dépasser 20 % du chiffre d’affaires. Il s’agit notamment de permettre à des coopératives de commerçants-détaillants qui disposent des structures logistiques très importantes, et d’un pouvoir de négociation conséquent de par leur chiffre d’affaires et/ou leur nombre d’adhérents, de proposer leurs services aux entreprises que cela pourraient intéresser, en dehors du réseau des adhérents.

Il s’agit d’une première entorse au principe d’exclusivisme tel qu’on le trouve dans le droit des sociétés coopératives, depuis la première loi sur les sociétés coopératives du 10 septembre 1947. La volonté du gouvernement actuel est clairement de rendre plus attractif le régime des coopératives.





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